BMCR 2019.07.23

Ovid in Late Antiquity. Studi e testi tardoantichi, 16

, Ovid in Late Antiquity. Studi e testi tardoantichi, 16. Turnhout: Brepols, 2018. 506. ISBN 9782503578088. €115.00.

Publisher’s Preview
[Une liste des contributions figure à la fin de ce compte-rendu.]

Louons d’abord l’infatigable travail de F. E. Consolino qui régulièrement édite des collectifs rassemblant des contributions traitant de la littérature de l’Antiquité tardive. Le volume recensé ici compte une quinzaine de contributions préparées dans le but de souligner le 2000 e anniversaire de la mort d’Ovide et explore l’émulation de ses œuvres par les auteurs de l’Antiquité tardive (7). Bien que son influence soit quantitativement moins importante que celle de Virgile, son empreinte est néanmoins reconnaissable dans le traitement des images, de la caractérisation, du style et même de la métrique. Un excellent exemple de cette inspiration qui ne dit pas son nom est sans conteste Ausone, auquel trois contributions sont consacrées alors qu’il ne cite Ovide nommément qu’une seule fois dans toute son œuvre (8). Il en ressort que la présence d’Ovide dans les œuvres de l’Antiquité tardive est essentiellement allusive (16). Qui s’intéresse à la postérité des œuvres d’Ovide ne sera pas surpris d’apprendre que les allusions évoquent dans une très grande proportion les Métamorphoses. Roberts (267-292) explique la prépondérance de cette œuvre par des caractéristiques stylistiques qui correspondent au goût tardo-antique pour une structure narrative discontinue, l’absence d’emphase sur le déroulement des évènements, des segments de composition répétés avec uariatio, des catalogues et des discours élaborés, tous des traits narratifs rencontrés dans l’œuvre épique d’Ovide.

L’ouvrage est structuré selon une division tripartite chronologique: la première et la troisième parties portent respectivement sur des auteurs de la fin de l’Empire (IV e -V e siècles) et de l’époque des royaumes germaniques (V e -VI e siècles). La seconde partie contient deux études faites dans une perspective diachronique et font le lien entre ces deux époques. Rendre compte de la richesse des idées qui y sont présentées dans un si court espace est impossible et on ne résumera pas toutes les contributions ici, puisque l’introduction (7-16) le fait très bien.

La grande majorité des articles montrent par des analyses littéraires convaincantes que l’émulation d’Ovide se manifeste surtout par une « coloration ovidienne » (172, 316): Mattiaci (49-87) évoque un « phénomène de miniaturisation » (63) des récits ovidiens chez Ausone, alors que Charlet (165-178) parle d’une « stylistique de la métamorphose » (172) et Pavarini (119-139) du « caractère changeant » des choses sous l’influence ovidienne (130) chez Claudien. Ovide offre le plus souvent un arrière-plan à partir duquel il faut lire une scène ou un personnage: Hernandez Lobato (237-266) et Stoehr-Monjou (359-412) voient en Ovide le modèle dominant et le point de référence tout au long de la Moselle (239) et chez Dracontius (404), alors que Roberts suggère que le récit de Phaéton a servi de « modèle structurel narratif » à l’ Enlèvement de Proserpine de Claudien. Il n’est pas exclu que, dans certains cas, cette émulation soit inconsciente (Mori, 438-440).

Deux analyses mettent en lumière un processus d’émulation d’une grande richesse créatrice, créant des niveaux de lectures multiples. Dans la Satisfactio de Dracontius (Filosini, 327-357), les échos de la poésie d’exil permettent de créer un discours à deux niveaux selon que l’on considère que Gunthamund est le dédicataire ou le sujet du poème: dans le premier cas, le poème se présente comme un plaidoyer pour la clémence, dans le second, comme une dénonciation d’un exercice tyrannique du pouvoir. En alignant son poème sur les deux éléments de justification du pouvoir du Vandale, la prolongation de l’empire romain et l’attribution de ce pouvoir en récompense d’une grande piété, Dracontius argue que la culture, donc la poésie, constitue la pierre angulaire de la romanisation, présenté comme une transformation. L’ exemplum du roi Nabuchodonosor dans le poème est tissé de réminiscences des poètes classiques, mais par- dessus tout empreint d’un langage de métamorphoses chargé d’échos ovidiens (347-348) dans une démonstration des périls encourus par un exercice tyrannique du pouvoir.

Chez Ausone, l’ Épigramme 103 met en scène Vénus donnant à un jeune homme des conseils amoureux qui reprennent les enseignements de l’ Art d’aimer, qu’Ovide a exploités dans divers poèmes des Amours (Mattiacci, 60-63). On pourrait ajouter que la scène d’ Ep. 103 imite aussi celle où la vieille Dipsa instruit la puella sur la manière de plumer un amant ( Am. I, 8): demander des présents (v. 61, 68, 72, 92-94), feindre l’amour (v. 71, 103), se parjurer (v. 85), laisser l’amant à la porte (v. 75-78) et ne pas se laisser charmer par des poèmes (v. 57-61). Certes Ovide détourne là des lieux communs élégiaques. Or Dipsa justifie ses enseignements peu scrupuleux par le fait que désormais « Vénus règne sur la ville de son cher Énée » ( Venus Aeneae regnat in urbe sui, v. 42). La déesse apparaît dès lors chez Ausone comme le pendant de la vielle lena ovidienne, ce qui ajoute au caractère humoristique de l’épigramme.

Je retiendrai trois points qui ont paru jurer avec la finesse générale des analyses présentées.

D’abord, on ne peut être d’accord avec l’idée que Sidoine Apollinaire « évite de mentionner » Ovide (Dolveck, 42-43 qui admet ignorer la raison de ce silence) ou que Jérôme « cache » une allusion à Ovide lorsqu’il emploie des formules telles que uersiculus ille uulgatus pour annoncer une citation ou insignis poeta pour parler de l’auteur sans le nommer (Polcar, 180, 184, 203). Si tel était le cas, il faudrait croire qu’Augustin veut « cacher » qu’il connaît l’ Énéide lorsqu’il affirme avoir été contraint de mémoriser Aeneae nescio cuius errores et ne nomme pas Virgile ( Conf. I, 13). Minimiser l’importance d’une œuvre ou d’un auteur païen est de bonne guerre chez les auteurs chrétiens et ne vise certainement pas à camoufler la source, bien au contraire.

Les niveaux d’allusion, notamment les échos lexicaux, ne sont pas tous jugés à la même aune: on voudrait parfois n’y lire que des « suggestions » plutôt que des « allusions » (Consolino, 113), d’autres sont jugées « trop minces » (Pavarini, 128) ou « marginales et non exclusives » (Furbetta, 298), alors que d’autres allusions au contraire, qui ont paru à l’auteur de ces lignes du même calibre voire moins convaincantes que le précédentes, sont qualifiées de « claires » ou « remarquables » (Pavarini, 124, 129). En d’autres occasions encore, on a l’impression que les échos sont qualifiés de « peut-être pas accidentels » (Luceri, 150) afin de ne pas avoir à faire la démonstration d’une réelle influence ovidienne. Cela n’entache pas (toujours) la cohérence individuelle des articles, mais sur l’ensemble du recueil, cette disparité agace plus qu’elle ne choque.

Enfin, dans l’ensemble du volume, il semble aussi qu’on ne se soit pas entendu sur la place d’Ovide dans le cursus scolaire: en effet, on explique tantôt l’influence d’Ovide par sa présence dans les écoles (Dolveck, 34; Hernandez Lobato, 238 qui suit É. Wolff et P. Dain, Fulgence. Mythologies, Lille: Presses Universitaires du Septentrion [Mythographes], 2013, p. 23), tantôt on évoque au contraire le peu de place qu’il occupait à l’école pour expliquer sa présence effacée dans la littérature tardive (Consolino, 9; Goldlust, 413 qui évoque le quadrige du grammairien Arusianus Messius).

Une fois de plus, la collection Studi e testi tardoantichi offre un volume d’une grande qualité, qui propose des études littéraires approfondies sur un large choix d’auteurs tardifs.

Table des matières

F. E. Consolino, Introduction
F. Dolveck, Que dit-on (ou ne dit-on pas) d’Ovide dans l’Antiquité tardive?
S. Mattiacci, An vos Nasonis carmina non legitis? : Ovid in Ausonius’ Epigrams
F. E. Consolino, Flowers and Heroines: Some Remarks on Ovid’s Presence in the Cupido cruciatus
C. Pavarani, Claudian and the Metamorphoses
A. Luceri, Echoes of Ovid in Claudian’s Carmina minora 9 and 28
J.-L. Charlet, Rivaliser avec Ovide (presque) sans Ovide: à propos de Claudien, Gigantomachie ( Carm. min. 53), v. 91-113
Ph. Polcar, Ovidian traces in Jerome’s works: Re-evaluation and Beyond
A. Oh, Ovid in the De Sodoma
J. Hernandez Lobato, Late Antique Metamorphoses: Ausonius’ Mosella and Fulgentius’ Mythologies as Ovidian Revisitations
M. Roberts, The Influence of Ovid’s Metamorphoses in Late Antiquity: Phaethon and the Palace of the Sun
L. Furbetta, Presence of, References to and Echoes of Ovid in the Works of Rutilius Namatianus, Sidonius Apollinaris and Avitus of Vienne
S. Filosini, The Satisfactio : Strategies of Argumentation and Literary Models: The Role of Ovid
A. Stoehr-Monjou, Ovide dans l’œuvre profane de Dracontius: une influence paradoxale? Du microcosme du vers au macrocosme des poèmes
B. Goldlust, La présence d’Ovide dans l’ Appendix Maximiani ( carmina Garrod-Schetter): enjeux théoriques et pratiques d’intertextualité
R. Mori, Caelo terraeque perosus inter utrumque perit : un’eco ovidiana nella descrizione della morte di Giuda in Aratore
L. Ceccarelli, The Metrical Forms of the Elegiac Distich in Late Antiquity: Ovid in Venantius Fortunatus