BMCR 2005.09.14

The Etruscans Outside Etruria

, , The Etruscans outside Etruria. Los Angeles: J. Paul Getty Museum, 2004. 314 pages : color illustrations, maps ; 27 cm. ISBN 0892367679. $49.95.

De multiples ouvrages destinés aussi bien au grand public qu’au milieu scientifique ont été consacrés récemment, dans le monde entier, à la civilisation étrusque. L’originalité de celui-ci est de s’attacher à traiter un thème spécifique important, que son éditeur définit clairement en préface (p.8): la contribution de la culture étrusque, elle-même profondément influencée par le Proche Orient et par la Grèce, à d’autres civilisations du bassin méditerranéen et de l’Europe actuelle.1

Non moins de quinze auteurs, tous italiens, ont contribué à la rédaction de ce livre, mais plus du tiers en a été rédigé par son éditeur, G. Camporeale, qui est l’auteur de sa préface et de ses trois premiers chapitres (p. 7-129). Le premier (p. 12-77) est une courte synthèse des différents aspects de l’histoire et de la civilisation étrusques, agencé chronologiquement. Dans cette partie préliminaire, G. Camporeale nous rappelle (p. 16), à juste titre, que les reconstructions globales que l’on peut proposer aujourd’hui sont toujours un “work in progress”. Ces pages brassent une quantité de découvertes relativement récentes, qui montrent l’importance de l’archéologie pour la construction du savoir dans ce champ spécifique, et l’on hésitera à se rallier au pessimisme de l’auteur, lorsqu’il écrit (p. 22) que “in cities where life continued throughout the Middle Ages and into the modern era (…) archeological operations are impossible”: différentes fouilles récentes sur de grands sites étrusques (comme Cerveteri ou Volterra) montrent que nous pouvons encore espérer, dans ce domaine, des résultats neufs. Ce chapitre abordant de multiples questions sous une forme très succincte; il n’est guère étonnant que l’on puisse hésiter à se rallier à certaines de ses positions. L’auteur semble par exemple accorder la même signification (p. 24) aux cippes étrusques découverts in situ à Oued-Miliane, qui établissent avec certitude la présence d’Étrusques dans la Tunisie actuelle, à la fin de l’époque républicaine, qu’aux bandelettes de lin de la momie de Zagreb, qui sont arrivées en Égypte pour des raisons qui nous échappent tout à fait (voir aussi, sur cette question, les indications partiellement contradictoires données p. 96 et 101); il attribue (p. 26, 71) une importance certainement exagérée au nenfro, bien typique d’une zone centrée sur Tuscania, mais qui est loin d’être la pierre la plus utilisée en Étrurie du Sud (le tuf qui servit à construire, par exemple, les maisons de San Giovenale,2 est beaucoup plus commun, sauf autour de Tarquinia, où la pierre locale est un calcaire connu sous le nom de macco); p. 34, le fait que les urnes biconiques aient été dotées d’une seule anse ne les rendaient pour autant “impractical for everyday use”, puisque des vases semblables ont été découverts en contexte domestique, par exemple dans le village du Gran Carro près de Bolsena;3 p. 64, on ne peut souscrire à l’idée que “by the middle of the fourth century, all of Southern Etruria was definitively under the control of Romans” — cette date est à abaisser de près d’un siècle.

Ce premier chapitre contient déjà un certain nombre d’informations sur les “Etruscans outside Etruria”, mais le thème central du volume est plus spécifiquement et plus largement traité dans les deux chapitres suivants, The Etruscans in the Mediterranean 4 et The Etruscans in Europe (où il faut comprendre “Europe” comme “Europe continentale”). Cette subdivision n’est probablement pas très heureuse, comme le montre la “map of Europe”, p. 81, qui met en évidence les liens étroits qui unissent expansion étrusque de type colonial, commerce méditerranéen et circulation d’objets dans toute l’Europe continentale. L’auteur (comme les autres collaborateurs du volume) met évidemment l’accent sur le moment historique le plus important de ces échanges, entre la période villanovienne et la période classique, et ne traite que de manière très brève de la dernière période de l’Étrurie indépendante; à cet égard, curieusement, tandis que le premier de ces deux chapitres pose (p. 100) qu’il n’y eut plus de commerce étrusque de quelque importance à partir du IV e siècle (thèse difficile à soutenir aujourd’hui, même si le volume des échanges est manifestement bien inférieur à l’époque hellénistique qu’à l’époque archaïque5), le second réserve une certaine place aux objets les plus récents découverts dans toute l’Europe continentale (p. 128-129). Il est évident, pour chaque période, qu’il demeure difficile d’interpréter un dossier archéologique encore très lacunaire: la découverte de ces objets documente-t-elle un simple transport? Des relations culturelles? Un commerce stable? La présence d’Étrusques en dehors de leurs frontières — et si oui, occasionnelle ou permanente? Quelle est la part de la documentation irrémédiablement disparue (biens périssables, notamment)?

Les quatorze chapitres suivants sont formés de courtes — de 5 à 23 pages — études consacrées à différentes régions en rapport avec l’Étrurie, dont la longueur n’est pas toujours proportionnelle à leur importance,6 rédigés par certains des meilleurs spécialistes de ces régions, selon différents principes. La plupart d’entre eux ont opté pour une approche chronologique, d’autres pour une approche géographique, quelques-uns pour des présentations moins orthodoxes: The Etruscans in Veneto (L. Capuis), in the Lepontine and Raetian Regions (L. Aigner Foresti), in Liguria (A. Maggiani),7 on the Po Plain (G. Sassatelli), in Umbria (P. Bruschetti), in Picenum (M. Landolfi),8 in Lazio (A. Naso),9 in Campania (B. d’Agostino), in Lucania (A. Bottini), in Apulia (E. M. De Juliis), in Calabria (C. Sabbione), on Corsica 10 (L. Donati), in Sardinia (P. Bernardini),11 in Sicily (R. M. Albanese Procelli). Cette simple liste montre que cette partie du livre ne traite que de la péninsule italienne, du Nord au Sud, et des îles de la mer tyrrhénienne. Ce choix de présentation simple et systématique offre un avantage évident — le cadre régional de chacune de ces différentes zones bénéficie d’un éclairage spécifique —, mais il pose aussi de sérieux problèmes: en raison du cadre géographique et administratif moderne qu’il reflète (c’est notamment en “Umbria” que se trouvait la capitale de la dodécapole étrusque, Volsinii), quand il aurait sans doute été préférable de présenter le matériel en fonction des anciens peuples italiques avec lesquels les Étrusques étaient en rapport (par exemple, les Sabins ou les Samnites12); en raison de l’absence de certaines aires importantes — la région falisque, ou la Sabine, par exemple,13 dont la culture était très proche de celle des Étrusques; enfin, parce qu’il semble ainsi accorder la même importance à des régions où la présence étrusque est, pour ainsi dire, confidentielle (Lucanie, Apulie), qu’à des aires où nous sommes en présence d’un véritable et important phénomène de colonisation étrusque (plaine du Pô, Campanie). Par ailleurs, l’ouvrage ne traite pas spécifiquement les zones qui présentaient pourtant une importance considérable pour le commerce étrusque: si le Sud de la France, ou le bassin méditerranéen oriental ont déjà été évoqués dans les trois premiers chapitres du volume, ce n’est pas le cas de l’un des partenaires commerciaux les plus importants de l’Étrurie, Carthage — la métropole punique est presque complètement absente du volume (voir, significativement, la carte de la p. 81). On aurait sans doute pu concevoir une meilleur présentation, partant des zones attenantes au territoire étrusque (Ombrie, Sabine, territoire falisque, Latium, Ligurie), pour traiter ensuite de l’expansion vers le Nord (depuis la plaine du Pô jusqu’au Picenum, à la région vénète et à celle occupée par les Lépontiens et par les Rhètes) et vers le Sud (de la Campanie à la Lucanie, à l’Apulie et à la Calabre), enfin, les plus vastes territoires de l’expansion commerciale étrusque (Corse, Sardaigne, Sicile, parties orientale et occidentale du bassin méditerranéen, Europe continentale).

Le texte s’achève par une bibliographie à jour au moment de sa publication, utile et bien conçue (p. 307-314), organisée en fonction des différents chapitres du volume, et terminée par une courte liste intitulée “For discoveries of Etruscan materials after 1985”14 qui ne traite, en fait, que de son dernier chapitre (Sicile).

Un grand soin a été apporté à la typographie du volume, et ses nombreuses illustrations, pour la plupart en couleurs, sont généralement splendides,15 et parfois assez peu connues.16 Il est donc dommage que, dans de nombreux cas, la correspondance ne soit pas bien établie entre celles-ci et le texte. Quelquefois, l’image n’est pas à sa place en fonction de la logique chronologique du texte: une monnaie de Populonia, datée du IV e siècle, est perdue parmi des objets villanoviens (p. 36); la muraille du III e siècle de Falerii Novi illustre le début de la période archaïque (p. 50); un miroir d’Ampurias se mêle à des objets archaïques (p. 91), un plat de Genucilia hellénistique à des vases d’impasto protohistorique (p.162). D’autres fois, parce que le rapport entre illustration et texte est cryptique: la célèbre “coupe de Vibenna” (ou “coupe Rodin”, p. 102) ouvre le chapitre consacré aux Étrusques en Europe (p. 102),17 illustré pour finir par une amphore à figures noires figurant le mythe du Minotaure (p. 123), la tomba dei Tori de Tarquinia les rapports avec le Latium (p. 221). D’autres partis pris semblent tout aussi contestables: publier trois vues différentes, mais très semblables (p. 184, 188, 191) de la nécropole orientale de Marzabotto; donner une photo des plats de Genucilia conservés au musée de Reggio Calabria, dont la provenance réelle — qui n’est certainement pas locale — est tout à fait inconnue;18 et surtout, illustrer plus de la moitié de la partie intitulée “The Etruscans in Europe” avec des objets trouvés en Étrurie même, alors qu’il eût été certainement plus intéressant de tirer parti de ces illustrations pour documenter les liens typologiques et décoratifs étroits entre objets étrusques et “européens”, auxquels font justement allusion, et de manière répétée, différents auteurs. Le volume comporte un certain nombre de bonnes cartes qui ne présentent que quelques erreurs mineures,19 mais dont l’inconvénient principal est de manquer à peu près toutes d’une échelle.20 Par ailleurs, le lecteur aurait certainement souhaité disposer d’une carte pour chacune des régions traitées (seule la moitié des chapitres en comporte une), et de plus d’informations sur la période chronologique que ces cartes entendent illustrer (voir par exemple celles des p. 81, 105, 108, qui posent, toutes, de délicats problèmes d’interprétation historique).

Je ne suis évidemment pas le plus qualifié pour juger de la qualité de la traduction des textes italiens, qui m’a cependant paru claire et facile à lire, même si elle pose quelquefois problème:21 p. 28, 40, 127, 158,”agro” est traduit par ” agger” (au lieu d’ ager); p. 27, le consul P. Decius est curieusement rebaptisé “P. Decius Tarquinia”; p. 54, le texte italien n’affirme pas que “the terra-cotta statue of Jupiter” est (encore) “preserved” dans le temple de Jupiter Capitolin à Rome, mais qu’elle y était conservée dans l’antiquité; p. 83, le terme de “trench tomb” ne peut être utilisé pour décrire une “tomba a pozzetto”, correctement traduite ailleurs (p. ex. p. 166 ou 266) par “pit tomb”; p.122 “they used bronze wine-service vases rather than amphorae for transport” est manifestement erroné — le texte italien indique que la documentation archéologique consiste en vaisselle de table, et non en amphores; p. 167, “ciottolone”, qui signifie “big pebble”, a été interprété comme “ciotolona”, et donc traduit par “large bowl”, probablement parce que le traducteur a dû travailler, comme cela arrive malheureusement souvent, sans avoir les illustrations du texte sous les yeux. D’autres problèmes sont, eux, directement liés à la formulation ambiguë du texte italien lui-même: on pourrait déduire du texte des p. 8 and 23 que Porsenna fut, à une époque donnée, roi de Rome, ce que, déjà roi de Chiusi, il n’eut évidemment jamais la satisfaction de devenir; p. 219, on lira “Phantom group” au lieu de “Phanton group”.

En dépit de ces réserves, ce livre présente un intérêt évident en raison de la qualité de ses textes et de la diversité du mobilier archéologique qu’il rassemble; sa présentation soignée, sur les plans typographique et iconographique, le rend agréable à manier. Il risque pourtant d’être difficile à utiliser, aussi bien pour le grand public que pour le spécialiste, en raison de sa subdivision en chapitres trop ancrée dans la géographie moderne, qui aussi suscite la reprise, dans les différents chapitres d’informations redondantes, et parfois contradictoires. Près de dix ans plus tôt, la grande exposition Les Étrusques et l’Europe (Paris, 1992; Berlin, 1993), au catalogue duquel nombre d’illustrations de ce volume ont été empruntées, avait déjà traité d’un sujet analogue, de manière certainement plus cohérente. Mais ce livre au fait des dernières découvertes archéologiques, plus léger, et plus facile à se procurer, représente désormais son indispensable complément. Cette traduction lui assurera une large diffusion auprès d’un public strictly anglophone.

Notes

1. Il s’agit de la version anglophone de Gli Etruschi fuori d’Etruria, publié la même année, par le même éditeur, avec la même présentation typographique.

2. Contra, p. 12.

3. Voir P. Tamburini, Un abitato villanoviano perilacustre, Rome, 1995, p. 253-255.

4. Deux catalogues d’exposition ont récemment été consacrés à cette zone: L. Long, P. Pomey et J.-C. Sourisseau (dir.), Les Étrusques en mer. Épaves d’Antibes à Marseille, Aix-en-Provence, 2002; Ch. Landes (dir.), Les Étrusques en France, Lattes, 2003.

5. Dans le Sud de la France, par exemple, ce commerce est attesté par des céramiques peintes hellénistiques, mais aussi par des amphores et par des mortiers, récemment identifiés comme étrusques; pour la Sicile, voir, en dernier lieu, le miroir en bronze trouvé à Palerme ( Palermo punica, cat. d’expo., Palerme, 1998, p. 175).

6. Par exemple, la Campanie a été traitée en moins de pages que la région vénète.

7. Sur cette zone voir, récemment, deux ouvrages complémentaires, l’un édité par M. Venturini Gamberi et D. Gandolfi, Ligures Celeberrimi, Atti del Convegno, Bordighera, 2004, l’autre par R. C. de Marinis et G. Spadea, I Liguri. Un antico popolo europeo tra Alpi e Mediterraneo, Genève-Milan 2004.

8. Sur cette zone, voir, récemment, I Piceni e l’Italia medio-adriatica, Atti del XXII convegno di studi etruschi ed italici, Pise-Rome, 2003.

9. Rome, ici traitée avec le Latium, aurait certainement gagné à faire l’objet d’un chapitre spécifique.

10. C’est-à-dire, exclusivement, Aléria; sur la fouille de sa nécropole, voir, récemment, L. et J. Jehasse, Aléria. Nouvelles données de la nécropole, Lyon, 2001.

11. Sur cette zone, en dernier lieu, Etruria e Sardegna centro-settentrionale tra l’età del Bronzo finale e l’arcaismo, Atti del XXI convegno di studi etruschi ed italici, Pise-Rome, 2002.

12. Sur les Samnites, voir, récemment, H. Jones (dir.), Samnium. Settlement and Cultural Change, The Proceedings of the Third E. Togo Salmon Conference on Roman Studies, Archaeologia Transatlantica XXII, Providence, 2004, et D. Caiazza (dir.), Italica Ars. Studi in onore di Giovanni Colonna per il premio I Sanniti, Piedimonte Matese, 2005.

13. On se reportera notamment à Identità e civiltà dei Sabini, Atti del XVIII convegno di studi etruschi ed italici, Florence, 1996, et à la synthèse de M. C. Spadoni, I Sabini nell’antichità. Dalle origini alla romanizzazione, Rieti, 2000.

14. Cette “année étrusque” a été marquée, en Italie, par différentes importantes expositions.

15. Seule exception fâcheuse, la triste photo de la splendide tête de bronze de Cagli, p. 217.

16. Comme p. 13, la photo de la nécropole de Grotte à Populonia, aménagée dans une ancienne carrière. Certains choix typographiques, toutefois, ne sont pas très heureux — comme celui de tronquer par son milieu la photo d’une épée, p. 105, qui pourrait ainsi être confondue avec une épée brisée rituellement (voir p. 133).

17. En raison de l’importance du commerce du vin?

18. C’est également le cas pour les vases de bucchero de ce musée figurés p. 272.

19. À la p. 17, on ajoutera Pise à la carte de l’ Étrurie. Certaines de ces cartes, reprises de publications plus anciennes, auraient dû être retravaillées (ainsi celle de la p. 222, avec des légendes complètement indépendantes du texte, et incompréhensibles dans ce contexte).

20. Si ce n’est pas un véritable problème pour des sites ou des régions bien connues, cela peut rendre l’illustration tout à fait inutile, comme c’est le cas pour le plan de Bologne, p. 173.

21. Parfois purement typographiques: p. 37, “enscon-ced” pour “ensconced”; p. 78, l’hydrie à figures noires date de la fin du VI e ou du début du V e siècle (pas du “fourth century”); p. 91 “Montagne Noir” au lieu de “Montagne Noire”; p. 234, la tombe François est datée du troisième quart du IV e siècle av. J.-C. (pas du “sixth century”).