L’ouvrage reprend les textes d’un colloque de 2006.
1. L’introduction (p.1-15) par Ch. Smith et W.J. Dominik, souligne que l’ouvrage est pour l’essentiel consacré à Cicéron, présente une synthèse des contributions, et ouvre vers des perspectives plus larges: notamment poésie impériale (épique et satirique), rhétorique impériale de l’éloge (surtout Pline et son Panégyrique, offrant plusieurs degrés de lecture), et enfin tradition de l’éloge à la Renaissance.
2. « Self-serving sermons : oratory and the self-construction of the republican aristocrat » (p.17-34), par K.-J. Hölkeskamp, appuie le concept de « self-construction » sur celui de « self-fashioning » développé par S. Greenblatt. Pour remplir cette fonction, l’excellence oratoire est requise aussi bien de l’ homo nouus, développant une rhétorique de la uirtus personnelle dans le cadre d’un système de mérites et de récompenses, que l’ homo nobilis, privilégiant une rhétorique d’accumulation des mérites familiaux: c’est un même processus permanent de définition/construction de soi à l’intérieur de la structure compétitive d’évaluation et classement de l’élite. L’adresse directe aux divers publics procède alors selon un mode asymétrique: fort de cette construction de soi, l’orateur assume la position d’autorité au sein d’une collectivité partageant un même code de valeurs, incluant la soumission aux relations de pouvoir instituées, aux hiérarchies internes et à l’ auctoritas.
3. « Cicero’s oratory of praise and blame and the practice of elections in the late Roman Republic » (p.35-47), par C. Steel, étudie deux textes relativement peu considérés de Cicéron, et examine l’invective contre les concurrents de l’orateur, Antonius et Catilina, dans l’ In toga candida, connu par Asconius, et la critique de Laterensis, concurrent malheureux et accusateur dans le Pro Plancio; il s’agit pour Cicéron de créer, pour chacun des acteurs, des identités qui reconnaissent à chacun ce qui lui revient et puissent en même temps conforter le jugement populaire exprimé dans les votes.
4. « Historical exempla as tools of praise and blame in Ciceronian oratory » (p.49-67), par H. van der Blom, étudie plus spécifiquement les exempla familiaux, tant du point de vue de la théorie ( De inu. 2,106-7; Rhet. Her. 3,13; Part. Or. 70-74) que de la pratique, à propos de: Antoine en Phil. 1; Metellus Nepos en Pro Sestio; Clodius en De domo sua; Clodia en Pro Caelio; le diptyque – uni par des liens de famille – L. Iulius Caesar en Cat. 4 et Antoine à nouveau en Phil. 2, cas le plus intéressant peut-être, qui pose la question du choix de l’ exemplum familial à suivre; la stratégie cicéronienne est particulièrement illustrée par le traitement de la relation entre tradition familiale et traits de caractère dans le cas des Pisones, L. P. Frugi en Verr. 2,4,56 et L. P. Caesoninus en Pro Sestio : l’auteur conclut (p.59): « Piso’s false claim to the Frugi branch is testimony to his corruption and degeneracy while Cicero’s revelation of Piso’s false claim signals his own virtuous character and fitness to lead the audience to proper Roman conduct worthy of the ancestors ». Enfin, est examiné le traitement du problème moral en Off. 1,115-121: il ne s’agit pas de chercher à atteindre les mêmes résultats ( gloria et laus), mais d’abord de reproduire les mêmes qualités morales, message qui s’adresse, de fait, à Marcus fils, destinataire du traité, dans son rapport à l’ exemplum paternel. J’ajouterais d’ailleurs au propos de H. van der Blom que ce message s’adresse tout autant, sinon d’abord, au jeune Octave, dans son rapport à l’ exemplum césarien, qui est bien souvent au cœur de la réflexion de morale politique dans le traité.
5. « The laudatio funebris as a vehicle for praise and admonition » (p.69-81), par R. Covino, situe d’abord l’éloge funèbre romain dans le contexte du « spectacle du pouvoir », et montre que la présence symbolique des ancêtres (via les masques portés par des acteurs) transforme l’événement en séance de jugement, à la fois du défunt par ses aïeux et des vivants présents (famille et citoyens) par ces figures du mos maiorum : d’où une forte pression pour rivaliser avec ces exemples, et l’édification d’une culture commune partagée par la collectivité. Toutefois, à partir du 1 er siècle avant J.-C., la prolifération des exemples familiaux explique aussi le recours à d’autres formes de consécration du souvenir: notamment dans les monuments funéraires (tombeau de Caecilia Metella, pyramide de Cestius), ou bien à travers les œuvres littéraires immortalisant la mémoire d’un auteur.
6. « The whole truth? Laudationes in the courtroom » (p.83-98), par R. Rees, s’intéresse à un sujet peu étudié, la laudatio iudicialis (le témoignage de moralité apporté pendant un procès), dès l’antiquité perçue contradictoirement : soit avec le cynisme de Cic., Ad fam. 1,9, qui ironise sur leur hypocrisie, soit dans l’idéalisation du passé chez Fronton ( Ad amicos 1,1). L’étude de la mise en cause, dans le Pro Flacco, de la crédibilité des éloges émanant de Grecs, et du traitement, souvent ironique, de celui, forcé, de Verrès par Heius dans le De signis, montre que la valeur de la laudatio procède de l’autorité sociale des témoins. Son poids s’explique aussi par le caractère des quaestiones perpetuae, qui privilégient la confrontation plutôt que l’enquête, et également par l’importance des liens d’ amicitia et des relations de patronat. L’examen du cas de la laudatio de Vatinius par Cicéron en 54 conclut, contre Shackleton Bailey, qu’il n’y eut pas deux procès, mais un seul où Cicéron intervint à la fois comme patronus et comme laudator.
7. « Cicero and the ‘false dilemma’ » (p.99-109), par R. Seager, met en lumière le procédé cicéronien consistant à exclure a priori un troisième terme, précisément celui qui offrirait une explication plus vraisemblable: l’avocat élimine ainsi des options embarrassantes pour son client, simplifie le débat et coupe court aux doutes éventuels chez les jurés. Ainsi, dans le Pro Roscio Amerino, le Pro Cluentio, le Pro Caelio et le Pro Milone. La réflexion est intéressante, mais lointain le rapport avec la rhétorique de l’éloge et du blâme.
8. « Blaming the people in front of the people: restraint and outbursts of orators in Roman contiones » (p.111-125), par M. Jehne, part du cas de Scipion Nasica devant le peuple en 138 (Val. Max. 3,7,3), analyse l’attitude de Cicéron attaquant la rogatio agraria de Rullus, et conclut que, si l’orateur de rang sénatorial traite le peuple en contio comme assemblée d’ imperiti, ayant donc besoin d’aide pour juger correctement, il s’efforce de faire preuve d’une débonnaireté (« joviality ») qui entérine la différence de statut mais évite la prépotence. C’est cette faute qui explique deux cas de conflit: Scipion Aemilianus en 130, et Bibulus en 59, le premier ayant violé les conventions de la contio, et le second ne respectant pas le droit du peuple à décider en dernier ressort. En revanche, César en 59 sut tirer la leçon de l’échec de Rullus quatre ans plus tôt sur la même question agraire, en faisant en sorte de se prémunir de l’accusation de profit personnel. Un autre type de violation des règles, cette fois de la part d’un plébéien constitué en auctor cupiditatis, est illustré chez Tite Live (3,71-72) par l’intervention fâcheuse de Scaptius dans un débat diplomatique.
9. « Violating the principles of partnership : Cicero on Quinctius and Naevius » (p.127-143), par J. Harries, étudie ensemble le Pro Quinctio et le Pro Roscio Comoedio : dans les deux cas, le blâme moral est associé à l’argumentation juridique sur la question de la societas, qui elle-même comporte une dimension morale et sociale, dans l’exigence de bona fides. Fannius Chaerea est comparé aux personnages de bouffons malhonnêtes, précisément ceux que Roscius interprète sur scène; Naevius, lui, ne correspond pas au bonus uir de la législation sur les societates, car il est dépourvu de la bona fides exigée aussi bien d’un socius que d’un parent dans la vie sociale; parallèlement, est entretenu le flou sur la survivance, ou non, de la societas après la mort de Caius Quinctius.
10. « Combating the odium of self-praise: Cicero’s Divinatio in Caecilium » (p.145-163), par K. Tempest, examine d’abord les deux causes alléguées d’hostilité possible envers l’orateur, son âge et ses motivations: le premier thème lie l’âge avec l’autorité, le second déplace l’attention sur la critique de l’inaptitude de Caecilius. L’étude recherche ensuite les topoi empruntés aux classiques de l’éloquence attique: la pose du « reluctant prosecutor » est reprise de Démosthène, Contre Midias, et conduit à un renversement des rôles de l’accusation et de la défense; la caractérisation implicite, par contraste, de l’orateur comme le plus capable de mener l’accusation remonte à Eschine, Contre Ctésiphon, tandis que l’anticipation de la stratégie adverse procède du Contre Timarque : et grâce à elle, Cicéron exploite la figure d’Hortensius comme un miroir de son propre talent oratoire, promettant aux jurés une belle joute en forme de défi lancé à l’illustre adversaire.
11. « Invective identities in Pro Caelio » (p.165-179), par W. J. Tatum, distingue: d’une part, les représentants de la partie adverse sont décrédibilisés par identification aux stéréotypes de la comédie; d’autre part, l’avocat, qui manipule habilement ces stéréotypes, fait ressortir, par contraste, sa propre crédibilité, comme voix d’autorité de l’orateur romain, incarnation de la virtus, invitant à l’adhésion l’auditoire dont il conforte le conservatisme moral et le sexisme. L’étude s’inscrit ainsi expressément en faux contre l’interprétation de K. Geffcken ( Comedy in the Pro Caelio, Leiden, 1973) qui étend l’identification comique à la personne de l’avocat, sous les traits de l’esclave rusé arrachant l’ adulescens Caelius aux griffes de la meretrix Clodia.
12. « Praising Caesar: towards the construction of an autocratic ruler’s image between the Roman Republic and the Empire » (p.181-198), par C. Rosillo López, entreprend d’abord une reconstruction du contenu de l’ Epistula ad Caesarem composée par Cicéron en 45, en rapprochant le peu que l’on sache sur ce texte des éléments constitutifs du genre du Speculum principis; l’auteur s’appuie surtout sur la Lettre à Alexandre, attribuée à Aristote, ainsi que sur le Pro Marcello. Sa conclusion souligne que, en déplaçant ensuite l’éloge sur le terrain de la critique littéraire, commun à son destinataire et à lui-même, Cicéron a pu sortir de l’impasse politique de la flatterie au despote: « it was the only means to keep the Roman tradition of libelli and treat the addressee on the same footing as the addresser » (p.194).
13. « The function of praise and blame in Cicero’s Philippics » (p.199-214), par G. Manuwald, souligne comment la combinaison d’éloges et de blâmes, adressés aux différents acteurs du conflit avec Antoine, a avant tout un objectif pratique, celui d’infléchir les décisions du Sénat, ou de tels ou tels individus, en conditionnant l’affect de l’auditoire, et en éclairant ce qui doit être encouragé ou bien condamné. En ce sens, le blâme, si massivement présent dans ces textes, ne peut pas être dissocié de l’éloge, versant complémentaire d’une même stratégie rhétorique.
Le livre présente peu d’erreurs matérielles. Doivent être corrigées, en index : Orat. 252 ne doit pas figurer dans la rubrique « Cicéron », mais dans « Caton », et la référence est « 32n20 (et non n30) »; en bibliographie: le titre exact de l’article de R.D. Rees 2007a est « Panegyric ».
En conclusion: tous les auteurs ont su mettre en valeur leurs réflexions, et les appuyer sur des références précises et sûres. L’identité même, aussi la bonne volonté, de tels contributeurs, assurent une notable représentation de l’érudition germanique dans la documentation bibliographique; en revanche, les travaux écrits en français ou en italien sont extrêmement sous-représentés; pour ne donner qu’un exemple, nulle part n’est mentionnée l’importante thèse de Laurent Pernot sur La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain (Paris, 2 vol., 1993). Peut- être le recueil présente-t-il peu de grandes nouveautés, notamment par rapport aux autres travaux de plusieurs des intervenants, mais, à ce titre, il offre d’utiles synthèses, et permet un commode tour d’horizon de la question, illustrée par des points de vue variés, souvent complémentaires, avec cette réserve que l’amplitude annoncée par le titre est démentie par la réduction, pour l’essentiel, à la pratique cicéronienne (ainsi ne trouve-t-on presque rien sur les discours présents chez les historiens, par exemple). C’est dans l’ensemble un livre de belle qualité, qui se lit avec intérêt et profit.