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Ce volume collectif, édité par Giovanna Daverio Rocchi, rassemble les communications présentées en octobre 2005, lors d’une table ronde organisée à l’Université de Milan, par les participants, issus de plusieurs universités italiennes, Turin, Milan, Gênes, Naples et Palerme, au programme de recherche consacré à l’élaboration d’un Lexique thématique de la paix et de la concorde dans le monde grec. Faisant le point sur ce projet commun qui s’insère dans une étude globale des relations entre États dans le monde grec, G. Daverio Rocchi souligne, dans l’introduction, l’importance de l’étude du langage: richesse ou au contraire pauvreté de la terminologie, flexibilité des termes et évolution de leur usage, la prise en compte de tous ces éléments dans l’étude des mots aide à apprécier le poids des idées et à saisir analogies et différences selon les modalités d’emploi à telle ou telle époque et dans des contextes divers. Une enquête sur la paix et la concorde ne peut certes se faire sans relation avec la guerre: l’auteur rappelle ainsi que la thèse soutenue par Keil en 1916, selon laquelle la guerre aurait été l’état normal des relations entre cités grecques, la paix n’étant finalement qu’une paix “négative”, en tant que simple interruption momentanée d’une situation générale de conflit, a obtenu chez les historiens une adhésion largement répandue et durable. Mais la journée d’étude dont les interventions sont reprises dans l’ouvrage a été conçue comme un moment de réflexion sur les conventions et les procédures variées sur lesquelles s’appuyaient les Grecs pour donner forme à des relations non-conflictuelles entre les cités. Présentant rapidement les relations entre paixéirènè et concordéhomonoia, qui s’opposent respectivement à guerrépolemos et à lutte civiléstasis, G. Daverio Rocchi souligne que le Lexique n’est pas conçu comme un répertoire d’institutions et de procédures examinées d’un seul point de vue institutionnel, mais que, plus largement, sa finalité est de permettre d’appréhender les relations internationales dans le monde grec en tenant compte de la manière dont les Grecs percevaient et représentaient les rapports à l’autre, que celui-ci ait été un concitoyen, un étranger ou un barbare, et que ces relations se soient situées au niveau des Etats ou à celui des individus. Faisant remarquer l’intérêt, pour l’étude d’une question aussi fondamentale pour l’histoire en général, de la présence au colloque de spécialistes d’histoire moderne et contemporaine, elle conclut en reprenant une citation de Lucien Febvre, faite par Silvia Pizzetti, selon laquelle il vaut toujours la peine de faire l’histoire d’un mot, car le voyage, bref ou long, monotone ou varié, est toujours instructif.
L’ouvrage, divisé en six parties, rassemble dix-sept communications, de longueurs et de visées inégales, puisque certaines reprennent avec quelques modifications le contenu d’articles re.digés pour tel ou tel mot du Lexique de la paix et de la concorde, d’autres présentent l’étude détaillée d’un terme du Lexique en la rattachant à une oeuvre précise, ou font état de réflexions d’ordre méthodologique, ou encore livrent des développements historiques à caractère général à propos de la paix et de la concorde dans le monde grec; certaines, partant de l’étude de termes précis, élargissent leur enquête bien au-delà de la recherche philologique.
La première partie, intitulée “La concorde et la cité”, regroupe trois communications consacrées au thème politique de la concorde ( homonoia), concept qui est au coeur du Lexique. Giovanna Daverio Rocchi fait le point dans un long article sur les valeurs du concept de concorde, qui se développent comme thème culturel, objectif politique et vertu civique à partir de la dernière décennie du Vème siècle dans une Athènes en proie aux luttes civiles. Gianluca Cuniberti, étudiant deux passages du livre VIII de Thucydide (75, 2 et 93, 3) dans lesquels apparaissent le verbe homonoeô et le substantif homonoia, démontre que l’historien a rapporté fidèlement les termes qu’il a trouvés dans des documents officiels de l’époque et que le début de la documentation du terme et du concept d’homonoia doivent bien remonter à 411; “homonoia” est d’abord à Athènes une catégorie de pensée d’origine philosophique qui définit l’aspiration d’un individu à la cohérence intérieure, mais par Thucydide nous connaissons le moment où la politique s’est emparée de la notion, la faisant passer de la spéculation à la pratique, de l’individu à la communauté civique, ce qui explique que le terme ait été utilisé dans la vie politique à la fois par les oligarques et par les démocrates. Dernière contribution de cette partie consacrée à la concorde, celle d’Elisabetta Bianco, plus brève, examine les mots dérivés de “homos” et de “dèmos”, à savoir le verbe “homodèmeô”, le substantif “homodèmia” et l’adjectif “homodèmos”, dont n’existent que quatre attestations littéraires, chez Pindare et chez Plutarque.
Dans la seconde partie de l’ouvrage sont réunies des communications qui traitent de la morale de la concorde. Cristiana Caserta, rapprochant le thème du salut de la cité menacée par la stasis de celui de la santé du corps, à laquelle s’oppose la maladie qui correspond à la stasis, mène son étude de l’Italie du sud à la Grèce propre, tout au long du VIème et du Vème siècle. La contribution de Cristina Cuscunà a pour objectif l’analyse des termes “harmostor”, “harmostai” et “harmosteres”, dérivés du verbe “harmozô / harmottô”. Au premier abord, comme le souligne l’auteur, le doute peut naître, en raison du type d’action qui fut celui des harmostes, et malgré la formation de ces mots qui renvoient, au sens figuré, à la sphère sémantique de la conciliation, sur la légitimité de traiter ces mots dans un travail qui prend pour objet la terminologie de l’accord: mais l’étude, partant de quelques attestations particulières (Eschyle, Euménides, vers 455-458, où Agamemnon est qualifié d’ “harmostôr” des héros grecs, et Thucydide VIII 5, 2, où le mot “harmostès”, ici dans sa première attestation, désigne un officier spartiate chargé d’aider les cités qui veulent se détacher de l’alliance athénienne à gérer leurs tensions internes), montre que, au-delà de la manifestation historique évidente et abondamment documentée de l’action des harmostes dans l’aire d’hégémonie spartiate, la figure de l’harmoste est bien, si l’on prête attention à son statut conceptuel et à sa consistance idéologique, un instrument de “concorde”, car, si elle est l’instrument de l’hégémonie d’une puissance, chargé de faire respecter l’alliance avec la puissance hégémonique et, en cas de besoin, de concilier les parties, cette hégémonie se présente idéologiquement à ses alliés non comme une domination imposée et absolue, mais comme l’adhésion à un modèle politique qui veut travailler au bien de ceux qui le soutiennent. La dernière communication de cette partie sur la morale de la concorde, de Serena Teppa, est consacrée au sophiste Thrasymaque de Chalcédoine, que Platon présente, au livre I de la République, ramassé sur lui-même, tel un loup, comme le défenseur de l’individualisme radical et du droit du plus fort, alors que les fragments qui nous ont été conservés de lui le montrent plutôt en défenseur de la paix sociale et de la loi, adepte d’un retour à la patrios politeia. Après avoir examiné les notions d’adikia et de pleonexia, l’auteur s’intéresse à la notion d’apragmosynè, à propos de laquelle elle distingue l’idéal de l’apragmosynè “active”, défendu notamment par Amphion dans l’Antiope d’Euripide, mais aussi par Thrasymaque et par Antiphon, qui, bien loin de se réduire au désintérêt pour les affaires de la cité, est le comportement du bon citoyen qui, en temps ordinaire, se tient loin des affaires, mais qui est présent en cas de besoin; ce concept, élaboré dans un contexte philosophique, a été ensuite appliqué à la réalité de la cité comme refus de la démocratie radicale, dans la période qui va de l’expédition de Sicile à la fin de la guerre du Péloponnèse. Pour Serena Teppa, Thrasymaque ne devait pas être favorable au droit du plus fort à la manière de Calliclès, il devait plutôt être un théoricien de la mouvance théraménienne qui réclamait le retour à la patrios politeia.
La troisième partie, dont on peut penser qu’elle aurait pu tout aussi bien figurer en tête du recueil, rassemble quatre contributions qui insèrent ce projet consacré à l’Antiquité dans une plus longue perspective historique ou font état de réflexions méthodologiques. Alfredo Canavero présente des publications italiennes récentes consacrées à la paix à l’époque contemporaine; Silvia Maria Pizzetti, apportant l’éclairage des recherches en histoire moderne à cette entreprise commune qui veut reconstruire les traits du lexique de la paix grâce à l’apport des recherches sur le langage, se réfère à Lucien Febvre qui recommandait l’étude de recherches historiques spécifiques sur quelques mots-clés. Luigi Gallo, qui est à la tête du groupe de Naples, chargé des recherches sur les aspects économiques et juridiques des conflits dans le monde grec, avance des réflexions méthodologiques, fondées sur la tenue de séminaires consacrés ces dernières années déjà en Italie aux questions posées par la rédaction de lexiques spécialisés et sur sa propre expérience, acquise dans l’élaboration d’un lexique démographique sur Athènes; enfin, Luigi Santi Amantini passe en revue les problèmes méthodologiques qui concernent le travail sur le mot “eirènè”, dont il est chargé, ainsi que ceux concernant le mot “atagia”.
La quatrième partie présente trois communications qui portent sur le vocabulaire des relations entre Etats. Dans une longue étude, Roberto Sammartano, qui s’intéresse aux termes “oikeioi” et “syngeneis” et à leurs dérivés, utilisés dans les formules diplomatiques des inscriptions de l’époque hellénistique, remonte aux attestations littéraires plus anciennes, principalement offertes par Thucydide et par les orateurs du Ivème siècle, qui permettent de comprendre pourquoi a été choisi le terme d’ “oikeiotès” pour caractériser certains modèles de relations entre cités. Francesca Gazzano, quant à elle, traitant du vocabulaire de la trêve et de l’armistice, souligne que, bien que l’on ait souvent souligné l’omniprésence de la guerre dans le monde grec antique, il ne faut pas en déduire que les Grecs ne distinguaient pas entre “paix” et “trêve”, et même entre “trêve” et “armistice”: elle livre ici, tout en mentionnant l’existence de nombreux autres termes utilisés pour désigner diverses formes d’entente, comme “horkion”, “synthèkai”, “diallagè”, “logos” ou “spondai”, une intéressante étude sur les termes “anochai” et “anokôchè”. Stefania Gallotta, enfin, examine des mots qui se rattachent au vocabulaire de la neutralité et de la médiation, “mesitès” et “mesiteuein”.
Dans la cinquième partie sont réunies deux contributions qui envisagent des termes du lexique de la paix dans des oeuvres poétiques: Luigi Lehnus présente, à propos du poème de Callimaque, Branchos, une correction qui se rapporte au thème de l’hospitalité (xeinodokeus); Luigi Venezia étudie le thème de la tranquillité (hèsychia) dans la XIIème Olympique de Pindare.
Enfin, la sixième et dernière partie, consacrée au monde qui est au-delà de la cité, rassemble deux communications: la première, de Julia Taita, étudie, en partant d’une inscription sur la base d’une statue de Zeus dédiée par les Eléens à Olympie peu après leur victoire sur leurs voisins arcadiens, en 363, le conflit entre les Eléens et les Arcadiens et, plus largement, la recherche de l’homonoia au IVème siècle et les origines du culte d’Homonoia; Alessandro Cavagna examine une monnaie d’Alexandrie datant du règne d’Antonin, portant au revers les représentations d’Euthènia, allégorie de l’abondance apportée par le Nil, et d’Homonoia.
L’objet même dont rendent compte les communications présentées dans l’ouvrage, le Lexique de la paix et de la concorde dans le monde grec, s’insère parfaitement dans la sphère de recherches menées depuis une vingtaine d’années ou plus sur les relations entre les cités grecques, et même sur les relations entre les cités grecques et le monde barbare, et dont témoignent, par exemple, les publications de Raoul Lonis ou celle plus récente, parue également en 2007, d’Adalberto Giovannini, Les relations entre États dans la Grèce antique, du temps d’Homère à l’intervention romaine (ca. 700-200 av. J.-C.). Au-delà même du projet du Lexique de la paix, qui se révèlera nécessairement fort utile pour tout travail sur les relations entre cités et à l’intérieur des cités, les contributions actuelles, rassemblées dans un ouvrage soigné et muni de bibliographies abondantes et d’indices détaillés, sont dès à présent fort intéressantes, qu’elles se limitent à des études de termes précis ou qu’elles partent de ces termes pour se livrer à des études plus larges sur certaines régions du monde grec ou sur la communauté hellénique tout entière. Table des matières:
Giuseppe Zanetto, Premessa, p.IX
Brunello Vigezzi, Presentazione della Giornata di studio, p.XI
Giovanna Daverio Rocchi, Introduzione, p.XV
Elenco delle abbreviazioni
1.La concordia e la città
Giovanna Daverio Rocchi, La concordia: tema culturale, obiettivo politico e virtù civica, p.3
Gianluca Cuniberti, Giurare e decretare la homonoia. Nota a Thuc. VIII 75, 2 et 93, 3, p.39
Elisabetta Bianco, La homodemia come concordia con il popolo, p.55
2. La morale della concordia
Cristiana Caserta, Normale e patologico nel corpo e nella polis. Isonomia e armonia fra VI e V secolo, p.65
Cristina Cuscunà, Harmostor, harmostai e harmosteres: fattori di armonizzazione politica ? p.89
Serena Teppa, Un lupo in città, Trasimaco di Calcedone, p.117
3. La pace degli Antichi e dei Moderni
Alfredo Canavero, Alcuni scritti sulla pace in recenti pubblicazioni italiane, p.159
Silvia Maria Pizzetti, La modernità e il lessico della pace, p.171
Luigi Gallo, Il Lessico della pace e della concordia: alcune considerazioni, p.191
Luigi Santi Amantini, Riflessioni a proposito di un Lessico della pace e della concordia nella Grecia classica: prospettive di ricerca, p.197
4. Il vocabolario delle relazioni interstatali
Roberto Sammartano, Sul concetto di oikeiotes nelle relazioni interstatali greche, p.207
Francesca Gazzano, Fra guerra e pace. Note sul lessico greco degli accordi di tregua e armistizio, p.237
Stefania Gallotta, Dalla neutralità alla mediazione: mesos – mesitès, p.253
5. Le parole della poesia
Luigi Lehnus, Un intervento lessicografico di Paul Maas nel Branco di Callimaco (fr.229, 6 PF., con una postilla su fr.80, 19), p.259
Luigi Venezia, L’Olimpica XII di Pindaro e la hesychia, p.267
6. Oltre la polis
Julia Taita, Gli Elei per la concordia: considerazoni sull’epigrafe IvO 260, p.283
Alessandro Cavagna, Homonoia ed Euthenia su una moneta alessandrina, p.303.