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Ce riche volume témoigne du renouvellement de l’intérêt porté par la recherche aux divinités romaines.[1] Les éditeurs partent du constat que l’étude des dieux romains semble avoir été quelque peu délaissée ces dernières décennies, alors que la première moitié et le milieu du XXème siècle avaient vu paraître toute une série de monographies consacrées à tel ou tel dieu. Les éditeurs rendent hommage à ces travaux, mais soulignent qu’ils étaient souvent guidés par une vision essentialiste de la divinité, et n’abordaient que peu, par exemple, les contextes et les réseaux dans lesquels ces divinités s’inscrivent, ou encore les rapports avec la religion privée et les panthéons des cités romaines d’Italie ou des provinces. Ce volume, issu de tables rondes organisées à l’Université de Liège, entend donc revenir à l’étude des divinités, mais en plaçant au cœur de ce travail les aspects que nous venons d’évoquer. Il vient ainsi combler un manque propre aux études de religion romaine puisque, comme le rappellent les éditeurs, la bibliographie récente sur le sujet est déjà abondante dans le domaine grec. La méthodologie de l’ouvrage est très clairement définie dès l’introduction : sur des périodes “documentées par des sources fiables et relativement abondantes”, il s’agit d’étudier les dieux en prenant à la fois en compte les modes d’actions qu’ils patronnent et leur grande polyvalence suivant les contextes dans lesquels ils évoluent ; de la même manière, les études doivent tenir compte “à la fois des pratiques (rites) et des représentations (mythes ; iconographie ; spéculations érudites)” ; enfin, ces études doivent faire appel à la notion de réseau, qui permet de prendre en compte à la fois les “structures relationnelles” entre les divinités et les contextes dans lesquels elles évoluent, contextes dont il est bien entendu qu’ils sont variés et évolutifs. Ces définitions méthodologiques et théoriques donnent une véritable unité à cet ouvrage composé d’articles dont les thèmes et les focalisations géographiques et chronologiques très variés auraient pu donner de prime abord l’impression d’un volume très éclaté ; or il n’en est rien, et chaque article ouvre des perspectives de réflexion sur les problèmes qui sont présentés avec netteté dans l’introduction.
L’ouvrage s’organise ensuite autour de trois axes, les articles s’appuyant à chaque fois sur un cas d’étude. La première partie, “Penser les dieux et leurs réseaux”, prolonge la réflexion théorique et méthodologique exposée en introduction, à travers trois exemples précis : la mise en relation de Vénus avec d’autres divinités, et les réseaux qui en découlent, notamment à Pompéi conduit S. Estienne à insister sur l’importance des contextes dans lesquels se trouvent les divinités ; la place occupée par Apollon dans les listes de divinités dans les dédicaces militaires permet à Y. Berthelet et F. Van Haeperen de conclure que, si les phénomènes de réseaux apparaissent assez clairement dans les inscriptions, leur interprétation peut être appuyée par d’autres analyses, par exemple celles de Dumézil, avec un accent particulier non seulement sur les champs d’actions du dieu, mais aussi sur ses modes d’action ; l’exemple de la cité de Vienne est l’occasion pour E. Rosso de présenter les sources nécessaires à ce type d’études, sources iconographiques, épigraphiques, et archéologiques.
Une deuxième partie se penche sur la question des réseaux divins en contexte. N. Belayche, dans le seul article consacré à la partie orientale de l’Empire, propose ainsi une étude des dieux romains dans les panthéons des cités d’Anatolie à l’époque impériale. A. Alvarez Melero consacre quant à lui son article aux “réseaux divins à Tarraco et dans les sièges de conventus d’Hispania citerior” ; un tableau fort utile en fin d’article permet d’avoir sous les yeux le corpus des inscriptions étudiées. F. Massa fait porter sa réflexion sur Liber à la fin du IVe siècle et les réseaux divins dans lesquels il s’inscrit, élaborations littéraires le liant à Dionysos ou bien pratiques mystériques. John Scheid enfin prend un exemple littéraire, celui de la triade Jupiter-Junon-Vénus dans l’Enéide : récusant la recherche des origines, il propose de se concentrer sur “le mode d’action des divinités concernées” et leur “collaboration”. Cette étude précise permet à l’auteur de tirer des conclusions tant sur “la conception romaine de la souveraineté” que sur “la mythologie politique des Romains”, témoignant de la pertinence et du caractère fructueux de la démarche adoptée par l’ouvrage.
Une troisième partie enfin concerne plus particulièrement quatre figures divines, vues au prisme, entre autres, de la notion de réseau. F. Prescendi s’intéresse ainsi à la figure de Rumina, avec une attention particulière aux champs d’action de cette déesse relativement méconnue. A. Bertrand traite de la figure d’Apollon dans les colonies médio-adriatiques de l’époque républicaine. P. Assenmaker étudie les liens entre Neptune et Octave, qui place le dieu dans un réseau de divinités, par opposition à Sextus Pompée qui en fait sa divinité principale. Enfin, M.-T. Raepsaet-Charlier s’intéresse à la figure d’Hercule en Germanie inférieure, par le biais des épiclèses avec lesquelles le dieu y est présent, et pose la question de l’interpretatio romana. L’article est agrémenté en annexe de trois tableaux fort utiles, listant les dédicaces à Hercule en Germanie inférieure, celles offertes par les troupes de Germanie inférieure, et les colonnes dédiées à Jupiter sur lesquelles se trouve peut-être Hercule.
Les articles présentés, tous de très grande qualité, permettent d’illustrer la pertinence de la notion de réseaux appliquée à l’étude des divinités romaines, et offrent en même temps sur les sujets précis dont ils traitent des études détaillées et fort utiles. À la fin de leur introduction, les éditeurs précisent que ce volume ne constitue qu’un début de réflexion dans leurs recherches sur le polythéisme romain en général : on ne peut que se réjouir de savoir que cet ouvrage trouvera une suite.
Table des matières
Y. Berthelet, F. Van Haeperen “Une approche renouvelée des dieux de Rome et du monde romain”.
Penser les dieux et leurs réseaux.
1. Sylvia Estienne, “Vénus et les autres. Penser les divinités au prisme des ‘réseaux relationnels’”
2. Yann Berthelet, Françoise Van Haeperen, “Insertion d’Apollon dans des réseaux divins. Réflexions à partir de dédicaces de militaires”
3. Emmanuelle Rosso, “Lieux de culte, réseaux divins, statues et reliefs ‘cultuels’ : la cité de Vienne au Haut-Empire”
Étudier les réseaux divins en contexte.
1. Nicole Belayche, “Des dieux romains dans les ‘panthéons’ des cités de l’Anatolie impériale”
2. Anthony Alvarez Melero, “Réseaux divins à Tarraco et dans les sièges de conuentus d’Hispania citerior”
3. Francesco Massa, “Liber et les autres : un réseau mystérique chez les païens de la fin du IVème siècle”
4. John Scheid, “Jupiter, Junon et Vénus dans l’Enéide de Virgile”
Étudier une divinité en contexte.
1. Francesca Prescendi, “Réflexions sur le polythéisme romain au prisme d’une petite divinité : Rumina, la déesse de la mamelle allaitante”
2. Audrey Bertrand, “Présence d’Apollon dans les territoires de l’Italie médio-adriatique au lendemain de la conquête romaine”
3. Pierre Assenmaker, “Neptune dans le panthéon d’Imperator Caesar : de l’art de récupérer un dieu hostile”
4. Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, “Hercule et ses réseaux en Germanie inférieure”
Notes
[1] Voir notamment les travaux de D. Miano sur Fortuna, ou encore de F. Mac Góráin sur Dionysus, ou de S. Wyler sur Liber qui tous, comme le présent volume, portent une grande attention au contexte dans lequel se trouvent les divinités étudiées.