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Poursuivant une tradition bien établie, Mika Kajava, directeur de l’Institut finlandais de Rome de 2003 à 2006, a rassemblé dans un groupe de recherche ses meilleurs étudiants pour mener à bien la rédaction de ce volume. L’ouvrage est un recueil d’essais plutôt hétérogène qui invite son lecteur à voyager dans une vaste étendue géographique : de l’Italie à l’Asie mineure, en passant par la Grèce et l’Égypte. Différents aspects de la divination inspirée y sont explorés et, fait notable, une place importante est faite à la cléromancie, une branche de la divination qui a été longtemps négligée par les historiens. L’éditeur note d’ailleurs que les sujets ont été choisis parce que, pour différentes raisons, ceux-ci méritaient une plus grande attention que celle reçue jusqu’à présent. De fait, la majorité des articles s’attaquent à des thèmes attestés par un nombre très restreint de sources antiques parvenues jusqu’à nous, ce qui appelle à une très grande prudence dans la portée des conclusions qui doivent en être tirées. Bref, un ambitieux projet pour de jeunes chercheurs encore en formation. L’ensemble a le mérite d’exposer chacun des sujets de façon claire et très accessible. Il offre, pour chaque cas, une revue assez complète de la littérature, d’où l’importance de la bibliographie présente en début de volume. En général, les articles sont de bonne qualité pour un séminaire de ce type, mais aucun ne se démarque réellement par son originalité ou ses conclusions, et certains aspects méthodologiques demeurent parfois chancelants.
S.-I. Kittelä se concentre sur les rapports entre les généalogies héroïques et la création de l’ethnicité en Épire, une région qui, dans les mentalités, était à cheval entre Grèce et non-Grèce. Au fil de l’histoire, et en relation mythique ou réelle avec l’oracle de Dodone, les Grecs Achille et Néoptolème, ainsi que le Troyen Hélénos, deviennent des marqueurs ethniques, favorables ou défavorables en fonction des époques et des souverains, jusqu’à la période romaine. Ainsi la reine Olympias prétendait-elle descendre des deux lignées à la fois. Le problème demeure que nos sources anciennes ne sont pas des sources épirotes, et qu’elles nous mettent autant face à la conception que les autres Grecs se faisaient des Épirotes, via leur filiation héroïque, qu’à l’autodéfinition ethnique des Épirotes eux-mêmes. On dénote par ailleurs un usage un peu crédule des oracles littéraires et de leurs lieux communs. Les oracles tardifs, comme celui rendu à l’empereur Julien, sont suspects, comme ceux rendus avant l’expédition de Sicile ou lors de la tentative de corruption de Lysandre (e.g. Plut. Lys. 25, 1) : il eût été plus sage de partir de sources plus sûres, comme l’inscription attique de l’établissement de la déesse Bendis ( LSCG, 46). La principale difficulté réside dans le fait que ces documents, éclatés, ne nous livrent pas les fragments d’une image unique, mais de bien des images, certaines réelles, d’autres imaginaires, qui ne s’accordent pas nécessairement entre elles.
A. Lampinen revient longuement sur le personnel oraculaire de Claros et de Didymes à l’époque impériale, dans une belle étude critique des documents et des théories diverses. Sans révolutionner le propos, les conclusions, qui appellent à la prudence en raison de la diversité des rares sources et de leurs buts, sont assurément bien conduites.
En termes de prudence dans la présentation de résultats et de conclusions sujettes à cautions, M. Buchholz remporte sans contredit la palme. Celui-ci tente d’appliquer les méthodes d’analyse quantitative à l’étude des billets couplés durant la période gréco-romaine en Égypte. Cette pratique consistait à présenter au dieu deux billets exposant des affirmations antithétiques pour qu’il choisisse celui qui correspondait le mieux à sa réponse divine. Le corpus de billets oraculaires à l’étude contient des textes grecs, démotiques et coptes. L’auteur propose de comparer leur distribution, dans une approche statistique, à celle de l’ensemble des papyri existants, et ce, selon des perspectives linguistiques, chronologiques et géographiques. Plusieurs facteurs toutefois nuisent à l’exactitude des résultats et conclusions ; l’auteur en est d’ailleurs conscient et il abonde en précautions de tout genre. Tout d’abord, le caractère représentatif des données ne peut en aucun cas être établi car il est absolument impossible d’évaluer le nombre des billets oraculaires ayant existé à la période gréco-romaine. Par ailleurs, près de 200 de ces billets couplés démotiques et autant en copte sont en attente de publication et donc exclus des chiffres présentés : ceux-ci sont en fait trop souvent insuffisants pour justifier graphiques et conclusions. De plus, la date et provenance géographique des billets sont, dans la grande majorité des cas, impossibles à évaluer avec justesse. L’auteur a le mérite d’identifier toutes ces difficultés et admet qu’un statisticien rigoureux rejetterait sans doute, du revers de la main, l’ensemble du matériel. L’effort est considérable et il faut en accorder tout le crédit à l’auteur.
L. Buchholz s’attaque elle aussi à un sujet délicat : ses sources archéologiques sont très éparpillées, hétéroclites et sujettes à controverse. En effet, bien que les sortes utilisées à des fins cléromantiques aient joué en Italie antique un rôle important – là où la divination inspirée n’a eu que peu d’impact et fut même dépréciée – et qu’ils y aient laissé des traces, ils restent difficilement identifiables avec certitude. Ceux qui ont été reconnus comme tels par les chercheurs modernes sont de formes variées (plaques rectangulaires, disques, baguettes, cailloux), occasionnellement percés, et arborent des inscriptions parfois tellement courtes qu’ils pourraient tout autant être associés à des offrandes votives, ou funéraires, qu’à des étiquettes ou amulettes, et n’évoquent pas nécessairement un contexte oraculaire. L’auteur fait preuve d’un sain esprit critique lorsqu’elle passe en revue ces objets considérés, de nos jours, comme étant des sortes et rejette ou du moins émet de sérieux doutes sur plusieurs d’entre eux. Elle aurait eu avantage, par contre, à maintenir cet esprit critique et cette prudence dans les quelques comparaisons avec le monde grec : par exemple, l’article suggère à deux reprises (p. 112 et note 99 p. 134) que les lamelles oraculaires de Dodone étaient utilisées dans le cadre d’une procédure cléromantique, ce qui est loin d’être admis par la totalité, ni même la majorité, des spécialistes dans le domaine.1 Sinon, il s’agit d’un excellent survol du phénomène en Italie.
Autre sujet, autre problème au niveau des sources anciennes : bien que l’existence des livres sibyllins soit bien attestée dans les sources littéraires anciennes, leur contenu demeure un mystère. C’est ce à quoi conclut, très justement, J. Keskiaho. Ce dernier s’attache d’abord à retracer tout la légende de la vente des livres à un des Tarquin, dans ses différentes versions, pour s’intéresser ensuite aux méthodes de consultation de ceux-ci et de transmission des prédictions. Mais ce sont avant tout les efforts de reconstruction du livre après leur(s) destruction(s) par le feu et leurs subséquentes utilisations qui retiennent l’attention de l’auteur. Il est très difficile d’aborder ce sujet puisqu’il est totalement impossible de départager la légende des faits. Comme bien d’autres avant lui, et non des moindres, l’auteur se prête un peu naïvement au jeu.
S. Randén aborde les oracles ambigus relatés dans les sources littéraires, en particulier dans la vie des empereurs romains, souvent faites de motifs cousus de fil de blanc. L’auteur souligne à bon escient leur valeur douteuse quant à l’histoire des faits, mais leur intérêt redoublé en ce qui concerne la mentalité des gens et des époques qui les colportaient. Sans être complet, le catalogue dressé en fin d’article est très commode, et permet de traverser les époques et les genres littéraires pour saisir les usages de l’oracle – toujours reconnu comme véridique par les anciens – dans les traditions littéraires. Il reste difficile de savoir si, comme Randén le voudrait, les empereurs consultaient les oracles pour donner à leurs décisions un poids religieux et propagandaire, vu que nous ne possédons que des exemples littéraires, dont le niveau de liberté créatrice est bien connu dès Hérodote. L’idée même d’utiliser le dieu à des fins intéressées est une conception qui demeure risquée dans l’appréhension des réalités antiques connues par le biais des documents épigraphiques.
O. Kaltio enfin s’intéresse à la façon dont le chrétien Lactance, un excellent maître de rhétorique qui s’adresse au païens, récupère dans les Institutions divines une partie du fonds mantique païen, – lequel est pourtant rejeté en grande partie comme démoniaque, – pour défendre le christianisme qui s’affirme. Il s’agit avant tout de certains oracles apolliniens, des Sibylles, d’Hermès Trismégiste et du mage Hystaspe. Les raisons de cette récupération demeurent incertaines, mais ces voix prophétiques appartiendraient au lointain passé et seraient présentés par Lactance sous un jour « proche » des prophètes bibliques, eux aussi directement inspirés par Dieu, mais surtout dans un état conscient et non ekphrones comme était censée l’être la Pythie. L’article est clair et convaincant.
Table des matières
Bibliography, p. 9-28
Sanna-Ilaria Kittelä, Dodona and Neoptolemus : Heroic Genealogies and Claims of Ethnicity, p. 29-47
Antti Lampinen, Theōi memelēméne Phoíbōi – Oracular Functionaries at Claros and Didyma in the Imperial Period, p. 49-88
Matias Buchholz, Questions to Oracles in Graeco-Roman Egypt : A Quantitative Approach to Papyrological Evidence, p. 89-109
Laura Buchholz, Identifying the Oracular Sortes of Italy, p. 111-144
Jesse Keskiaho, Re-visiting the Libri Sibyllini : Some Remarks on Their Nature in Roman Legend and Experience, p. 145-172
Suvi Randén, ‘Through Ambiguous Words, as is the Custom of Oracles’ – Oracles, Roman Emperors and Imperial Historians, p. 173-197
Outi Kaltio, Valuing Oracles and Prophecies : Lactantius and the Pagan Seers, p. 199-213
Indices, p. 215-224
Notes
1. D’ailleurs, Eidinow 2007, 67-71, 138, qui est citée, n’évoque cette hypothèse que parmi d’autres. En fait, un seul témoignage littéraire tardif parle de sorts à Dodone, et il n’est pas sûr qu’il ne s’agisse pas là d’une pure invention.