[La liste des articles est donnée à la fin de la présente recension.]
Voici que paraît, en l’espace de deux ans seulement, le neuvième fascicule de la collection ECHO, dirigée par Giovanni Cipriani et publiée sous l’égide de l’Université de Foggia. Au sein de la série alternent essais individuels et ouvrages collectifs : c’est de cette deuxième catégorie que relève le présent volume. Comme les précédents, ce recueil aborde la question de la réception de l’Antiquité, envisagée dans son sens le plus large, ainsi que s’en explique Cipriani dans sa brève préface. Quelles qu’en soient les causes profondes,1 il s’agit décidément d’un des domaines les plus dynamiques de nos études classiques.
Sergio Audano propose une introduction qui résume commodément les différentes contributions.
Giancarlo Mazzoli s’intéresse à l’image de Sénèque chez Diderot. Après avoir rappelé les controverses qui entourent la figure du stoïcien au XVII e siècle et au début du XVIII e, il note que Diderot se montre d’abord froid, voire critique à l’égard du Cordouan. Mazzoli étudie ensuite l’influence de Sénèque sur le Paradoxe du comédien (notamment sur la façon de jouer la colère). La dernière partie de l’article revient sur l’ Essai sur les règnes de Claude et Néron (1778 1; 1782 2), qui consiste au fond pour une large part en une apologie historique, morale et littéraire du précepteur de Néron. Ce commode et judicieux aperçu pourra être utilisé en complément d’autres synthèses.2
Valeria Viparelli retrace la succession des représentations iconographiques et littéraires d’Ariane en tant que « belle endormie », c’est-à-dire lors de sa rencontre avec Dionysos. Cette légende eut d’abord une existence parallèle au mythe de l’abandon par Thésée, avant que les deux se fondent au V e siècle a.C. Si la scène revient souvent sur des vases anciens, ce qui prouve sa popularité, les témoignages littéraires sont moins nombreux. Viparelli s’intéresse surtout à l’élégie I, 3, de Properce. Le poète, découvrant Cynthie endormie, belle comme une statue de pierre (l’image était déjà chez Catulle et se retrouvera chez Ovide), pense à Ariane, mais aussi à Andromède ou à une Bacchante. L’auteur analyse très finement le trouble du poète ivre et son extase devant la jeune femme. La dernière partie de l’élégie, la lamentation de la belle, transforme en quelque sorte le poète en Thésée. Viparelli passe ensuite en revue les occurrences du personnage dans la poésie hellénistique (Nonnos de Panopolis, Anthologie palatine et Anthologie de Planude), avant de s’attarder sur la treizième Élégie romaine de Goethe : cette fois-ci, c’est le poète qui est comme pétrifié par la femme assoupie. Le poème Der Besuch, du même, est quant à lui une brillante récriture de l’élégie de Properce.
Marco Fernandelli résume les principes de la Rezeptionstheorie élaborée par Hans Robert Jauss (et affinée par Wolfgang Iser), avant de les appliquer au carmen 64 de Catulle. Il est difficile de résumer cette communication riche et ardue, qui se conclut par une réflexion plus générale sur les Reception Studies : celles-ci ne doivent pas négliger les théories élaborées par des penseurs comme Jauss ou Iser, sous peine de se réduire à une série de constats empiriques et d’enquêtes isolées, dépourvues de méthode solide et inaptes à donner lieu à une approche véritablement neuve des textes anciens.3
Yasunari Takada se penche sur la fortune de la littérature antique dans la culture japonaise. La première vague, c’est-à-dire les rudiments apportés par les missionnaires espagnols et portugais au XVI e siècle (avec des cours et quelques traductions), n’a pas laissé d’empreinte durable du fait de la politique isolationniste adoptée dès le début du XVII e siècle. Au milieu du XIX e siècle, résolus à moderniser le Japon technologiquement, mais aussi culturellement, les dirigeants s’inspirent de la pensée des grandes nations, en particulier l’Allemagne. Or celle-ci est plutôt philhellène. Par conséquent, si les traductions du grec se multiplient, le latin est réduit à la portion congrue, comme le montrent les exemples de Virgile et (à un degré moindre) d’Horace. Cette étude méticuleuse donne à voir un aspect méconnu, mais passionnant, de la diffusion des textes antiques dans le monde.
Les deux derniers articles sont de pieuses offrandes à la mémoire de Emanuele Narducci, grand spécialiste de Cicéron et de Lucain brutalement disparu en 2007 à l’âge de cinquante-sept ans, et qui donne désormais son nom au « Centro di Studi Sulla Fortuna dell’Antico » de Sestri Levante, organisateur du colloque à l’origine du présent volume.
Giovanni Mennella a exhumé des documents difficilement accessibles pour éclairer un épisode marquant de la jeunesse toscane de E. Narducci. En 1965, ce dernier découvrit à l’âge de quinze ans, en compagnie d’un médecin tout aussi amateur que lui, un important site étrusque qu’il signala aux services archéologiques de la région : la tombe dei Boschetti et le tumulus de Montefortini. Il consacra deux solides articles à ces monuments (une présentation dans un journal local et une analyse plus poussée dans une revue), qui témoignent de sa maturité et de sa vivacité intellectuelle ; la recherche postérieure a d’ailleurs confirmé une bonne part des déductions du brillant lycéen. La précision avec laquelle Mennella a mené son enquête, enrichie par plusieurs documents photographiques, est sans doute l’un des meilleurs hommages que l’on pouvait rendre à la rigueur et à l’exigence scientifiques qui furent celles de Narducci.4
Enfin, Rosario Pintaudi évoque brièvement les cours de papyrologie de M. Manfredi que Narducci suivait à l’Université de Florence, et son premier article : une note critique consacrée à un fragment de Callimaque.
On le voit, les thèmes des interventions sont très variés, et le sujet choisi par Takada semble même extérieur au périmètre géographique défini par le titre. Il n’en reste pas moins que ces contributions solides et (généralement) claires seront très profitables à tous les antiquisants soucieux de mieux connaître la fortune de leur discipline. Quant à l’éclairage apporté sur Narducci, il est de nature à accroître encore l’admiration qu’on lui porte et le regret qu’on éprouve à l’idée de sa mort prématurée.
Table of Contents
Giovanni Cipriani : « Prefazione ».
Sergio Audano : « Premessa ».
Giancarlo Mazzoli : « Seneca e Diderot ».
Valeria Viparelli : « La scoperta della Bella Addormentata : Arianna da Properzio a Goethe ».
Marco Fernandelli : « Fortuna e ricezione del testo antico : il caso di Catullo 64 ».
Yasunari Takada : « La diffusione di Virgilio e Orazio, ovvero la letteratura latina al di là delle culture ».
Giovanni Mennella : « Il momento etrusco di Emanuele Narducci ».
Rosario Pintaudi : « Narducci e la papirologia : il ricordo di un amico ».
Notes
1. Fernandelli (p. 86) n’a sans doute pas tout à fait tort quand il met en avant, pour expliquer l’essor de ce domaine, l’ardent désir des antiquisants d’échapper à l’extinction universitaire qui leur est promise s’ils se cantonnent à la philologie traditionnelle.
2. Nous pensons notamment à M. Spanneut, « Permanence de Sénèque le Philosophe », BAGB, 1980, 361- 407 (surtout 402-403) et Ch. Grell, Le XVIII e siècle et l’Antiquité en France, Oxford, 1995, 1108-1113.
3. Peut-être vaudrait-il la peine de mettre en regard un bref essai de R. L. Fowler : « Why Every Good Classicist Hates Theories, or the View from Parnassus », Classical Views, n. s. 1, 1982, p. 77-81.
4. Exigence qui le menait à prendre des positions fermes et courageuses : on pense notamment à sa critique dévastatrice d’un certain « déconstructivisme » anglo-saxon appliqué à Lucain (« Deconstructing Lucan ovvero Le nozze [coi fichi secchi] di Ermete Trismegisto e di Filologia », Maia 51, 1999, 349-387).