Le public anglo-saxon pouvait lire depuis longtemps le texte grec et la traduction des Vies des dix orateurs attribuées à Plutarque (H. N. Fowler, 1936) dans le tome X de la collection Loeb. Il n’en allait pas de même pour l’adaptation du même ensemble conservée dans la Bibliothèque de Photios ( cod. 259-268) ni pour les documents analogues analysés séparément sur Eschine ( cod. 61) et sur Isocrate ( cod. 159) ni pour les articles sur les dix orateurs compilés au X e s. pour la Souda. Chacune des pièces bénéficie d’une traduction de la même plume, celle de M. Waterfield. L’ouvrage s’inscrit dans une collection dont les lecteurs ne sont pas censés lire le grec (voir, toutefois, p. 13). Il en résulte pour la Souda une série de références surprenantes pour tout helléniste (par exemple p. 324 « Alphaiota 347 : Aeschines »). Bien conçue, l’introduction fait le point sur ce que l’on croit savoir de toutes les œuvres traduites et commentées ici. Pourquoi dix orateurs ? Le Canon des dix orateurs, probablement constitué au I er s. de notre ère, n’était connu ni de Cicéron ni de Denys d’Halicarnasse, mais bien de Quintilien, et il a condamné à la disparition les ouvrages de nombreux orateurs, sauf notamment quelques discours d’Apollodore introduits dans le corpus démosthénien par Callimaque ; le cas d’Hégésippe, lui, avait fait déjà l’objet de discussions dans l’Antiquité ; pour Démade, qui ne paraît pas s’être jamais soucié de réunir une collection de ses discours, on ne possède qu’une série hétéroclite d’anecdotes et de bons mots remontant à l’époque hellénistique.
Logiquement, la part du lion revient au Ps.-Plutarque, pour lequel l’étude des sources est prometteuse. C’est ce qui explique un choix éditorial parfaitement approprié. Le traité bénéficie d’une traduction à pleine page (pp. 41-70) et d’un commentaire distinct (pp. 71-277). Ne laissant rien dans l’ombre, ce dernier porte pratiquement sur chaque ligne et se fonde sur une bibliographie impressionnante (pp. 335-66). Pour Photios et la Souda, qui n’appelaient pas une exégèse aussi détaillée, les explications prennent la forme de notes logées sous la traduction. On saura gré aux auteurs de ne s’être pas attardés à des développements oiseux. Toutefois, on peut se demander si le regroupement Ps.-Plutarque, Photios et Souda est judicieux et satisfaisant. On aurait du mal à prouver que les articles de cette dernière sur les dix orateurs ont peu ou prou emprunté au Ps.-Plutarque ou à Photios. En revanche, aucun des trois contributeurs ne semble s’être demandé pourquoi Photios a éprouvé le besoin de traiter deux fois d’Eschine et d’Isocrate, alors qu’il n’a pas trouvé le temps de lire Lycurgue jusqu’au bout, bien qu’il lui réserve un chapitre dans le même style que pour les autres neuf orateurs ( cod. 268, 496 b 38-41).1 Les réponses possibles résident évidemment dans les études sur la nature de la Bibliothèque et le projet de Photios.2 Enfin, a priori, fallait-il exclure toutes les données disponibles sur les orateurs attiques et retenir seulement le Ps.-Plutarque, Photios et la Souda ?
Dans des manuscrits d’Antiphon et d’Isée, les discours sont introduits par un Γένος, documents de farine analogue au Ps.-Plutarque ; trois témoins d’Isocrate au moins renferment une Vie d’Isocrate anonyme ; relativement nombreux, les manuscrits d’Eschine sont précédés, suivant les cas, par une anonyme Vie d’Eschine l’orateur, un Sur Eschine l’orateur d’Apollonios ou un [Sur Eschine], sans compter un chapitre de Philostrate ; une Vie de Démosthène a été placée en tête d’un manuscrit sous le nom de Zosime d’Ascalon, ainsi qu’une Vie anonyme, sans compter la biographie sommaire de Libanios servant d’introduction aux Hypotheseis des discours. Bref, on se trouve devant une littérature assez vaste qui n’a pas été considérée ici et qu’il serait intéressant d’étudier à fond. N’a-t-elle vraiment aucun message historique à transmettre et n’éclairerait-elle pas sur la nature véritable des notices du Ps.-Plutarque et de Photios ? Ceci n’est pas sans conséquences sur certaines prises de position de l’introduction, toute intéressante qu’elle est. Peut-on croire que chacun des chapitres est le produit d’une seule plume (p. 12) ? En quête d’une date pour la composition du Ps.-Plutarque, les historiens britanniques soulignent l’importance de la description de la tombe d’Isocrate surmontée d’une sirène. Philostrate ( VS I, 17, 503) avait encore pu, vers 242-3, la voir in situ, mais le Ps.-Plutarque (838 C) la donne comme disparue de son temps. À mon sens, le rapprochement montre que la Vie d’Isocrate est postérieure au règne de Gordien III, mais la conclusion ne doit pas être étendue à tout le recueil. Chacun a le droit d’exprimer des réserves sur la conception générale du présent ouvrage. Les auteurs ont pris la sage précaution de le munir d’un « Glossary of Technical Terms » et d’un commode « Select Index ».
Reste en définitive un livre fort intéressant qui rendra de distingués services aux historiens, épigraphistes et archéologues du monde anglo-saxon.
Notes
1. La traduction de φέρεσθαι δὲ αὐτοῦ ἐξ ἱστορίας ιεʹ μεμαθήκαμεν est curieuse : « I understand from my researches, however, that there are fifteen extant under his name ». On doit évidemment comprendre : « Mais nous avons appris par l’histoire qu’il y en a de lui 15 en circulation ». Or c’est exactement le nombre donné par le Ps.-Plutarque (843 C). L’ἱστορία en question paraît donc n’avoir été qu’une Vie de même farine que celle du Ps.-Plutarque, et l’on ne doit pas faire de Photios un rat de bibliothèque.
2. Sur ce point, l’information des auteurs mériterait d’être rafraîchie et complétée, voir F. Ronconi, L’automne du patriarche. Photios, la Bibliothèque et le Venezia, Bibl. Naz. Marc., Gr. 450 dans J. Signes Codoñer et Inmaculada Pérez Martín (édd.), Textual Transmission in Byzantium : between Textual Criticism and Quellenforschung, Turnhout, 2014, pp. 93-104 ; J. Schamp, Le projet pédagogique de Photios dans P. Van Deun-Caroline Macé (édd.), Encyclopedic Trends in Byzantium ? Proceedings of the International Conference held in Leuven, 6-8 May 2009, Louvain-Paris, 2011, pp. 57-75, spécialement pp. 66-71 ; Photios abréviateur, dans Marietta Horster et Christiane Reitz (édd.), Condensing texts—condensed texts, Stuttgart, 2010, pp. 649-734, surtout p. 661 ; 671-6 ; 723-6.