BMCR 2015.11.04

Alexander der Große und die « Freiheit der Hellenen »

, Alexander der Große und die « Freiheit der Hellenen ». Studien zu der antiken historiographischen Überlieferung und den Inschriften der Alexander-Ära. Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, N.F., Band 36. Berlin; München; Boston: de Gruyter, 2015. vi, pp. 257. ISBN 9783110405521. €99.95.

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Dans ce livre curieusement conçu et construit, G. A. Lehmann conduit une recherche double dans un domaine déjà largement balisé par nombre d’articles et de livres, à savoir les relations établies par Alexandre avec les Grecs (titre du livre) et les sources utilisables et utilisés par les historiens (sous-titre) : le livre veut offrir ainsi à la fois une mise au point sur un sujet déjà bien rebattu, et une réflexion de Quellenforschung. L’auteur introduit, face à la documentation littéraire, la documentation épigraphique, elle aussi bien connue, en ressentant la nécessité (peu évidente, à mon sens) de la rassembler sous forme bilingue (texte grec, traduction allemande, pp. 215-247), en reprenant pour l’essentiel des éditions déjà confirmées, celle en particulier procurée par A.J. Heisserer dans son livre bien connu de 1980. Pour être réellement utile, cette édition aurait dû être accompagnée de lemmes (absents), et tenir compte d’éditions plus récentes présentées selon les règles d’usage dans le domaine épigraphique (par exemple A. Benciveni, Progetti di riforme costituzionali, 2003) ; je précise également que le texte de Priène (Dok. IV, et p. 109-114) a donné lieu à de nouvelles et séduisantes lectures par P. Thonemann en 2012.1 Il aurait été en revanche nécessaire de mettre sous les yeux du lecteur le texte de POxy. 4808, dont traite l’auteur aux p. 16-23 ; on trouvera le texte sur le site dédié d’Oxford ( Oxyrhynchus online) et l’on verra désormais, à son propos, l’article de L. Prandi dans Histos 6 (2012) accessible en ligne, qui estime que « its value as a whole seems indisputable ; the same cannot be said of its contribution about Cleitarchus, because lines 9-17, which concern him, are partly incomplete and require specific analysis and careful consideration before they can be properly evaluated ».

La longue Introduction (p. 3-37) éclaire assez peu le lecteur sur les objectifs de l’auteur, car le sujet central est littéralement noyé au sein d’un discours très général, qui touche à de multiples sujets, sans les hiérarchiser les uns par rapport aux autres : l’auteur aurait pu résumer cette partie sans dommage pour la lecture, et surtout la synthétiser. Et, comme partout dans le livre, les notes infrapaginales prennent une place démesurée : beaucoup auraient pu être sacrifiées, ou leur substance intégrée dans le texte. À la suite, l’auteur traite successivement de « l’incendie de Persépolis au regard du programme de guerre de représailles ‘panhellénique’ » (chapitre 2, p. 39-78) ; —« De l’Hellespont à Ecbatane : documents relatifs à la première phase de l’expédition asiatique » (chapitre 3, p. 79-114) ; —« Le problème de la « reprise » de l’empire achéménide et le grand tournant de la marche asiatique » (chapitre 4, p. 115-144) ; — « Le décret sur les bannis et ‘la liberté des Hellènes’ » (chapitre 5, p. 145-172) ; —« Réflexions sur les derniers jours d’Alexandre et le problème de ses ‘derniers plans’ » (chapitre 6, p. 173-193) ; —« Résumé et perspective » (p. 193- 204). Suivent deux appendices, l’un (on l’a vu) consacré aux documents épigraphiques, l’autre (on ne sait pourquoi) dédié à des « réflexions sur les fêtes musicales, athlétiques et agonistiques au cours de l’expédition asiatique ».2

La simple analyse du plan et de la démarche de l’auteur rend claire la difficulté de son projet, qui, dans la pratique, s’étend en fait à une analyse globale de la conquête, mais aussi à une analyse des différentes tendances historiographiques depuis les années 20’ du XXe siècle (voir p. 27-33), qui au demeurant ne manque pas d’intérêt ni de réflexions pertinentes. L’auteur n’a pas su vraiment choisir sa voie d’accès, si bien que le lecteur se demande constamment quel est l’objet du livre. Plusieurs étapes de la conquête sont analysées en détail, par exemple les rapports entre Alexandre et les cités grecques de la côte anatolienne (p. 79-114), ou encore la manière qu’eut Alexandre d’imposer sa domination sur les différents pays d’Asie mineure (p. 116-121). Dans l’ensemble consacré à la ‘guerre de représailles’ et au programme ‘panhellénique’, l’auteur réserve un traitement particulier à l’affaire de Persépolis (p. 58-70). Il s’intéresse surtout à l’histoire de Thaïs dont il démonte les ressorts, et il conclut que version clitarchéenne (la ‘Vulgate’) n’est rien d’autre qu’une affabulation imaginée ultérieurement à Alexandrie. Curieusement, nulle part Lehmann ne fait le point de la question, en rappelant par exemple les plus importantes études spécialisées (celles qui sont parues jusque vers 1992-3 sont cités dans mon Histoire de l’empire perse, 1996, p. 1073-1074); avant les remarques de conclusion, seuls sont cités brièvement Radet et Lane Fox (p. 64, n. 78) ; il fait allusion aux résultats des fouilles de Persépolis (renvoi à Trumpelmann et à Schmidt), mais nulle part il ne mentionne des études spécialisées,3 ni le caractère très ambigu des données archéologiques ; de même doit-on souligner que l’existence d’une fête de Nowruz à Persépolis (p. 69) a été mise en doute depuis longtemps (voir un autre article de Sancisi-Weerdenburg dans AchHist VII, 1991, p. 173-201). Pour des raisons que j’ai exposées naguère,4 je me trouve en accord avec l’une des conclusions de l’auteur (p. 68), à savoir que la destruction de Persépolis était d’abord un signe à la Perse et aux Perses (je suis plus réservé sur la réalité du signe à la Babylonie et à l’Égypte). Bien d’autres études plus récentes pourraient être citées, y compris celle de J. Seibert ( Iranistik 3/2, 2004-5, p. 5-105) qui estime lui aussi que l’histoire de Thaïs est une invention postérieure et qui, surtout, conclut qu’en réalité l’incendie proprement dit est dû à un accident non voulu par Alexandre, et qu’il n’a donc rien à voir avec une quelconque volonté de venger les destructions perses sur l’Acropole. On peut douter évidemment de la possibilité technique d’un tel accident (voir p. 67), mais, après tout, on a mention de l’incendie d’un apadana à Suse dans une inscription d’Artaxerxès II (A2Sa), et rien ne peut laisser supposer qu’il s’est alors agi d’un incendie volontaire !

Si je souligne les lacunes bibliographiques, ce n’est pas pour prôner l’érudition pour l’érudition, mais je ne vois pas comment on peut mener une telle analyse sans rassembler toute la documentation disponible, y compris bien entendu la documentation achéménide, ni sans envisager en détail les différentes hypothèses interprétatives qui ont déjà été avancées — sauf à proposer une interprétation tellement révolutionnaire qu’elle efface toutes les autres, ce qui n’est pas le cas ici. Poursuivant sur ce thème, je suis également très étonné que les pages sur Persépolis ne soient pas nourries par les enseignements que l’éditeur, M. Hatzopoulos, a proposé de tirer de l’inscription de Philippes (Alexandre aurait décidé à Persépolis de poursuivre une expédition qu’au départ il avait estimé devoir prendre fin à Persépolis, après l’incendie des palais : cf. Histoire de l’empire perse, p. 1074). G.A. Lehmann met le texte sous les yeux du lecteur (p. 228-229), et il y consacre un développement spécifique dans un chapitre (IV) centré sur la prise en main de l’empire achéménide (p. 135-143). Il rappelle soigneusement les discussions nombreuses et parfois passionnées qui ont marqué l’histoire de ce document depuis 1985, mais il ne reprend pas la suggestion d’Hatzopoulos expressis verbis. S’il admet lui aussi qu’il y eut bien un revirement de la part d’Alexandre, il situe plutôt le document dans le contexte des rapports entre Alexandre et Antipater. En tout cas, on ne peut que se féliciter que cet important document ne soit plus négligé dans les recherches sur l’histoire d’Alexandre, contrairement à ce qu’il en a été pendant trop longtemps.5

Chaque chapitre du livre mériterait une analyse critique détaillée, que je ne peux mener dans le cadre d’un simple compte-rendu. Il est toujours délicat de reprocher un manque d’originalité et de nouveauté à un auteur traitant de l’histoire d’Alexandre le Grand. Tout aussi bien plusieurs développements ne manquent pas d’intérêt. Ce que l’on aurait pu demander, en revanche, c’est une définition plus nettement exprimée du sujet, ainsi que de ses limites, qu’on a parfois du mal à saisir. On regrettera également l’absence difficilement compréhensible de toute bibliographie, qui aurait pu (par exemple) être aisément organisée par chapitre ou/et par sujet. J’ajoute (sans y insister) qu’il y a un nombre excessif de typos.

Notes

1. « Alexander, Priene and Naulochon » : cf. Bryn Mawr Classical Review 2014.09.45.

2. P. 205-214 ; sur le sujet, il convient de citer l’étude de B. Le Guen, « Theatre, religion and politics at Alexander’s travelling royal court », in E. Csapo et al., ed., Greek Theatre in the Fourth Century B.C., Berlin; Boston, 2014, p. 249-274.

3. Par exemple celle de Sancisi-Weerdenburg dans Alexander the Great. Myth and Reality, 1993, p. 177-188.

4. Cf. Briant, Rois, tributs et paysans, 1982, p. 393-401 ; également Alexander the Great, Princeton, 2010, p. 107-111.

5. Cf. Briant, Alexander the Great, Princeton, 2010, p. 169-171.