L’auteur, Kenneth F. Kitchell Jr., est professeur de classics à l’University of Massachusetts, Amherst Mass. Il a consacré une bonne partie de ses recherches aux animaux dans l’Antiquité et au Moyen Âge. L’ouvrage qu’il présente aujourd’hui est un dictionnaire dans une collection maintenant bien connue.1 Avec ses 280 pages de texte, Animals in the Ancient World permet d’examiner de multiples aspects de l’histoire des animaux dans le monde gréco-romain.
Les animaux dans la civilisation gréco-romaine ont longtemps été considérés comme n’étant qu’un sujet anecdotique. Cela n’empêche pas qu’ils aient fait l’objet d’études dès la fin du XIX e s. Depuis les années 1980, une approche plus anthropologique des cultures de la Grèce et de Rome, en abolissant l’ancienne hiérarchie des sujets de recherche, a permis de valoriser l’animal comme mode d’approche du passé. Cela a eu de multiples conséquences pour les sciences de l’Antiquité. Les spécialistes de littérature se sont occupés du rôle des animaux chez différents auteurs de l’Antiquité, les archéologues ont développé l’archéozoologie et les historiens ont examiné aussi bien les formes de l’exploitation de la ressource animale que les représentations sociales et symboliques. L’animal permet donc d’aborder de multiples aspects de la vie des Grecs et des Romains : art, économie, religion, etc.
Que des synthèses de ces recherches soient maintenant proposées au public est naturel. Le volume de Kitchell commence par une rapide préface. Elle justifie le sujet et les choix faits par l’auteur tout en présentant aussi l’histoire des recherches sur les animaux dans l’Antiquité. Les oiseaux sont exclus de l’ouvrage car ils ont déjà fait l’objet d’un remarquable volume dans cette même collection Routledge, sous la plume de W.G. Arnott.2 Ceci complète sans le remplacer le livre sur les oiseaux grecs publié avant la Seconde Guerre Mondiale par D’Arcy Thompson.3 Les poissons sont aussi exclus du livre de Kitchell parce qu’en 1947, le même D’Arcy Thompson leur a consacré un autre livre.4 Kitchell a en revanche inclus les insectes dans son livre, mais en se contentant d’espèces majeures tout en signalant que pour plus de détails, on possède de bons livres sur les insectes.5 Dans sa préface, l’auteur aurait pu cependant mieux mettre en valeur l’importance des travaux anciens du savant allemand Otto Keller6 ainsi que l’apport de certains articles consacrés à des animaux dans la grande Pauly-Wissowa. En effet ces études que Kitchell connaît et utilise ont été une étape majeure de la recherche.
Sur le plan chronologique, Kitchell traite du monde gréco-romain au sens large puisqu’il intègre souvent les données concernant l’époque mycénienne. Il va jusqu’à l’Antiquité tardive, mais sans aborder la place des animaux dans le christianisme antique.7 Le lexique, qui s’étend sur un peu plus de deux cents pages, est très nettement dominé par des articles consacrés à différentes espèces animales, sauvages ou domestiques. Outre les choix de ne pas traiter des oiseaux et des poissons et d’être délibérément sélectif pour les insectes, Kitchell a aussi décidé de ne pas inclure des espèces mythiques, comme les griffons, mais il comporte en revanche des animaux fantastiques, comme la leucocrota, la strix ou le loup-garou. Les singes et les serpents reçoivent une grande attention et sont traités de manière très détaillée. C’est l’occasion de solides articles comme celui sur les pythons. Pour les serpents dans l’Antiquité, Kitchell a pu s’appuyer sur le récent volume de la revue Anthropozoologica.8 Pour les singes, il avait à sa disposition notamment l’ouvrage de McDermott.9 Kitchell intègre aussi beaucoup d’animaux exotiques aux yeux des Grecs et des Romains. Certains étaient connus pour avoir été montrés au public, notamment dans le cadre de l’amphithéâtre, comme le rhinocéros. D’autres, comme le babiroussa (un suidé asiatique) ou l’ours polaire, ne sont documentés que de manière très incertaine dans les sources gréco-romaines. Les entrées concernant les animaux se font de deux manières : a) par leurs noms en anglais (ex. horse), lorsque l’animal ne pose pas de problème d’identification ; b) par leurs noms en grec ou en latin, lorsqu’il y a des débats d’identification (c’est le cas pour beaucoup de serpents). Quelques articles sont plus généraux et recouvrent plusieurs espèces : il y a par exemple une entrée snake. La longueur des différents articles est naturellement variable. Cela va d’un seul paragraphe à plusieurs pages ; cette longueur reflète les centres d’intérêt de l’auteur et la documentation disponible ; pour certains animaux bien étudiés, Kitchell a estimé qu’il pouvait être plus synthétique. On notera par exemple que le crocodile bénéficie d’un article de 5 pages, que le chien a 6 pages, alors que le lion n’a droit qu’à 3 pages et le cheval à moins de 3 pages.
Les articles sur les animaux sont organisés de manière régulière et cela aide beaucoup le lecteur. Kitchell commence par les questions d’identification et par une présentation de l’espèce étudiée (éthologie, présence de l’animal étudié dans l’espace méditerranéen …). Il aborde ensuite les connaissances que les Grecs et les Romains avaient de cet animal et les rapports que les hommes entretenaient avec lui. Suivent des remarques sur l’image culturelle de l’animal et sur sa présence dans l’iconographie (sur ce plan, l’ouvrage souffre en revanche de la maigreur de l’illustration). Kitchell en revanche a volontairement décidé de ne pas mettre l’accent sur les mythes ou la vie religieuse (voir sa justification p. XIII). Il ne fait qu’un emploi modéré de la parémiographie. Les articles, comme le veut la collection, sont dépourvus de notes mais s’achèvent sur des renvois à des articles complémentaires et par une liste bibliographique. Quelquefois, un article comporte des sous-paragraphes : l’article « crocodile » par exemple avec les différentes espèces de crocodiles que les Anciens ont pu connaître. Le système de renvois est en général très pratique, même s’il amène parfois le lecteur à tourner en rond (par exemple locust renvoie à akris qui renvoie à grasshopper : on aurait pu y aller directement). Dans tout le système, il y a évidemment des points forts, par exemple à propos des questions d’identification, qui intéressent beaucoup Kitchell. D’autres aspects sont moins développés : on aurait pu espérer une plus grande utilisation des données de l’archéozoologie. Mais il est évident qu’un livre comme celui-ci dépend des curiosités de son auteur et reflète sa formation comme sa personnalité. Les articles sont très cohérents et c’est là l’essentiel.
Une minorité d’articles sert à aborder des thèmes transversaux. Disons-le : ces articles-là sont très peu nombreux et leur choix semble parfois arbitraire. On a certes par exemple des articles consacrés aux noms donnés à des animaux, à la législation sur les animaux, à la bestialité, aux animaux familiers ( pets), même un article sur la mosaïque de Préneste et un autre sur Ptolémée II Philadelphe — en raison de l’importance que l’animal a eu dans la mise en scène de son pouvoir —, mais on s’étonne de certaines absences. Pourquoi n’y a t-il pas un article sur la chasse, un sur l’élevage, un sur l’animal dans le sacrifice ? Pourquoi ne pas avoir fait un article sur le concept même d’animal ? Certes, ces questions sont abordées au fil des articles sur les espèces animales, mais le lecteur qui recherchera ce genre d’informations aura bien du mal à les trouver, car les index ne sont d’aucune aide sur ce point. Le seul vrai regret porte donc sur ce manque d’une plus grande logique dans l’approche transversale.
L’ouvrage se termine par une longue bibliographie de 34 pages présentée sur le mode anglo-saxon. Elle permet de prendre connaissance de toutes les études majeures parues en anglais sur la question et, à n’en pas douter, elle sera utile à bien des chercheurs qui suivent les travaux sur les animaux dans l’Antiquité. La bibliographie non anglophone est en revanche inventoriée de manière moins systématique. L’index général permet de se repérer dans l’ensemble du lexique. Les mots grecs sont donnés en translitération latine. La encore les noms d’espèces l’emportent. L’index des noms d’animaux selon la nomenclature scientifique (en latin) sera particulièrement utile puisqu’il permettra au lecteur, quelle que soit sa langue, de savoir où il doit chercher l’animal qui l’intéresse.
Avec un ouvrage de ce genre, le lecteur dispose désormais non seulement d’un guide dans son travail, lorsqu’il se retrouve confronté à des questions sur l’animal, mais il peut aussi jouir du plaisir du dictionnaire, plaisir qui s’apparente à celui de la promenade sans but. Pour ma part, ce plaisir reste associé au livre en format papier. Il faut remercier les éditions Routledge de continuer à imprimer ce genre d’outils de travail et de ne pas faire basculer totalement cette forme de recherche vers la diffusion électronique, quels qu’en soient les avantages.
Notes
1. Voir déjà A. Dalby, Food in the Ancient World from A to Z, Londres-New York, 2003 ((Routledge, xvi, 416 p.) ou L. Cleland, Gl. Davies and Ll. Llewellyn-Jones, Greek and Roman Dress from A to Z, Londres-New York, 2007 (Routledge, xiv, 226 p.).
2. W. G. Arnott, Birds in the Ancient World from A to Z, Londres-New York, 2007 (Routledge, xiv, 290 p.).
3. D’A. W. Thompson, A Glossary of Greek Birds, Londres et Oxford, 1936. La consultation de ce livre reste indispensable.
4. D’A.W. Thompson, A Glossary of Greek Fishes, Londres, 1947.
5. Notamment M. Davies et J. Kathirithamby, Greek Insects, Londres, 1986, et I.C. Beavis, Insects and Other Invertebrates in Classical Antiquity, Exeter, 1988.
6. O. Keller, Die antike Tierwelt, 3 vol., Leipzig, 1909-1920.
7. Voir M.P. Ciccarese, Animali simbolici. Alle origini del bestiario cristiano, Bologna, 2002 et 2007.
8. Anthropozoologica, 47.1 (2012) ; volume coordonné par S. Barbara et J. Trinquier.
9. W. C. McDermott, The Ape in Antiquity, Baltimore, 1938.