BMCR 2009.11.07

Greek and Roman Networks in the Mediterranean

, , , Greek and Roman Networks in the Mediterranean. London/New York: Routledge, 2009. xii, 321. ISBN 978-0-415-45989-1. €82.90; $115.00.

[Table of contents is listed at the end of the review.]

L’ouvrage d’Irad Malkin, Christy Constantakopoulou et Katerina Panagopoulou rassemble en quelques trois cents pages — et onze pages d’index très utiles — dix-huit contributions qui ont été présentées lors du colloque qui s’est tenu à Rethymno en Crète en 2006. Elles ont fait l’objet d’une première publication dans la revue Mediterranean Historical Review.1 Dans l’introduction, les éditeurs reviennent sur la création du concept de Mediterranean, cadre géographique et historique de l’ouvrage, ainsi que sur son utilité heuristique depuis les travaux fondateurs de Fernand Braudel et le livre de Nicholas Purcell et Peregrine Horden The Corrupting Sea 2 qui a introduit l’idée fondamentale de “connectivité”. Leur objectif est de démontrer que c’est par le recours aux études les plus récentes sur les réseaux sociaux que peuvent aujourd’hui être renouvelées certaines problématiques de l’histoire ancienne. L’influence des travaux menés aux États-Unis est particulièrement nette dans les références bibliographiques qui privilégient l’analyse structurale ( structural analysis) comme ” new paradigm“, postulat aujourd’hui très discuté par les sociologues français.

Inscrit dans la pensée post-colonialiste et post-structuraliste, le concept de réseaux n’en demeure pas moins pertinent, car il permet d’analyser les liens entre personnes et/ou groupes dans le temps et l’espace, en introduisant au coeur des recherches et de manière presque systématique une plus grande “temporal flexibility” mais aussi d’appréhender “the transmission of information, the transfer of resources, and, not least, historical transitions”. De fait parler des réseaux revient donc à s’intéresser à la mobilité, aux dynamiques économiques, sociales et culturelles, ainsi qu’à ces agents que sont les individus ou groupes d’individus. On aura compris par ce bref résumé que les éditeurs ont cherché à mettre en valeur tous les apports de ce “paradigme”, qui nécessite, comme nous le verrons, de poser des problématiques claires et de mettre en oeuvre de nouveaux outils méthodologiques. Malgré la qualité de l’introduction, on peut regretter l’absence d’un plan structuré — et d’une conclusion finale — qui aurait donné plus de consistance à leur plaidoyer. À défaut de plan, nous avons délibérément choisi de présenter ces diverses contributions autour de quelques thèmes communs, à savoir les réseaux complets, les réseaux personnels, les réseaux et la religion, les réseaux et le commerce, les réseaux et la politique.

Plusieurs communications concernent effectivement l’étude de réseaux complets, c’est-à-dire de groupes constitués. Dans son analyse sur la place des koinônia (associations publiques) dans les cités grecques, K. Vlassopoulos essaie ainsi de démontrer que l’approche par le concept de réseaux permet de dépasser la vision bipolaire traditionnelle établie entre Grecs et étrangers. Loin de former des entités complètement étanches, les liens entre les uns et les autres dans le cadre civique étaient bien réels et plus complexes qu’on ne le croit. Au-delà du cadre civique, ces relations ont aussi eu un réel impact: l’exemple du développement original de l’art funéraire athénien à l’époque classique tient ainsi plus aux influences venues de l’extérieur qu’à des évolutions artistiques internes à la cité, cet art s’étant nourri de la mobilité des hommes, de leurs expériences et de leurs relations. L’auteur insiste finalement sur la nécessité de penser l’histoire grecque selon des échelles et des temporalités différentes, en un mot de repenser l’histoire des cités selon la théorie du world-system.

I. Rutherford examine la question des théories et des réseaux de théores à l’époque hellénistique, époque la mieux documentée sur le plan épigraphique. Pour tenter de représenter ce type de relations qui a concerné l’ensemble du monde grec, il utilise la méthode des graphes, et élabore même un Hypernetwork qui distingue les cités les plus attractives. L’intérêt d’une telle démarche est de croiser des données qui concernent à la fois un réseau complet et une pratique spécifique, mais l’auteur en pointe aussi deux limites majeures: le corpus épigraphique est loin d’être exhaustif, et il reste difficile de privilégier une approche quantitative qui ne tienne aucun compte du degré d’obligation de certaines cités. Néanmoins, son étude met en évidence la situation assez isolée de la Crète dans ce type de réseaux, et le nombre somme toute limité de cités qui envoyaient régulièrement des théores aux grandes fêtes panhelléniques.

C’est aussi à partir d’un corpus épigraphique que R. van Bremen tente de donner une nouvelle interprétation des réseaux de Rhodiens en Carie. Tout en s’appuyant sur les publications d’Alain Bresson, elle réinterprète le titre de Rhodioi tel qu’il apparaît dans de nombreuses inscriptions de la région. Elle montre ainsi que la création d’élites de Rhodioi dans la Pérée sujette, hypothèse défendue par A. Bresson, serait inspirée par le modèle de la diffusion de la citoyenneté romaine et négligerait les mécanismes de naturalisation courants, à savoir les mariages et la descendance. De plus, il ne faudrait pas perdre de vue, selon elle, que ces inscriptions rendent compte d’honneurs et de récompenses dans un contexte de sujétion.

Sur un sujet, qui n’a guère fait l’objet d’une synthèse depuis les travaux de F. Poland en 1909, V. Gabrielsen offre une étude particulièrement intéressante sur les associations non publiques en Grèce à l’époque hellénistique. Bénéficiant d’une importante documentation épigraphique, l’auteur définit des types très différents d’associations (des therapeutai aux thiasoi) dont le nombre est allé croissant au cours de cette période. Ces associations privées, sans affiliation particulière avec la polis, sont connues dans la plupart des cités grecques et, comme leur fonctionnement a été calqué sur celui de la cité, V. Gabrielsen parle à juste titre de “petites républiques”. Selon lui, elles seraient aussi à l’origine d’une ” industrious revolution” car leur développement a été particulièrement sensible dans les domaines religieux, économique et politique. Il en tire surtout quatre conséquences principales: les liens directs et étroits entre individus que tout séparait (statut juridique, genre, richesse ou encore origine ethnique); la production et la diffusion d’un ” sameness” qui a finalement fait entrer l’espace civique dans la sphère privée; l’importance de la religion dans le champ de l’activité économique dans la mesure oú elle garantissait la confiance entre membres à longue distance; enfin des relations très compliquées — entre collaboration et méfiance — avec le pouvoir en place dans la cité.

Enfin, M. Stamatopoulou propose une étude très complète sur la communauté des Pharsaliens vivant hors de leur cité. Elle dresse une liste exhaustive de 56 noms de Pharsaliens connus pour l’essentiel à Athènes, Sparte et Delphes, du Ve au IIe siècle avant notre ère. Les réseaux dans lesquels ils sont intégrés correspondent à des réseaux fondés sur des relations de xenia, d’après les témoignages épigraphiques et littéraires, et pour quelques familles, ils auraient renforcé leur puissance pendant des générations. En outre, à l’époque classique, deux autres critères intervinrent: une forte demande extérieure en cavaliers thessaliens, et par ailleurs des sollicitations diplomatiques, la région jouant un rôle clé dans le jeu diplomatique de l’époque. Certes, les conclusions sont sans surprise mais cette étude de cas est bien menée.

Deux communications s’intéressent plus ou moins directement à des réseaux personnels, voire égocentrés comme celle proposée par I. Sandwell sur les réseaux sociaux de Libanios, le célèbre rhéteur d’Antioche. Forte d’une importante documentation (discours et lettres), l’étude porte sur l’examen de lettres écrites entre 354 et 358, et met en lumière un réseau de correspondants particulièrement riche et complexe dans la nature même des relations. En effet, l’auteur distingue trois types de liens: les liens familiaux perceptibles dans les lettres de recommandation, les liens d’amitié avec d’anciens compagnons d’école, enfin les liens personnels avec ses anciens élèves. Ce réseau personnel lui a permis de gagner des faveurs pour lui-même ou pour d’autres personnes, mais il révèle surtout que Libanios avait développé des contacts importants avec des membres du pouvoir impérial dont il put s’assurer du soutien. Si ce réseau renforçait son capital personnel en terme de puissance et d’influence, il donne aussi à voir sous un tout autre jour la situation d’un membre de l’élite civique provinciale. En effet, si les discours de Libanios font une séparation nette entre élites civiques et bureaucratie impériale, les lettres montrent au contraire une réalité beaucoup plus fluctuante des pratiques et des relations sociales.

À partir de deux récits bien particuliers, celui de la Vie d’Apollonios de Tyane, et celui de Thomas l’Apôtre tel qu’il apparaît dans les Actes apocryphes, G. Reger explique comment pour satisfaire aux impératifs de vraisemblance du récit de leurs voyages en Inde, les rédacteurs ont convoqué des réseaux qui étaient familiers à leur lectorat. Ainsi le critère d'” ethnicity” est-il utilisé pour les deux personnages puisqu’ils se retrouvent dans leurs communautés ethniques respectives en pays barbare; de la même manière ils utilisent les réseaux des marchands qui étaient particulièrement actifs à l’époque et qui pouvaient leur donner un accès direct aux rois étrangers. Mais d’autres pratiques restent des critères discriminants de leur propre identite: la langue qui est une barrière culturelle, même si le grec apparaît comme la langue des savants; la spiritualité différente d’un peuple à l’autre mais promesse d’une évangélisation possible pour Thomas; enfin le banquet marqué par la profonde influence grecque depuis la venue d’Alexandre dans ces régions lointaines. Mais ce sont deux réseaux qui séparent indéfectiblement les deux personnages: le réseau étroit des philosophes qui est celui d’Apollonios de Tyane et celui beaucoup plus large des fidèles du Christ pour Thomas. Ce constat donne une certaine profondeur à l’analyse car c’est toute l’ambivalence des situations dans lesquelles un individu peut se retrouver qui est ainsi mise en lumière.

Dans le domaine religieux, le concept de réseaux s’avère encore riche pour aider à renouveler le débat sur la diffusion des cultes et des croyances.

J. K. Davies s’intéresse ainsi à la diffusion des épithètes Pythios et Pythion attachés à Apollon et traditionnellement à Delphes. Ce genre de diffusion est rare dans le monde grec, à l’exception notable de Zeus Olympios et dans une moindre mesure de Déméter Éleusinienne. L’objectif est donc de comprendre dans quel contexte a pu avoir lieu une telle “réplication”. A l’issue de son analyse, l’auteur présente un bilan en demi-teinte: si un réseau d’attestations du culte à Apollon Pythios est bien mis en évidence pour l’époque archaïque et classique, ce qui montre l’importance du sanctuaire de Delphes, il reste impossible en l’état actuel de la documentation d’expliquer les raisons, ni les processus d’une telle diffusion. Parallèle est l’analyse de H. Bowden à propos de la diffusion des cultes de Déméter Éleusinienne dans le monde grec. Ces cultes qui se sont développés dans le Péloponnèse et en Arcadie n’auraient pas de lien direct avec le sanctuaire d’Éleusis, ce qui soulève toute une série de questions: d’abord sur les véritables origines de cette diffusion; ensuite sur le rôle des ” religious experts“, en l’occurrence Hérodote et Pausanias. L’auteur aboutit également au constat d’une certaine fluidité dans la transmission des cultes.

A. Collar essaie par une approche plus méthodologique qu’historique de comprendre comment une “innovation” religieuse — en l’occurrence le christianisme — a pu se diffuser à travers des réseaux. Elle reprend la question de la conversion abordée en tant que processus social soutenu par des réseaux qui étaient les vecteurs de cette nouvelle foi. Cette approche préliminaire vise surtout à prendre en considération l’histoire des premiers groupes de croyants en ne se limitant pas à quelques figures individuelles charismatiques.

Le commerce reste le terrain le plus propice à l’analyse des réseaux, tant les possibilités de perspectives sont nombreuses et diverses comme le montrent les contributions suivantes.

En étudiant les réseaux de commerce et de connaissance phéniciens, M. Sommer cherche à expliquer la genèse de la diaspora commerciale phénicienne et sa transformation progressive en un empire dominé par Carthage. Cette mutation aurait été selon lui rendue possible par la nature de ce réseau ouvert, un réseau méditerranéen plutôt que phénicien dans la mesure oú plusieurs entités culturelles — Grecs, Phéniciens, populations “indigènes” — sont alors impliquées dans les échanges. On peut toutefois s’étonner que cette étude ne fasse aucune référence aux travaux de J.-P. Morel sur des réseaux plus spécifiques comme ceux des colons eubéens ou phocéens.

D. Rathbone propose une exploration dans les réseaux marchands romains, c’est-à-dire toutes les “institutions, qu’elles soient publiques ou privées”, impliquées dans le commerce maritime en Méditerranée orientale au Ier et IIe siècles après notre ère. Il examine la question à travers les agents de l’État romain (publicains, soldats, famille impériale) et les institutions privées (notamment les collegia et les banques). En dépit d’une documentation fragmentaire qui ne permet pas d’avoir une approche “au jour le jour” du commerce ancien, le recours au concept de réseaux permet de cerner des situations complexes, intriquées au niveau des individus. L’étude met aussi en évidence tous les profits que pouvaient espérer les groupes liés à l’État romain et surtout le rôle primordial que jouaient les banques, aussi bien comme noeuds principaux de ces réseaux marchands que comme promoteurs et modèles de la fides entre partenaires.

Sous l’intrigante question What travelled with greek pottery ?, R. Osborne présente une réflexion sur l’influence culturelle souvent accordée à la céramique athénienne des VIe et Ve siècles en Méditerranée occidentale, plus particulièrement sur les marchés de l’Italie. Il pose d’emblée la question de savoir si avec les vases s’est diffusé un nouveau style de vie. Sa réponse est catégoriquement négative et étayée par de solides arguments. En effet, l’examen de la typologie et de la fonction de ces vases montre que ni les types ni leur fonction n’ont été adaptés tels quels dans les contextes de production locale. Ce n’est donc pas un style de vie qui s’est diffusé, ni des valeurs culturelles qu’auraient partagées certaines élites. Le succès de cette céramique sur les marchés de l’ouest méditerranéen tiendrait plutôt à des “préférences esthétiques”. Cette vision assez iconoclaste a le mérite de déconstruire certains présupposés concernant la réception et l’usage des objets d’une aire culturelle à l’autre. D. Paleothodoros s’interroge sur l’adoption et la diffusion des vases à figures rouges, dont la technique est née dans le contexte d’innovations artistiques des ateliers du Céramique entre 530 et 520 avant notre ère. Le succès de cette technique qui était plus compliquée que celle des vases à figures noires serait selon l’auteur à mettre en rapport avec la demande extérieure. Plusieurs arguments vont dans le même sens: l’incroyable succès de cette céramique qui a supplanté en une génération la céramique à figures noires, le monopole exercé par les peintres et la difficulté des copies, l’étude des types qui montre que ces produits étaient destinés à l’exportation. L’auteur met en exergue le rôle primordial joué par les “intermédiaires”, probablement les marins éginètes et ioniens.

L’analyse d’un réseau peut aussi se faire à travers des documents plus inattendus comme le révèle l’étude menée par S. Psoma qui tente de donner une nouvelle interprétation du tétradrachme reconnu par les numismates comme étant celui du koinon des artistes dionysiaques de Téos, émis entre 155 et 145 avant notre ère. Ce monnayage que l’auteur daterait plutôt entre 170 et 160 avant notre ère (d’après les problèmes que rencontra le koinon avec la cité de Téos et l’intervention d’Eumène II, serait à mettre en relation avec d’autres monnayages grecs et asiatiques liés aux grandes panégyries et à leurs foires. Son analyse montre effectivement que les réseaux que développèrent les artistes dionysiaques s’appuyèrent sur le réseau étendu de l’étalon attique mais aussi sur le réseau des monnayages associés à des panégyries. En s’adaptant tout en maintenant sa propre identité, ce monnayage serait donc le reflet des efforts accomplis par le koinon pour percevoir des revenus.

Enfin, la politique reste un domaine dans lequel l’analyse structurale a eu jusqu’à présent peu d’influence. C’est à l’une des expressions du pouvoir politique, les routes romaines, qu’Y. Lolos consacre son étude. Il prend l’exemple de la Via Egnatia qui faisait le lien entre l’Adriatique et l’Egée et qui fut construite vers 146 avant notre ère. Après une présentation assez détaillée de sa création et de son développement, l’auteur s’efforce de mesurer l’impact de cette route sur les cités et les régions traversées. Cet impact a été d’autant plus important que la Via Egnatia est devenue une importante artère de communication entre provinces occidentales et provinces orientales de l’Empire. Cet exemple montre encore une fois que ces routes constituaient un outil essentiel de la politique impériale pour restructurer le paysage urbain comme dans les provinces au bénéfice de son centre, Rome. Une carte régionale est proposée mais on aurait aussi attendu une carte générale qui permette de situer la Via Egnatia dans son contexte méditerranéen.

C’est au programme panhellénique lancé par Hadrien vers 131 après notre ère, que P. N. Doukellis s’intéresse. Ce programme politique est analysé comme un réseau fonctionnant de façon à assurer la “stabilisation et gouvernance politique et sociale” des provinces orientales de l’Empire. De fait, ce programme a établi un synédrion dont l’objectif était l’organisation de concours et de commémorations du pouvoir impérial. Mais ce qui paraît le plus intéressant est la manière dont furent intégrées les cités grecques. Toutes celles qui furent appelées à rejoindre ce réseau acceptèrent des conditions définies par le pouvoir impérial: prouver son “hellénicité” (à défaut se créer une identité qui soit la plus grecque possible) et avoir de bonnes relations avec le pouvoir en place. Il existait pourtant des degrés d’hellénicité différents selon les origines des cités, ce qui eut des implications dans la construction ou la revitalisation de la mémoire collective. Dans tous les cas, ce réseau fonctionna dans les deux sens, aussi bien pour le pouvoir impérial qui en assurait la survie que pour les cités qui pouvaient ainsi renforcer leur propre identité. Plus ambiguë par rapport à la thématique générale des réseaux est à notre sens la communication de S. Hornblower qui réexamine à l’appui de témoignages littéraires et épigraphiques largement connus la question du rôle politique de l’amphictionie de Delphes à l’époque classique. La question des réseaux n’est en réalité pas abordée dans la mesure oú son analyse vise surtout à discuter certaines publications récentes, notamment les travaux de F. Lefèvre, beaucoup plus mesuré sur la manière dont l’amphictionie fut politiquement manipulée bien avant le règne d’Alexandre.

À la lecture de ces différentes contributions, plusieurs acquis nous paraissent essentiels: l’utilité de recourir à la notion de réseaux qui permet de s’affranchir du point de vue traditionnel privilégiant centre et périphérie; par ailleurs, il est indéniable que cette notion introduit effectivement une plus grande souplesse dans l’approche de l’évolution des structures qu’elle soit temporelle ou géographique. Néanmoins une question de taille demeure: l’analyse des réseaux peut-elle être considérée comme un nouveau paradigme ou plus modestement comme un outil méthodologique ? Le mérite de cet ouvrage est de montrer que la question est difficile à trancher et ce pour plusieurs raisons. D’abord la nature de la documentation: le recours à des données quantitatives est souvent un voeu pieu pour notre champ de recherche, parce qu’il est souvent impossible de constituer des séries répondant aux critères de la rationalité mathématique. Si l’on suit maintenant une telle démarche, cela soulève une autre difficulté: pouvons-nous sacrifier le contenu au profit de la forme, et finalement risquer de négliger les questions relatives au contexte ? Jusqu’à quel point est-il permis de généraliser à partir d’études de cas très précis ? C’est là encore un des pièges qui peut guetter l’historien mais d’autres réserves se présentent comme celle qui concerne l’utilité des réseaux personnels trop souvent séparés voire déconnectés des réseaux complets (démarche que critiquent les sociologues français à juste titre).

Étudier des réseaux revient irrémédiablement à s’interroger sur les questions d’échelle temporelle et géographique, mais aussi sur les relations telles qu’elles s’établissent au niveau individuel et au niveau collectif. S’il ne faut pas écarter la notion de réseaux dans ce qu’elle peut apporter pour tout ce qui concerne les interactions sociales, il faut cependant en mesurer la portée aussi bien du point de vue des individus (d’oú l’utilité des études des réseaux égocentrés) que du point de vue collectif. Sur ce point, certaines contributions montrent tout l’intérêt d’une articulation entre ces différents niveaux, articulation qui tient compte des contraintes souvent différentes de l’un à l’autre. Il s’agit enfin — et surtout — de ne pas ignorer le rôle qu’ont pu jouer les cadres normatifs qui tendent parfois dans une telle approche à disparaître. Enfin une dernière difficulté se présente à l’historien: de telles études peuvent donner lieu à des analyses descriptives plus qu’interprétatives. Le souci d’établir des modèles ne doit pas à notre sens exonérer d’une recherche sur des aspects plus originaux, car comme le montrent les deux contributions de J. K. Davies et H. Bowden , ce type de démarche s’avère peu efficace dans un domaine — la religion — oú les processus de transfert ont été extrêmement complexes. Ce sont en tout cas les enseignements que l’on voulait retirer de la lecture de cet ouvrage stimulant et qui appelle, sans nul doute, à la mise en oeuvre de nouvelles grilles de lecture pour les historiens.

Table des matières 1. Irad Malkin, Christy Constantokopoulou and Katerina Panagopoulou: Introduction
2. Kostas Vlassopoulos: Beyond and below the polis: Networks, associations and the writing of Greek history
3. Ian Rutherford: Network theory and Theoric Networks
4. Simon Hornblower: Did the Delphic Amphiktiony play a political role in the classical period?
5. J. K. Davies: Pythios and Pythion: The spread of a cult title
6. Hugh Bowden: Cults of Demeter Eleusinia and the transmission of religious ideas
7. Robin Osborne: What travelled with Greek pottery?
8. Michael Sommer: Networks of commerce and knowledge in the Iron Age: The case of the Phoenicians
9. Riet van Bremen: Networks of Rhodians in Karia
10. Isabella Sandwell: Libanius’ social networks: understanding the social structure of the later Roman empire
11. Anna Collar: Network theory and religious innovation
12. Dimitris Paleothodoros: Commercial networks in the Mediterranean and the diffusion of early Attic red-figure pottery
13. Vincent Gabrielsen: Brotherhoods of faith and providence: The non-public associations of the Greek world
14. Maria Stamatopoulou: Thessalians abroad: The case of Pharsalos
15. Selene Psoma: Profitable Networks: Coinages, Panegyreis, and the Dionysiac Artists
16. Gary Reger: On the road to India with Apollonios of Tyana and Thomas the Apostle
17. Yannis Lolos: Via Egnatia after Egnatius: Imperial policy and inter-regional contacts
18. Panagiotis N. Doukellis: Hadrian’s Panhellenion: A network of cities?
19. Dominic Rathbone: Merchant networks in the Greek world: The impact of Rome

Notes

1. Mediterranean Historical Review, 2007, 22.

2. P. Horden et N. Purcell, The Corrupting Sea, Blackwell, 2000.