La médecine dans l’Antiquité grecque et romaine est le sujet du livre proposée par Véronique Dasen et Helen King. Ouvrage à la fois utile et pratique, habilement construit et élégamment écrit, il est dû à deux antiquisantes spécialistes de l’histoire du corps et du genre : Helen King, historienne de la médecine, particulièrement des femmes et de la médecine et Véronique Dasen, historienne et archéologue qui a déjà publié plusieurs ouvrages tant l’embryon, les jumeaux ou encore sur la naissance et la petite enfance dans l’Antiquité gréco-romaine.
Ce livre de 129 pages allie la rigueur de la démarche historique à la concision essentielle d’un manuel. Aussi s’adresse-t-il aussi bien à tous ceux qui sont curieux de connaître mieux la médecine dans l’Antiquité qu’aux érudits, aux étudiants ou aux lecteurs avertis qui trouveront un appareil de notes, une bibliographie et aussi les sources antiques si utiles à la “redécouverte” de l’essence même de la médecine. A la croisée des travaux fondateurs de l’histoire de la médecine de M. Grmek, D. Gourevitch ou de G.E.R. Lloyd et des approches plus récentes sur l’histoire du corps, cet ouvrage met en lumière l’aube de la science médicale. Divisé en trois parties et bien servi par une mise en page élégante et visuellement claire, ce livre est plaisant à la consultation et mêle avec équilibre la mise à disposition du savoir et les sources anciennes tant littéraires qu’iconographiques.
La première partie rédigée par Helen King est la traduction française d’un livre qu’elle a publié en 2001 (Bristol Classical Press), auquel s’ajoute ici un chapitre sur les femmes et la médecine. Cette partie s’attache à retracer l’évolution de la médecine et du traitement de la santé tout au long de la période gréco-romaine. A la fois chronologique et thématique, cette partie restitue les grandes avancées de l’histoire médicale : de ses origines, alors fortement liée à la religion grecque au grand tournant hippocratique de l’époque classique, qui voit la véritable naissance d’une science et d’une pratique. Hippocrate étant considéré comme “le père de la médecine”, nombre de ses traités ou attribués comme tels sont parvenus jusqu’à nous. Un évènement historique majeur daté est étudié sous l’angle de l’imbrication de la santé et du politique : la peste d’Athènes entre 430 et 426 av. J. -C., épisode épidémique qui dévaste et marque durablement la cité est relayé par les historiens qui en font un sujet littéraire particulièrement Thucydide. Le champ de l’investigation médicale se poursuit à Alexandrie, à l’époque hellénistique sous les Ptolémées. Deux figures dominent l’époque : Hérophile et Erasistrate qui, contrairement à leurs prédécesseurs, bénéficient des savoirs issus de la pratique de la dissection. Notre connaissance de la médecine à Rome commence au IIIe siecle après J.-C. et apparaît fortement influencée par la médecine grecque tant dans les pratiques que dans l’exercice. Une médecine proprement romaine s’impose à l’époque impériale avec Galien aussi prolifique qu’influent. Sa conception du corps, de sa mécanique interne comme la théorie des humeurs ont dominé la pensée médicale jusqu’au XVIIe siècle. Soigner la maladie, c’est pour le médecin d’abord recommander le régime, un “mode de vie” qui maintiendra l’équilibre et ainsi la santé, prescrire les remèdes, à la fois des substances aux propriétés médicinales efficaces ou symboliques ou avoirs recours à la chirurgie. La gynécologie, “médecine des femmes” est exemplaire de la perception des mentalités antiques et des préjugés qui prévalent à la compréhension de ce corps malade de son sexe dont le bon fonctionnement est nécessaire à la survie de la communauté. Enfin le dernier thème aborde utilement le temps long : la difficile transmission des textes médicaux antiques et la pérennité de ces théories qui ont prévalu jusqu’au XIXe siècle dans l’enseignement des théories médicales; c’est le développement technologique et “l’expérimentation” qui mettront définitivement à mal les écrits antiques.
Dans cette première partie, l’alternance de la linéarité chronologique et des chapitres thématiques s’avère remarquable. Sans doute la réussite qu’il faut saluer est d’avoir su habilement préciser les grands jalons historiques, restituer les perceptions du corps, de la santé, du genre ou encore le rôle du médecin, de l’éthique médicale ou de la pharmacopée.
La deuxième partie proposée par Véronique Dasen traite de la médecine antique—essentiellement grecque—par le discours des images. C’est incontestablement la grande nouveauté de cet ouvrage qui accorde une large place à l’iconographie comme source essentielle de notre connaissance de la médecine antique et comme nécessaire apport quand les sources littéraires font défaut. Traitée de manière thématique à partir de supports variés : peintures de vases, reliefs, gemmes, céramiques ou terres cuites…. l’analyse met habilement en lumière le lien entre la pratique sacrificielle et la dissection; la perception interne du corps sain ou blessé et les représentations que l’on peut en donner. L’iconographie permet aussi d’approcher au plus près la pratique et les gestes du médecin mais également montre le lien entre pratique médicale et religion par les multiples offrandes dédicatoires trouvées dans les sanctuaires. La céramique permet, avant les textes hippocratiques, de recréer l’espace de l’officine d’un médecin, les accessoires nécessaires à la consultation, les gestes et les postures des patients et du médecin.
Varié, riche et incontestablement novateur ce chapitre donne à voir et suscite l’intérêt et le questionnement. L’apport de l’iconographie comme de l’archéologie non seulement corroborent les textes mais souvent les dépassent ou comblent leur absence. Ainsi la difformité physique ou la gémellité sont-elles représentées visuellement alors que toutes deux apparaissent peu dans les textes, mais ce qui est remarquable c’est qu’il devient également possible de restituer un imaginaire collectif disparu. Sans doute ces représentations sont-elles bien loin de la réalité mais leurs études s’avère indispensable à notre connaissance d’une civilisation; elles apportent le nécessaire complément aux sources littéraires parfois bien sèches et froides. Enfin et ce n’est pas la moindre de ses qualités, ce chapitre est efficacement doté d’un appareil de notes et d’une bibliographie sélective bienvenus.
La troisième partie propose un corpus de dix textes présentés sous forme d’extraits, sélectionnés par Véronique Dasen. Les cinq premiers sont issus du corpus hippocratique : le fameux Serment que prête le médecin, véritable naissance d’une communauté avec ses codes; un portrait tant physique que moral de l’homme de l’Art; une fiche de travail d’un médecin notant les symptômes, l’évolution de la maladie et une description du malade et de son environnement; un traité gynécologique appliquant la médecine à la spécificité féminine opérant une lecture “genrée” du corps; et un dernier texte qui montre l’obligation pour le médecin de faire du patient un acteur de sa propre santé, impliqué dans la bonne marche de son corps, le régime permettant une régulation et un équilibre.
Deux textes de Galien trouvent place. Ils réaffirment l’indispensable formation du médecin aux différentes disciplines médicales et à l'”entraînement”. Certes, une nécessaire connaissance de la chirurgie, de la pharmacie ou de la diététique mais aussi la pratique régulière de la dissection qu’il juge essentielle à la pratique médicale afin de devenir un “observateur diligent” et non pas un de ceux qui “pilotent d’après un livre”.
La préface de Celse retrace la naissance de la médecine qui se sépare de la pensée religieuse pour devenir rationnelle, scandant les grands noms qui jalonnent les progrès de l’art médical, chemin faisant tout d’abord avec la philosophie pour se détacher véritablement et se spécialiser en tant que science à part entière à partir d’Hippocrate pour ensuite se subdiviser en “branches” diététiques, médicamenteuses et chirurgicales.
Pour terminer cette partie consacrée aux sources, deux passages d’Arétée de Cappadoce et de Gargile Martiela viennent montrer qu’à côté de cette médecine qui peu à peu s’érige en véritable science, cohabitent des pratiques quotidiennes, des savoirs-faire empreints de magie, de superstition et d’empirisme. La description d’une “matrice vagabonde” par Arétée de Cappadoce, responsable chez les femmes d’un étranglement hystérique, reprend des idées bien antérieures de cet organe, féminin par excellence, doué d’une autonomie qui échappe à la femme, bien incapable de maîtriser les désordres de son corps. Gargile Martiela distille les remèdes tirés des légumes et des fruits, ici la coriandre est donnée en exemple : son efficace pouvoir resserrant et rafraîchissant mais aussi des médicamentations permettant son usage et sa prescription.
Au total il s’agit d’un ouvrage à la fois innovant et synthétique proposé par deux spécialistes reconnues de la question. Un ouvrage pédagogique utile qui donne les repères chronologiques essentiels mettant à disposition les sources textuelles, iconographiques et archéologiques. Conçu à la fois de manière chronologique et thématique, il évite l’écueil de l’histoire linéaire pour susciter la curiosité et l’intérêt du lecteur, porté par les apports des dernières recherches en cours. Ainsi prend vie une société qui cherche certes à soulager et à guérir en se détachant du poids de l’explication divine, mais aussi à comprendre le fonctionnement du corps, inventant même une profession et les codes de son exercice. Relecture très “humaine” de l’Antiquité qui donne à voir une société qui, avec ses préjugés, ses moyens d’investigation rudimentaires et malgré les carences d’hygiène et la précarité du mode de vie, cherche à se comprendre et à améliorer ou à soulager le quotidien des siens.
Ouvrage plaisant à la lecture car agrémenté de nombreuses images et illustrations toujours bienvenues et commentées, il est servi par des renvois efficaces et commodes à l’intérieur du volume et une bibliographie sélective solide qui permet d’approfondir le sujet. Nul doute que ce livre comble un manque dans l’historiographie du sujet entre les grandes entreprises éditoriales de l’histoire de la médecine et les nombreux travaux récents sur l’histoire du corps (dont la bibliographie essentielle est donnée en fin de volume). A lire dans la continuité ou à picorer comme des fiches, La médecine dans l’Antiquité grecque et romaine allie, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, le plaisir de la lecture et la découverte du savoir scientifique de l’Antiquité.