BMCR 2011.06.53

Religions of the Ancient Near East

, Religions of the Ancient Near East. Cambridge/New York: Cambridge University Press, 2011. xii, 179. ISBN 9780521683364. $25.99 (pb).

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Présenter l’ensemble des religions du Proche-Orient en 179 pages est un défi. Daniel C. Snell l’a courageusement relevé et propose à ses lecteurs une synthèse agréable à lire qui balaie les principales thématiques, aires géographiques et périodes en 17 chapitres. La qualité majeure de cet ouvrage est la conjonction entre une érudition vaste et profonde et une présentation accessible aux non spécialistes. Certes, parfois, on y perd en précision ou l’on tombe dans certaines généralisations que les spécialistes regretteront, mais l’objectif est de fournir un premier panorama que les indications bibliographiques permettront, le cas échéant, d’approfondir.

La matière historique prise en compte étant fort éloignée dans le temps et dans l’espace, les représentations, les pratiques, les sensibilités religieuses étant nécessairement très différentes des « nôtres » aujourd’hui, D.C. Snell propose, au début de chaque chapitre, une sorte de contextualisation narrative. Partant d’une citation de moderne, il reconstitue une scénette qui donne vie aux acteurs, aux paysages, aux façons de penser et d’agir de la société envisagée. C’est une fiction originale, une trouvaille « pédagogique » intéressante qui joue bien son rôle et permet d’éviter une trop grande désincarnation de l’exposé qui fait suite. Un autre mérite de D.C. Snell est sa capacité à faire souvent l’aller-retour entre le présent et le passé, qu’il s’agisse d’événements, de paysages, de pratiques… Dans ce va-et-vient, il souligne à la fois les similitudes et les différences, en faisant donc un usage pertinent de l’analogie. Le premier chapitre décrit le théâtre de l’enquête : le Proche-Orient, tandis que le second s’attache à l’éclosion des cultures de la première urbanisation et aux premières manifestations de cultes (dieux de la nature, dieux familiaux, etc.). Est-il légitime de parler déjà de « syncrétisme » (p. 12) pour ces très hautes époques ? On peut en douter, surtout si on définit ce processus comme « the identification of one god with another of a different name but somewhat similar characteristics » (p. 12). Le chapitre 3 affronte la question centrale de ce qu’est un dieu. L’auteur souligne leurs caractéristiques, propose une typologie et montre bien que les lignes de partage entre dieux, de même qu’entre dieux et hommes, sont plus complexes qu’il n’y paraît. S’agissant des équations interculturelles entre dieux, on regrettera qu’il ne renvoie pas à l’ouvrage récent de Mark Smith, God in Translation: Deities in Cross-Cultural Discourse in the Biblical World, Tübingen 2008. Le chapitre 4 se concentre sur le rôle des dieux dans les cités, les Etats et les empires (Sargon, Ur III, Hammourabi, Assyrie), où l’on voit comment les souverains utilisent les cultes comme levier de légitimation, en arrivant même dans certains cas à la divinisation. D.C. Snell s’arrête sur le recours aux présages et aux prophéties, sur la magie, etc.

A partir du chapitre 5, on entre dans un découpage spatio-temporel, avec l’Egypte entre 4000 et 1400 d’abord (les pyramides, la mort, Maat, et des considérations finales très justes sur une pseudo-obsession de la mort, p. 65). Le chapitre 6 présente les principaux dieux de l’Egypte, où je regrette qu’un usage plus approfondi des travaux éclairants d’Erik Hornung n’a pas nourri l’analyse de l’identité complexe et mouvante des dieux. Le rêve d’Akhénaton occupe le chapitre 7, tandis que le chapitre 8 présente trop brièvement les pratiques cultuelles égyptiennes. Le chapitre 9 traite de l’ère « internationale » que représente le Bronze Récent, entre 1400 et 1000 (intéressant découpage qui transcende l’épisode des Peuples de la Mer en 1200). L’internationalisme, que reflètent notamment les lettres d’el-Amarna, place les dieux en situation de dialogue plus fréquent, ce qui favorise la translatability si bien mise en évidence par Mark Smith. Le chapitre 10 approfondit les rapports entre les dieux et les hommes : la notion de destin, la divination, l’exorcisme… Israël, avec l’émergence progressive du monothéisme, est au centre du chapitre 11. Les enjeux majeurs de cette singulière évolution sont très bien exposés et l’auteur souligne bien les difficultés méthodologiques à utiliser l’Ancien Testament comme source pour l’histoire d’Israël, et même de l’hébraïsme et du judaïsme. L’exposé est équilibré et serein, tout à fait éclairant pour un public de non initiés. Le chapitre 12, dans le sillage de l’âge axial, examine un « turning » (émergence de la personne, de la conscience personnelle) dont la réalité reste quelque peu floue, voire douteuse. D.C. Snell note du reste judicieusement que l’Egypte et la Mésopotamie semblent absentes du panorama des nouvelles tendances et propose quelques réflexions très pertinentes sur la question de l’individualisation des sensibilités religieuses. Le chapitre 13 s’intéresse au zoroastrisme et le chapitre 14 à la Syrie (Ebla, Mari, Emar, Ugarit et la Phénicie). Je note p. 138 une erreur, qui rattache à Melqart le passage par le feu des enfants dans l’Ancien Testament (il s’agit de mlk, jadis identifié à Moloch et considéré aujourd’hui comme un terme sacrificiel). S’agissant de mon domaine de recherche, j’avoue que la présentation de la religion phénicienne et punique m’est apparue comme particulièrement schématique. Pour un petit approfondissement je me permets de renvoyer à C. Bonnet – H. Niehr, Religionen in der Umwelt des Alten Testaments II. Phönizier, Punier, Aramäer, Stuttgart 2010. Le chapitre 15 se penche sur la Grèce, l’Etrurie et Rome comme réceptacles de traditions d’origine proche-orientale.

Les chapitres 16 et 17, enfin, proposent une réflexion entre le méthodologique et le ressenti psychologique sur la distance qui sépare les religions du Proche-Orient et les religions actuelles. Le premier pose très judicieusement la question de la croyance et passe en revue une série de théories sur le sens même des pratiques religieuses (Durkheim, Marx, Weber, Brelich…). Ces théories sont quelque peu simplifiées, mais D.C. Snell fournit à ses lecteurs des clés de lecture utiles pour comprendre la matière étudiée de l’intérieur, avec des outils herméneutiques fondés. Certes, le souci de pénétrer l’impact des religions sur les mentalités et sur les sociétés d’hier et d’aujourd’hui, en termes de paix ou de conflit, est une exigence que nos collègues américains expriment avec bien plus de force que nous Européens, pour des raisons évidentes. Il n’empêche que ce type de considérations rend le Proche-Orient ancien plus vivant et que c’est donc bienvenu pour nos études.

Au final, le livre de D.C. Snell est un ouvrage de qualité, destiné surtout aux étudiants et aux non spécialistes. Il invite à prolonger par d’autres lectures, mais il rend avec clarté et précision l’essentiel de nos connaissances sur les religions du Proche-Orient.