Talleyrand, dans un mot fameux, disait des gens qui vous attaquent, qu’il était inutile de faire une réponse : « Leur répondre ? Vous ne savez pas le plaisir que vous leur faites. Je n’ai jamais répondu à personne ; vous voyez que je ne m’en suis pas mal trouvé ». Dérogeons brièvement à ce sage conseil.
Je crains qu’Alan Cameron n’ait toujours un livre de retard. Le texte ci-dessus n’est pas un compte rendu de mon dernier ouvrage, L’Histoire Auguste. Les païens et les chrétiens dans l’Antiquité tardive (2016), dont le contenu n’est pas sérieusement examiné ni même brièvement résumé. Tout au plus s’agit-il d’un rappel orienté et partiellement déformé (j’avoue parfois avoir du mal à reconnaître ce que je dis dans ce que Cameron en dit !), lacunaire en tout cas, des positions que j’ai exposées dans mon livre de … 2012, Polémiques entre païens et chrétiens. J’ai la terrible impression, qui m’effraie, qu’Alan Cameron ne lit pas mes livres, qu’il ne peut pas les comprendre. De la même manière, il semble totalement hermétique à ce que disent les sources, qui ne sont pas que des plaintes rhétoriques et désincarnées, quand il ne les cite pas de manière biaisée.
The Last Pagans of Rome ne constitue point la vérité immuable et Cameron ne devrait pas se prendre pour la Loi et les Prophètes. Son livre et ses idées soulèvent, en effet, de plus en plus de réactions de rejets chez les lecteurs qualifiés, en Europe et ailleurs. Que Cameron ait des suiveurs dans le monde-anglo-saxon est possible (on pourra lire à ce propos ma dénonciation des erreurs d’un livre récent, The Play of Allusion in the Historia Augusta, dans la livraison d’ Antiquité Tardive 24, 2016, à paraître) : une erreur, même mille fois répétée ne saurait constituer une vérité, d’autres l’ont dit avant moi. Le propre de mes travaux est de combattre une doxa, et ils sont écrits pour cela. Que le père de cette doxa s’appelle Cameron ne change rien.
Soulignons simplement la contradiction absolument aveuglante qui structure (mal) la pseudo-recension de Cameron, ou plutôt le double standard, auquel il se soumet. D’une part, toute l’intertextualité dont je fais l’analyse dans le livre entre les œuvres païennes de la fin du IV e siècle et les textes ou les idées chrétiennes est condamnée comme se satisfaisant de « a couple of shared words » entre texte source et, par exemple, les échos qu’on en trouve dans l’ Histoire Auguste, mais il suffit à mon censeur que Damase et l’auteur du Carmen contra paganos soient les seuls de la poésie latine à omettre et (argument bien fragile et aisé à détruire : voir mon étude dans le Giornale Italiano di Filologia 67, 2015, qui vient de paraître et qui a pour titre : « Pourquoi Damase n’est pas l’auteur du Carmen contra paganos ») pour que les deux n’en fassent qu’un. D’autre part, Cameron vante l’ opinio communis savante quand il la décide ainsi, mais il la combat (la réaction païenne sous Théodose) quand elle n’est pas de lui.
Que mes trois derniers livres mettent à bas la thèse de The Last Pagans of Rome et remplissent son auteur de dépit ne l’autorise pas à user du ton condescendant qui est le sien quand il parle de mes propres travaux. Je suggère à Cameron de lire Cioran, qui a le tort d’écrire en français et de manier la même arme que les auteurs anciens, une forme d’ironie amère, si opaque à notre collègue angliciste.