L’ouvrage de Francesca Silvestrelli, concis et très bien illustré, est le fruit d’une recherche menée au cours de deux séjours à l’Institut national d’histoire de l’art de Paris. L’originalité du sujet est d’aborder une période assez peu connue de la carrière d’Honoré d’Albert, plus connu sous le nom de duc de Luynes (1802-1867), à savoir celle de sa formation et de ses premières expériences en Grande Grèce, au sud du royaume de Naples, une région longtemps restée peu attractive pour les amateurs d’antiques. En quatre chapitres, l’auteure retrace le parcours du jeune duc dont la vie privée profondément affectée par des deuils successifs (dont celui de sa jeune épouse) le poussa à choisir une vie d’étude, une sorte de sacerdoce que son protecteur le vicomte de la Rochefoucauld encouragea en le faisant nommer directeur adjoint honoraire des Musées royaux de Charles X. Il prit une part active à la constitution des collections du futur musée en y contribuant non seulement par des dons de pièces provenant de sa collection personnelle mais aussi par le classement qu’il effectua des céramiques figurées. Mais au bout de trois ans de services, il devait démissionner pour se tourner résolument vers le terrain.
L’auteure essaie de restituer les principales étapes des deux voyages qu’il accomplit en 1825 et 1828. S’il n’était pas le premier à se risquer dans ces contrées, Vivant Denon ayant visité la région en 1778, les motivations du jeune duc, numismate averti, étaient guidées par sa « volonté d’ajouter de nouveaux éléments à la connaissance de l’architecture dorique » (p. 33). De fait, il était accompagné de l’architecte Joseph Frédéric Debacq qui mesura la seule colonne du sanctuaire d’Héra Lacinia à Capo Colonna. Ses voyages révèlent surtout l’intérêt que le duc de Luynes portait à l’archéologie, une discipline alors en pleine construction, et dont il devint l’un des promoteurs par son intégration à l’Institut de correspondance archéologique. Un frontispice qu’il dessina pour les Annales de l’Institut en est d’ailleurs une remarquable allégorie. L’auteure montre ainsi comment, lors de son premier voyage, il rencontra de nombreux érudits tels Theodor Panofka et comment il intégra la Société des Hyperboréens, rejoignant ainsi cette « aristocratie du savoir », à laquelle il apportait ses talents de dessinateur et d’observateur rigoureux du mobilier, autant de compétences qui feront sa réputation. Saisi par le « contraste des splendeurs passées et un présent de décrépitude » (p. 35), le duc de Luynes allait cependant donner à voir une toute autre image de ce territoire, notamment lors de son second voyage durant lequel il accomplit à Métaponte des fouilles dans le temple alors nommé Chiesa di Sansone (temple A), fouilles qui eurent pour résultat le transfert à Paris de plusieurs pièces architecturales, dont les traces de couleur allaient alimenter le débat sur la polychromie des vestiges antiques. En 1833 le duc publiait un admirable ouvrage orné de diverses planches non seulement de Métaponte mais aussi de sites moins connus comme Locres ou Vélia. Ainsi, c’est la Grande Grèce qui recevait par ses travaux un véritable statut de sites archéologiques, et par conséquent une reconnaissance scientifique pleine et entière.
Malgré la rareté des archives, Francesca Silvestrelli retrace un parcours assez exemplaire de ce monde d’érudits tel qu’il s’observe dans la première moitié du XIXe siècle. En effet à une époque où l’archéologie reste à construire, des savants comme le duc de Luynes ont réussi à mettre en place des méthodes d’analyse et d’interprétation des vestiges antiques qui resteront pertinentes pour les décennies suivantes. Ainsi c’est à l’héritage du duc que l’auteure donne toute sa valeur : un héritage qui a enrichi la collection du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale, mais dont les apports sur le plan scientifique sont ici remarquablement mis en lumière.