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Le présent volume est le résultat d’un colloque tenu à l’Académie bavaroise des Sciences en 2014 dédié à l’étude de l’organisation de la production céramique grecque. Il recueille 17 articles. Les investigations suivent les fils directeurs des questions posées au colloque : à quel point peut-on déduire la réalité de la situation antique d’après les systèmes d’attribution ? comment la reconstitution stylistique des mains des maîtres et de leurs élèves et compagnons ainsi que des ateliers peut nous renseigner sur l’organisation véritable de la production céramique dans la Grèce archaïque et classique ? Les contributions sont introduites par le bilan de Stefan Schmidt sur l’historique et la perspective des attributions selon la deuxième question.
Les premiers articles explorent la théorie et la pratique de l’attribution, les cadres théoriques de la reconstitution des ateliers et les informations fournies par des exemples diachroniques. Daniel Graepler se focalise sur l’historique de la ‘connoisseurship’ de l’attribution et son utilisation en archéologie, en présentant l’héritage de Sir John Davidson Beazley comme un point incontournable. John H. Oakley propose un recueil de divers exemples montrant pourquoi et comment une attribution peut représenter un ajout majeur. Il livre à cette occasion un addendum final pour le Peintre d’Achille et le Peintre de la Phiale. Seth D. Pevnick reprend en détail un exemple cité par Oakley : le Potier-Peintre Syriskos (qui inclut aujourd’hui les œuvres du Peintre de Copenhague). Il présente l’historique des attributions aux Peintres de Copenhague et de Syriskos, antérieures et postérieures à Beazley (et l’évolution de sa conception de ces peintres). Il montre ainsi comment l’adaptation du style du peintre sur des formes différentes a influencé notre perception et nos attributions.
Vladimir Stissi s’intéresse à la manière dont on peut déduire le nombre de peintres et d’autres artisans travaillant dans le Céramique d’Athènes et évaluer leur production. Après une présentation brève des estimations précédentes, il donne une lecture critique des arguments de Philip Sapirstein.1 Il conclut que les peintres mineurs forment 80% des regroupements artistiques visibles et mériteraient plus d’attention de notre part. Selon son analyse, notre perception est très lacunaire concernant ce qui se passait en dehors du noyau formé par des ‘maîtres’ productifs bien visibles pour nous. Il suggère que le nombre de potiers et de peintres entraînés était plus important que ce que l’on voit et, pour diverses raisons, ils ne nous sont perceptibles qu’occasionnellement. Beaucoup d’éléments de son raisonnement rejoignent les exemples de Dyfri Williams qui montre, d’après les scènes sur certains vases attiques, une possible organisation hiérarchique des ateliers de potiers ainsi que ses implications sur le fonctionnement de la production (de possibles ateliers familiaux avec une équipe élargie si nécessaire), carrière et entrainement des potiers et des peintres dès leur plus jeune âge, mouvements et relations inter-métiers. Il discute certaines œuvres réalisées par des peintres occasionnels ( irregular vase painter) qui ne réalisent des scènes figuratives qu’exceptionnellement mais qui ont été engagés dans autres tâches de la production. Deux contributions élargissent le champ d’investigation. Stephan Karl mène ses recherches sur l’époque Géométrique, notamment l’atelier du Peintre du Dipylon à travers les cratères monumentaux trouvés dans un enclos funéraire dans la rue du Pirée à Athènes. L’auteur illustre bien les difficultés du rassemblement de ces Disiecta Membra conservés dans des collections diverses 2 et le potentiel de la technologie moderne 3D dans ce puzzle. Anastasia G. Bukina aborde l’évolution de l’étude des regroupements et l’attribution des vases corinthiens présentant des problématiques spéciales. Elle présente ici, pour la première fois en anglais, un très important cratère corinthien trouvé à Berezan, portant une iconographie peu habituelle : une lutte de pygmées avec des hérons sur la face A et des cavaliers sur la face B. Son raisonnement sur le style du cratère pourrait être mieux suivi avec une illustration plus grande reproduisant les incisions des félins et du taureau. Ce cratère invite à beaucoup de réflexion, mais j’aimerais attirer l’attention particulièrement sur la rangée de languettes incisées sur l’épaule : un décor inhabituel qui incite à comparer le cratère de Berezan avec deux autres trouvés à Corinthe (CP-2538 et C-38-635), les seuls à ma connaissance portant un décor similaire.3 Son discours inspire des réflexions sur l’ensemble de l’organisation de la production et de la commercialisation des vases corinthiens. Rien n’illustre mieux l’importance des attributions dans l’étude de la céramique corinthienne, que l’étude récente de Cornelis W. Neeft sur le Peintre de la Bibliothèque Royale de Belgique dans laquelle il prouve que ce maître autrefois considéré comme un peintre innovant du Corinthien ancien était en fait un potier-peintre actif surtout au Corinthien moyen qui a travaillé dans un style méticuleux un peu archaïsant.4
Pour l’époque archaïque, on compte trois articles. Anne Mackay examine la collaboration de plusieurs peintres sur les vases d’Exékias et de son atelier. Cette reconstruction donne une illustration parfaite du partage des tâches de la décoration au sein d’un atelier, illustrée par la kalpis du Peintre de Leningrad (p. 56-57, Fig. 3). Bettina Kreuzer aborde certains problèmes de l’attribution des peintres et des potiers à l’intérieur du Groupe de Léagros. Elle traduit les résultats selon les catégories de Beazley (classe) et propose une reconstitution hypothétique de l’atelier impliquant notamment un potier principal, et au moins trois autres, ainsi qu’un grand nombre des peintres. Angelika Schöne-Denkinger mène ses investigations sur les coroplastes, les potiers et les peintres/potiers-peintres des vases attiques en forme de tête et des rhyta à travers les exemples de l’Antikensammlung.
La transition entre l’époque archaïque et classique est assurée par Winfred van de Put qui s’intéresse aux modèles de distribution des lécythes issus d’une sélection d’ateliers. Il examine leurs spécificités ainsi que leurs dynamiques au fil du temps. La production de l’époque classique est traitée par quatre études. Cécile Jubier-Galinier essaye d’interpréter les traces d’interconnections des ateliers à figures noires tardifs. Elle attribue plusieurs amphores au Peintre de Sappho et tente d’identifier la décoration d’un lécythe à Athènes (Musée National 20281), tourné par le Potier de Diosphos, par l’œuvre du Peintre de Haimon. Après une réflexion sur l’évolution de l’atelier des Peintres de Sappho et Diosphos puis du Peintre de Haimon et de l’atelier du Peintre de Beldam ainsi que sur leurs interconnections et les traces de transmission des savoir-faire, elle émet avec prudence une hypothèse sur la manière dont ces relations ont pu se dérouler dans la pratique. Martin Langner étudie les changements survenus dans la production de céramique au IVe siècle à Athènes, notamment l’apparition de grands ateliers « industriels » à côté des ateliers à l’échelle familiale et propose une reconstitution des ateliers et de leurs possibles regroupements. Kleopatra Katharidou élargit considérablement le répertoire de l’atelier du Peintre d’Iéna en identifiant une série de formes en vernis noir (dont certaines à décor estampé et incisé) ainsi que de nouvelles formes décorées en figures rouges. Des observations précises permettent l’identification de diverses mains de potiers. Norbert Eschbach nous présente des vases à figures rouges provenant des dépôts de l’atelier du Peintre des Amazones situé au coin des rues Achileos et Platanos. Un loutrophore à décor appliqué mérite une attention particulière. Le volume se termine par la discussion de Francesca Silvestrelli sur l’atelier des Peintres de Creusa, de Dolon et d’Anabates à Métaponte.
L’ouvrage est de bonne qualité, les illustrations sont généralement excellentes. On trouve seulement quelques coquilles : p. 62-63, les illustrations 9 et 10 sont inversées ; certaines photos sont pixellisées ou semblent un peu floues (e.g., p. 69, Abb. 8 ; p. 142, Abb. 2, p. 178, fig. 1). Un index aurait été utile et une bibliographie commune à la fin de l’ouvrage aurait évité des répétitions.
Les contributions forment un ensemble cohérent d’articles dialoguant entre eux et répondant aux questions du colloque. Divers aspects de la reconstitution d’un atelier et de son organisation interne sont abordés : des argumentations théoriques, des témoignages issus des représentations et des vestiges des ateliers découverts, l’importance des assemblages, les indications fournies par les attributions des peintres et des potiers, des empreintes de doigt etc. Une attribution en soi est un bon passe-temps mais si elle ne rapporte pas quelque-chose de plus, elle ne sert à rien. Les articles de ce volume donnent des preuves de sa validité et de son utilité, en ouvrant de nouvelles perspectives sur la façon dont elle peut contribuer à une meilleure compréhension. Les résultats soulignent l’importance du travail, qui n’en est pas à ses débuts, sur les mains des potiers (déjà incité par Sir Beazley en 1944) et de la documentation du décor secondaire et des zones peu visibles. On peut témoigner de l’utilité de la base des Beazley Archives en ligne, mais nous sommes également mis en garde sur sa représentativité non seulement par rapport à l’intégralité de la production antique mais également vis-à-vis du matériel déjà découvert qui pourrait être un jour intégré.
Les résultats du colloque de Munich présentés dans ce volume sont indispensables aux bibliothèques de recherche et aux spécialistes de la céramique attique, mais ceux qui travaillent sur d’autres productions peuvent également le feuilleter avec bénéfice.
Table de matières
Vorwort
Stefan Schmidt : Zuschreibungen in der griechischen Vasenmalerei und die Organisation antiker Keramikproduktion: Geschichte und Perspektiven der Forschung 7
Daniel Graepler : Künstlerhand und Kennerauge: Die Zuschreibung als archäologisches Methodenproblem 14
John H. Oakley : Changing Personalities – What New Attributions Can Tell Us 25
Seth D. Pevnick : Le style est l’homme même ? On Syriskan Attributions, Vase Shapes, and Scale of Decoration 36
Vladimir Stissi : Minor Artisans, Major Impact? 47
Dyfri Williams : Peopling Athenian kerameia: Beyond the Master Craftsmen 54
Stephan Karl : Die Dipylonwerkstatt – Wer ist der Dipylonmeister? Überlegungen zu Grabkrateren aus dem unmittelbaren Kreis seiner Werkstattkollegen 69
Anastasia G. Bukina : Payne’s System in View of the Attribution of a Berezan Corinthian Krater with a Pygmy 80
Anne Mackay : Exekias & Co. Evidence of Cooperative Work in the Workshop of Exekias, Group E and their Associates 87
Bettina Kreuzer : Töpfer und Maler, Klasse und Gruppe. Beazley und die Leagrosgruppe 96
Angelika Schöne-Denkinger : Koroplasten – Töpfer – Maler. Zur Produktion attischer Kopfgefäße und Rhyta 107
Winfred van de Pu : Painters, Potters and Markets 118
Cécile Jubier-Galinier : Les attributions des vases à figures noires tardives en question 130
Martin Langner : Werkstatt, Gruppierung, Richtung. Die Produzenten spätrotfiguriger Keramik aus Athen 139
Kleopatra Kathariou : On the Quest for the Missing Link in Late Classical Athenian Kerameikos: A Study of the Jena Painter’s Workshop 149
Norbert Eschbach : Zur Werkstatt des Amazonenmalers im Demos Kerameis 162
Francesca Silvestrelli : Potters and Painters in Metapontine Red-Figure Workshops: Some Preliminary Observations 176
Notes
1. Sapirstein, Philip, « Painters, Potters, and the Scale of the Attic Vase-Painting Industry, » AJA 117 (2013) 493-510 et « Methodology, Bibliography, and Commentary for the Painters in the Study. Two appendices to ‘Painters, Potters, and the Scale of the Attic Vase-Painting Industry’, ”. AJA 117 (2013) publication en ligne.
2. Pour lesquels on peut également signaler d’autres à Blois, Musée Archéologique ; Musée des moulages, Lyon ; Université Paris I, Institut d’Art et d’Archéologie ; Troyes, Musée Saint-Loup, D.895.4.1. prov. du cratère Louvre Harwell Ashmead, Ann – Phillips Jr., Kyle Meredith, Classical Vases. Excluding Attic Black-Figure, Attic-Red Figure and Attic White Ground Vases. Catalogue of The Classical Collection, Museum of Art, The Rhode Island School of Design. Providence (RI) 1976, p. 25-26, n o 24, pl. 86.
3. Amyx, Darrell Arlynn – Lawrence, Patricia, Archaic Corinthian Pottery and the Anaploga Well. Corinth VII.ii. Princeton (NY) 1975, p. 29-30, n° 72 et 76, pl. 12-13.
4. In aetate ferrea nunc vivimus. The Case of the Royal Library Painter. in, Valavanis, Panos – Manakidou, Eleni, éds, ΕΓΡΑΦΣΕΝ ΚΑΙ ΕΠΟΙΕΣΕΝ. Essays on Greek Pottery and Iconography in Honour of Professor Michalis Tiverios. Thessaloniki 2014, 125-137.