L’auteur de la présente publication fut chargé en 1997 de publier les fouilles de l’Artémision de Loutsa (Halai Araphénidès) menées par I. Papadimitriou (1956/7), pour lesquelles, malheureusement, il n’y a pas de données stratigraphiques, mais qui furent complétées par quelques sondages ultérieurs. La publication a été préfigurée par un article du même auteur paru en 2010 : « Die Entwicklung des attischen Artemis-kultes anhand der Funde des Heiligtums der Artemis Tauropolos in Halai Araphenides (Loutsa) », in H. Lohmann, T. Mattern, edd., Attika. Archäologie einer « zentralen » Kulturlandschatft, Akten der internationalen Tagung vom 18-20. Mai 2007 in Marburg, Wiesbaden 2010, 167-82. Dans cet article, l’auteur avait fourni une nomenclature des restes d’offrandes (figurines et vases) découverts dans les fouilles. Dans le nouveau livre, il présente l’intégralité des données de fouille mais cet exposé est précédé de chapitres consacrés à l’implantation du sanctuaire et à l’étude du culte d’Artémis Tauropole. Cette démarche livre au lecteur la totalité des pièces du dossier, traitées dans l’ordre chronologique, mais a pour inconvénient d’alourdir le propos : il eût été plus juste d’intituler le livre : « le sanctuaire et le culte d’Artémis Tauropole… »
Une première section (Introduction) est consacrée à la plaine d’Aphidna dans son ensemble : l’auteur analyse les données géographiques et anthropiques qui caractérisent l’installation humaine dans cette partie de l’Attique, son élection comme un des dèmes de la Paralie, enfin l’histoire de la découverte et de la fouille du sanctuaire d’Artémis. Ce dernier, localisé définitivement en 1920, ne fut fouillé qu’en 1956 après avoir souffert de pillages qui eurent pour effet de laisser en place bien peu de vestiges des constructions.
Dans la deuxième section, l’auteur s’efforce de reconstituer le rituel artémisiaque à la fin de l’époque archaïque et au V e s. sur la base des sources écrites — en premier lieu la pièce d’Euripide Iphigénie en Tauride. Euripide aurait choisi de placer l’action en Tauride pour faire un parallèle entre le sacrifice humain symbolique d’Halai Araphénidès et les sacrifices réels qu’auraient pratiqués, d’après Hérodote, les habitants de la Tauride (Hérodote compare d’ailleurs les deux régions). L’auteur fait remonter l’analyse du culte jusqu’à l’époque archaïque, afin de mettre en lumière sa nature chthonienne et son évolution vers un culte à connotation civique. Il passe en revue les interprétations modernes qui ont été données de la pièce d’Euripide (Vidal-Naquet, Burkert, Graf…) et du caractère sauvage du culte d’Artémis, mais aussi des éléments de rituel qui nous sont connus. Le point commun des rituels artémisiaques dans le monde grec est, avec des variantes, la mise à mort symbolique mais toujours violente d’un homme, où se lit un aspect carnavalesque destiné à ressouder la communauté : l’auteur nous amène ainsi à l’idée que la signification cachée de la pièce réside dans les rites de passages à l’âge adulte des jeunes filles (Iphigénie) mais aussi des jeunes gens (Oreste). Chez Euripide, c’est Athéna qui humanise le culte, mais Apollon intervient aussi fortement.
L’auteur analyse ensuite les pratiques rituelles du second classicisme sur la base d’un extrait de Ménandre mentionnant une pannychis et de trois inscriptions, dont la dernière est connue depuis 1998 seulement et enrichit notre connaissance par la mention de chorèges et de la proédrie lors des agônes.
La 3 e et plus importante section du livre est consacrée aux données archéologiques. Pour suppléer au manque de données de fouille, l’auteur fait une revue extrêmement synthétique de l’histoire religieuse de l’Attique depuis l’Âge du Bronze jusqu’au Bas-Empire, découpée en 11 périodes.
De là on passe sans transition aux données de la fouille de Papadimitriou, qui sont malheureusement très lacunaires. À l’est du temple a été trouvée une épaisse couche de cendre (destruction ? sacrifices ?) et dans les environs une quantité d’éléments de la couverture datables du début de l’époque classique ainsi que quelques tambours de colonnes doriques stuqués. Des fragments de céramiques s’échelonnent sur l’ensemble de la durée des 11 périodes. Dix secteurs ont été fouillés mais les résultats sont inutilisables (mentions de centaines de tessons de diverses catégories de vases et d’autres objets, sans contexte stratigraphique). Les indices architecturaux permettraient de dater la construction du temple vers le 2 e ¼ du V e s., mais l’auteur ne justifie pas précisément cette assertion, qui sera étayée par l’étude de détail des terres cuites architecturales et des céramiques. Un lot de matériel est daté au dernier tiers du IV e s., mais tout le reste a été trouvé dans des remblais.
Sur une euthyntéria de 14,11 m sur 21,16 s’élevait un petit temple dorique péristyle dont le sèkos comprenait à l’arrière un adyton. Le stylobate, lacunaire, peut être restitué à 12,56 m sur 19,44 (les dimensions sont proches de celles du temple de Brauron). L’ensemble a été rasé jusqu’au sol et il ne reste que d’infimes fragments de l’élévation : en particulier un morceau de triglyphe et quelques éléments (brisés) de terres cuites architecturales (antéfixes à palmettes). Si la restitution d’ensemble ne pose pas de problème, certains points particuliers font l’objet de discussions étendues. Il s’agit tout d’abord de l’entraxe et du rythme de la colonnade, que les auteurs précédents avaient restituée de façons diverses : 6 x 13 (Papadimitriou), 8 x 12 (Travlos), 6 x 9 (Hollinshead, Knell). L’auteur choisit finalement le restitution de Knell, sur la base de comparaisons empruntées au IV e s. et malgré les dessins de Travlos qui, pour n’être que des minutes, paraissent néanmoins d’une très grande précision…
L’auteur signale aussi des sols de gravier pris dans du mortier, conservés sous la péristasis, à niveau avec le stylobate. Certains des graviers sont coupants, donnant un sol avec aspérités et multicolore. Ils sont conservés sur les côtés nord et sud au contact avec les quelques blocs de stylobate encore en place dans la section centrale des deux longs côtés : comme il ne semble pas y en avoir eu ailleurs, ils pourraient correspondre à l’emplacement de portes latérales pour lesquelles on n’a malheureusement aucun autre indice (et dont la présence surprendrait dans un si petit édifice).
De la largeur de la porte du naos on n’a pas la moindre trace non plus. Quant au petit « muret » qui vient se plaquer contre les blocs conservés du mur de refend, il me paraît constituer simplement la bordure du remplissage entre les fondations des murs. Il manque probablement une assise de substruction avant les murs proprement dit et il faudrait donc surélever d’autant l’ensemble de l’intérieur du sèkos.
L’étude des éléments de couronnement est rendue difficile par la pauvreté des vestiges : il est impossible d’étudier l’entablement, mais les rares terres cuites architecturales fournissent tout de même le seul indice de datation solide, qui permet de placer le temple assez haut dans le V e siècle (avec une réparation à la fin du même siècle).
Des traces d’autres bâtiments du sanctuaire furent repérées lors de fouilles entre 1970 et 1976. On y trouve : un long bâtiment parallèle au temple (stoa ?) ; des tronçons de murs à environ 40 m à l’ouest ; et surtout les restes d’un naïskos ( héron d’Iphigénie d’après L. Kahil). Sa fouille a rendu de très grandes quantités d’offrandes (figurines, vases…) datables de la fin de l’époque géométrique au IV e siècle a.C. Enfin on signalera la trace d’un petit propylée.
L’étude des céramiques et des petits objets qui suit l’étude architecturale est extrêmement détaillée (500 tessons sont étudiés, de l’Helladique Récent jusqu’au IV e s.). Malgré l’état décourageant de la plupart, l’auteur identifie pour l’époque archaïque et classique des formes liées au rituel du banquet et au monde féminin (loutrophores). Malheureusement, ces trouvailles sont dépourvues de tout contexte stratigraphique et constituent un échantillonnage aléatoire, dont l’auteur peut seulement souligner qu’elles correspondent à l’interprétation qu’il a donnée du rituel local, concernant aussi bien les jeunes hommes que les jeunes femmes.
Dans la conclusion de l’étude du matériel, l’auteur revient sur sa conviction de l’existence d’un lieu de culte dès l’époque des tombes à chambre. En tout cas, il remarque que les sites des trois grands Artémisia de l’Attique (Brauron, Munichie, Loutsa) présentent les mêmes caractéristiques topographiques et matérielles dès cette époque et les mêmes liens avec Egine (céramiques). La même lecture est proposée pour le matériel de l’Helladique Récent IIIC, qui présente des affinités avec les trouvailles de Kalapodi. L’auteur applique implicitement cette interprétation à l’époque subgéométrique et géométrique qui aurait donc vu le culte perdurer. Cependant, ce n’est qu’au VII e s. qu’apparaissent les offrandes de type spécifiquement religieux (figurines). Celles-ci, il est vrai, ne sont pas particulièrement caractéristiques du culte d’une divinité féminine. L’abondance de coupes et de skyphoi à l’archaïsme mûr atteste l’épanouissement des pratiques de banquet à l’occasion des fêtes, en l’occurrence : des concours masculins, tandis que loutrophores et miroirs en bronze caractérisent un culte féminin. Tout cela renvoie à un culte lié au passage à l’âge adulte des jeunes gens (connotations militaires et agonistiques) autant que des jeunes filles et à leur intégration dans la communauté civique de la toute nouvelle polis.
Cet ouvrage, complété par un résumé assez copieux en langue anglaise, des catalogues de matériel, des tableaux et un appareil iconographique abondant (dessins et photographies), a d’abord l’immense mérite de fournir aux chercheurs l’intégralité des trouvailles faites lors des fouilles du sanctuaire d’Halai. L’auteur ne saurait être tenu pour responsable des lacunes de la documentation archéologique (données de fouilles) qu’il essaye avec beaucoup de mérite de compenser par des analyses aussi poussées que possible. On regrettera toutefois qu’il se soit contenté des plans et dessins d’architecture anciens (mais peut-être était-ce la meilleure solution, eu égard à la dégradation du site à l’époque contemporaine). Une mise à jour de ces documents eût été bienvenue.
Le texte lui-même est alourdi par l’introduction très fréquente de discussions à l’intérieur des descriptions (par exemple, pour justifier l’existence de deux degrés de crépis seulement, qui serait caractéristique de l’époque archaïque). Le texte y perd en force, d’autant que l’établissement de la chronologie, très problématique, aurait été mieux argumenté si tous les indices avaient été rassemblés. On ressent particulièrement cette faiblesse lorsqu’est discutée la chronologie des terres cuites architecturales qui imposent une datation au début du 5 e siècle, alors que la discussion sur le rythme de la colonnade amène l’auteur à proposer pour celle-ci une date au IV e siècle… On doit même souligner la présence de discussions un peu oiseuses (pour montrer que la crépis et les murs sont de même époque, ou sur les différents types de toitures réalisées par les anciens Grecs). Mais cet ouvrage vient combler une lacune regrettable de notre connaissance des sanctuaires de l’Attique. L’auteur a essayé de tirer le maximum de conclusions de toutes les données disponibles : cet effort méritoire a sensiblement alourdi cette publication sans permettre de remplacer complètement les données disparues. Néanmoins, il faut lui être reconnaissant d’avoir eu le courage de s’attaquer à un dossier très difficile et d’en avoir tiré le maximum.