L’ouvrage collectif édité par Estelle Galbois et Sylvie-Rougier Blanc réunit les actes d’une journée d’étude pluridisciplinaire organisée à l’université Toulouse II Le Mirail en 2011 complétés par quelques articles.
Une introduction générale et onze contributions tentent de mieux caractériser la pauvreté et les pauvres en Grèce ancienne de l’époque archaïque à l’époque hellénistique. Organisées suivant trois axes encadrés chacun par une introduction – les mots, les pratiques et les images – elles proposent une réévaluation de la figure du pauvre et de la pauvreté en croisant des sources de natures différentes. L’ensemble est complété utilement par une bibliographie générale et des index des sources, des noms de personnes et des notabilia.
Le constat et l’objectif de départ sont doubles : partir d’un phénomène contemporain médiatique et préoccupant, amplifié depuis la crise de 2008, et lui donner une place, par l’examen d’une documentation variée, dans le champ de la recherche en histoire ancienne qui privilégie habituellement les élites et les formes de richesse dans toutes leurs manifestations.
L’introduction présente un état de la question. Puis, elle expose les difficultés à définir les pauvres, la pauvreté, la misère, l’indigence et le dénuement suivant des critères socio-économiques précis et propose de le faire en recourant au vocabulaire et aux pratiques. Ainsi, la première partie, après le « témoignage » d’un sociologue du monde contemporain spécialiste des sans-abris, est consacrée à l’image poétique et très littéraire du pauvre ( pénès) et du mendiant ( ptôchos) dans les textes archaïques et classiques (S. Coin-Longeray), puis à la « recherche des pauvres » comme groupe socio-économique constitué à la période archaïque (M.-J. Werlings). L’idée est de mieux cerner la pauvreté et les pauvres, leur perception sociale liée à une situation matérielle (la privation de nourriture, de vêtements et de biens), à des caractères physiques (maigreur), à l’absence de richesse, à l’incapacité ou à la contrainte, à un mode de vie (la supplique et la mendicité) et finalement à la honte comme à la mise à l’écart sociale et politique – autant d’éléments qui définiraient un statut.
La seconde partie du livre porte sur des lieux (les nécropoles sont rapidement évoquées ; les sanctuaires ruraux [L. E. Baumer] ; les « habitats modestes, cabanes et “squats” », ou encore des espaces liminaires [S. Rougier-Blanc]) et des pratiques (l’absence de sépulture ; le réemploi de céramique cassée réparée [A. Południkiewicz] ; l’exposition préférentielle des nouveau-nés [J.-M. Roubineau]) caractéristiques ( ?) de la pauvreté pour faire émerger les pauvres de leur « invisibilité » principalement aux époques archaïque et classique mais aussi au delà. Cependant, force est de constater que, généralement, pour les contributeurs, aucun de ces lieux et aucune de ces pratiques ne sont des indicateurs suffisants pour caractériser le phénomène et le « groupe social » étudiés.
La troisième partie, quant à elle, offre des analyses sur les figurations de pauvres dans la peinture vasculaire attique des VIe et Ve siècles avant notre ère [P. Jacquet-Rimassa], puis sur les représentations de personnages disgracieux et grotesques aux fonctions apotropaïques ( ?) à l’époque hellénistique en Égypte et Asie Mineure [E. Galbois] et, en dernier lieu, sur les relations qu’entretiennent les philosophes (Cyniques ; Socrate [C. Pébarthe]), les discours philosophiques et la pauvreté. Révélatrice de qualités individuelles (vertu, mérite), la pauvreté comme argument sert notamment de fil conducteur à un discours idéologique qui contribue au maintien de l’ordre social et politique, par exemple, dans l’Athènes du début du IV e siècle avant notre ère, comme le démontre C. Orfanos par sa belle analyse du Ploutos d’Aristophane.
En définitive, ce livre a le mérite de poser des questions intéressantes sur ces « oubliés de l’Histoire », sans toutefois toujours proposer de réponses satisfaisantes. L’intérêt est néanmoins d’impulser une réflexion sur la place et le statut des pauvres et de la pauvreté dans le monde grec ancien, et de mettre en relief les difficultés à définir précisément le sujet (comme le rappelle également la conclusion) par un examen lexicographique (des termes et dérivés de penia, ptôcheia, aporia), par l’étude des pratiques de(s) pauvres ou par celle de leurs représentations. Comment, en effet, différencier convenablement pauvre et modeste ? Quelles nuances établir entre le maigre, l’infirme, le malade, le travailleur, le mal vêtu, le vieux, le difforme – des caractères qui ne relèvent pas nécessairement de formes de pauvreté – et le pauvre ? À cet égard, les contributions sont de valeur inégale ; les documents ne sont pas toujours bien contextualisés, les analyses plus ou moins convaincantes, notamment celles qui portent sur les figurations des pauvres. Les articles rassemblés montrent, en effet, la complexité à circonscrire cet objet d’étude qu’est la pauvreté et à comprendre les ambiguïtés des choix opérés par les poètes, philosophes, etc., quand ils recourent aux figures de pauvres, de même que les jeux des peintres, sculpteurs, coroplastes pour représenter, sur des objets au statut spécifique, différentes catégories d’individus qui constituent, souvent, autant de contre-modèles à un idéal type.
Pour autant, on peut saluer l’entreprise. Celle-ci pose les bases d’une recherche sur les pauvres et la pauvreté qui devrait se développer les années qui viennent. De ce point de vue, l’objectif est atteint. Le thème est, en effet, porteur. Fait d’époque, peut-être, on peut signaler la parution dans Ktèma, n° 38, 2013, d’un dossier relatif à « La question des pauvres et de la pauvreté dans le monde grec » qui complète heureusement l’ouvrage édité par Estelle Galbois et Sylvie Rougier-Blanc.