BMCR 2019.03.22

The Science of Roman History: Biology, Climate, and the Future of the Past

, The Science of Roman History: Biology, Climate, and the Future of the Past. Princeton: Princeton University Press, 2018. 280. ISBN 9780691162560. $35.00.

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L’interdisciplinarité est enjeu important, et croissant, des études sur l’antiquité. Pour être fructueux, le dialogue disciplinaire suppose une connaissance minimale entre les parties prenantes. Les sciences de laboratoire considérant la matérialité du passé peuvent sembler occuper à cet égard un rapport particulier : une grande partie des spécialistes de l’antiquité peuvent les connaître mal et sont issus de formations parfois éloignées de leurs paradigmes. Enfin, elles ont connu dans les dernières décennies, et connaissent encore, des évolutions rapides tant pour ce qui est des résultats que pour ce qui est des méthodes et des procédures expérimentales. Ces constats expliquent en partie que Walter Scheidel ait voulu procurer dans le volume ici présenté, un guide et en même temps un bilan des apports de ces disciplines à l’histoire romaine. Ce faisant, il fournit aussi un instantané capturant l’intrication croissante de l’histoire et des disciplines scientifiques de laboratoire. En conséquence, l’ouvrage est marqué par le contexte actuel de la science : la rapidité et la constance avec laquelle de nouveaux résultats paraissent, l’émiettement grandissant des spécialités, l’inflation énorme des connaissances pouvant décourager toute synthèse personnelle, traditionnellement chère aux historiens. Entérinant cette situation, Walter Scheidel invite cependant à ne pas abdiquer, à garder la tête froide face aux nouveautés, à résister à la tentation du sensationnalisme lorsque l’on présente la dernière découverte ( p. 8 « remain circumspect and resist the ever-present temptation to oversell the latest findings »), définissant finalement une position ambitieuse pour les historiens qui peuvent se placer au centre d’un carrefour interdisciplinaire. Pour explorer les rapports entres les sciences du monde physique et les recherches en histoire romaine, le volume qu’il a dirigé est divisé en sept chapitres allant du climat aux études génétiques, en passant par la botanique, l’archéozoologie et l’anthropologie physique.

Avant d’envisager brièvement chacun de ces chapitres, il faut souligner que l’ouvrage nous semble tenir son pari. Sans sacrifier les discussions, sans masquer les limites, sans oublier la complexité de certaines questions, il prend la forme d’un volume introductif de taille très raisonnable, où les articles présentent les différents domaines scientifiques toujours sous une forme abordable et claire. L’histoire romaine est l’intérêt principal de l’ouvrage, le spécialiste ne manquera pas de trouver des discussions de cas parfois passionnants. Bien sûr, le lecteur n’y trouvera pas d’exposé systématique de l’histoire romaine et la répartition des exemples et des cas est très hétérogène dans le temps, dans l’espace et dans les populations concernées : c’est la conséquence logique et légitime du but et du sujet de l’ouvrage. En outre, l’exposition des méthodes est telle que la lecture de l’ouvrage sera profitable à bien d’autres que les seuls pratiquant de l’histoire romaine. C’est particulièrement vrai pour le dernier chapitre, consacré aux enseignements de la génétique sur l’histoire des populations surtout à partir des études génétiques dans les populations contemporaines, afin d’en reconstituer l’histoire dans la longue durée. Son propos concerne de fait toute l’histoire du bassin méditerranéen. De même dans le chapitre précédent le lecteur croise Ramsès III et bien des éléments du chapitre sur le climat pourront éclairer l’histoire du monde grec ou du Proche-Orient. Ces divers chapitres sont de taille raisonnable et assez variable, allant d’une petite vingtaine de pages jusqu’à cinquante pour le chapitre consacré aux dents et aux restes osseux. Certains chapitres se complètent particulièrement bien comme les deux chapitres consacrés à l’ADN (chap. 6 et 7) ou ceux portant sur les os (chap. 4) et la croissance humaine (chap. 5). Prétendant seulement à une honnête culture scientifique générale, le recenseur ne saurait évidemment discuter chaque point des diverses contributions sur des domaines scientifiques aussi pointus et divers. Là où il a pu juger plus en profondeur, il a pu constater l’excellente tenu de fond du volume.

Le chapitre sur l’histoire du climat fourni une synthèse claire et complète sur un domaine qui a vu des bouleversements considérables dans les dernières années et n’est pas sans écho avec les préoccupations de nos sociétés contemporaines. Si des travaux récents, en partie par les mêmes auteurs, ont aussi abordé la question, sous un format parfois proche,1 l’article reste utile même pour les familiers de la question, notamment par le bilan procuré pour les spéléothèmes et en ce qu’il cherche à intégrer les dernières données.2 Les auteurs soulignent à juste titre que l’ampleur des données nouvelles procurées par les sciences physiques n’empêche pas les sources écrites, certes insuffisantes, de rester précieuses. Le résultat principal est bien sûr la coïncidence de la prospérité romaine avec une phase climatique particulièrement stable (p. 18), mais le bilan méthodologique reste prudent : l’exploration des relations entre le climat et les sociétés du passé ne fait que débuter, et comme ailleurs en histoire ancienne « the devil is in the details » (p. 39).3 Nos connaissances se sont multipliées, il reste à les intégrer rigoureusement dans toute leur complexité.

La question de l’analyse des restes botaniques et de leurs enseignements est traitée dans le riche chapitre deux à la construction claire et agréable à suivre, fortement soucieuse de questions historiques. C’est la base agraire des sociétés antique et de l’empire romain, en même temps que ses défis quotidien, qui peuvent être révélés par les restes végétaux. On ne signalera qu’un point sur lequel un lecteur trop hâtif pourrait glisser : la mention de grains de café retrouvés dans une épave (p. 65) illustre, en général, la variété des découvertes et des identifications que permet l’archéobotanique, et il faut préciser que le naufrage de Sadana, qui sert d’exemple, date du XVIIIe siècle.

La discussion sur l’archéozoologie suit logiquement la présentation de la botanique. S’appuyant particulièrement sur l’exemple du site de Sagalassos, l’exposé formule aussi des remarques plus larges sur la question de la datation en archéologie classique et sur l’usage du C14. Le lecteur trouvera aussi des réflexions sur la taphonomie, et des pistes sur de futures possibilités, en particulier à partir d’études histologiques (p. 112) ainsi qu’un vibrante conclusion sur la scientificité et l’importance d’arriver à une reconstruction partagée du passé (p. 115, en corrigeant la note 78 en « McGovern 1995 : 82 »).

La plus longue contribution du recueil concerne les os, les dents et l’histoire faisant rentrer de plein pied le volume dans le difficile domaine de la démographie humaine. Se concentrant justement sur les questions qu’il faut se poser (p. 126), il n’esquive pas les difficultés et s’attache de manière remarquable à marquer les limites de nos connaissances et de nos méthodes tout en insistant sur l’importance de la standardisation dans la collecte des données et dans la terminologie. Il pointe aussi les évolutions dans la discipline, en particulier, pour la paléopathologie, le passage du cas exceptionnel à la saisie de communautés entières. Jugeant que l’avis de décès de la paléodémographie est grandement exagéré, l’article est un plaidoyer pour reconsidérer nos ambitions et nos attentes à la hauteur du faisable en même temps qu’un appel optimiste à en tirer les conséquences méthodologiques : les études peuvent être riches d’enseignement si elles se font à partir d’un groupe bien identifié. Il faut pratiquer des comparaisons appropriées et se rappeler que la démarche critique est aussi importante que le suivi des progrès techniques.

Le chapitre suivant, traitant de la croissance et de la stature des individus, est fortement complémentaire et procure des enseignements méthodologiques très similaires, insistant sur le besoin d’approches plus nuancées et sur l’importance de la standardisation. C’est à une approche holistique de la stature des adultes qu’il faut parvenir à partir d’une compréhension biographique et en refusant l’uniformitarisme qui permettrait pour n’importe quelle population donnée de passer par la même formule de la longueur d’un os long à la stature complète d’un individu.

Les deux derniers chapitres concernant l’ADN sont les plus courts du volume, mais le domaine couvert, et les données collectées, semblent appelés à progresser rapidement. Le chapitre consacré à l’ADN ancien retrace l’historique des recherches et expose les bases biologiques de la question. Il énonce clairement les problèmes soulevés par certaines études en raison de leur taille notamment et le lecteur trouvera une explication claire des limites que rencontre l’étude génétique de la famille de Toutânkhamon. L’ADN n’est pas cependant que celui des humains, et l’article documente aussi les connaissances sur la génétique d’autres habitants de la planète avec qui nous devons parfois cohabiter pour le pire, comme le bacille de la peste. Le lecteur verra que l’usage de l’ADN ancien pour explorer l’antiquité est encore limité : bien des découvertes sont sans doute devant nous.

Le dernier chapitre enfin se consacre aux enseignements tiré des analyses de l’ADN des populations contemporaines, focalisant le propos en particulier sur le chromosome Y. Comme le chapitre précédent, il utilise des sigles (SNV, mtDNA, TMRCA…) moins familiers au spécialiste de Rome que CIL ou ILS ; un petit glossaire aurait été peut-être appréciable. Plus fondamentalement, il parcourt l’état d’un champ scientifique qui a été transformé dans les toutes dernières années et explore le temps profond des populations humaines, où bien des incertitudes subsistent. Combinant l’isolement des îles et la connectivité de la mer, la Méditerranée rassemble les deux forces en apparence opposées de la diffusion et de la dérive génétique. La haute résolution des études ouvre des possibilités qui sont esquissées, mais la prudence est nécessaire : c’est à juste titre que l’article rappelle qu’assimiler un haplogroupe à une migration « is an overly simplistic model ». S’il faut se garder de mesurer les gènes comme à une époque nos prédécesseurs pouvaient mesurer les crânes, on ne doit pas récuser les enseignements apportés par ces plongées dans nos ancêtres. Elles interrogent aussi nos identités contemporaines et nos représentations.

Terminons en signalant la très grande qualité de production du volume (nous n’avons relevé que le pathologique « paleopatholgoical » en p. 193). Même si Walter Scheidel prend acte, dans son introduction, de l’obsolescence programmée de bien des données face à la progression des sciences et des publications, le volume est d’un intérêt remarquable. Déployant un éventail large de problèmes et d’exemples, il constitue une introduction solide et peut-être moins éphémère qu’il n’y paraît. Il pourra intéresser nombre de spécialistes du monde antique et même stimuler des étudiants avancés, et si enfin l’accumulation des données et les transformations des méthodes de laboratoire diminuent son usage, il restera un témoignage historiographique important et un appel à réfléchir à la construction de nos connaissances.

Table des matières

W. Scheidel : Introduction
K. Harper, M. McCormick : Reconstructing the Roman Climate
M. van der Veen : Archaeobotany: The Archaeology of Human-Plant Interactions
M. MacKinnon : Zooarchaeology : Reconstructing the Natural and Cultural Worlds from Archaeological Faunal Remains
A. Sperduti, L. Bondioli, O.E. Craig, T. Prowse, P. Garnsey: Bones, Teeth, and History
R. Gowland, L. Walther: Human Growth and Stature
N. Tuross, M.G. Campana: Ancient DNA
R.J. King, P.A. Underhill: Modern DNA and the Ancient Mediterranean

Notes

1. En particulier M. McCormick et al., « Climate Change during and after the Roman Empire : Reconstructing the Past from Scientific and Historical Evidence », Journal of Interdisciplinary History, 43-2, 2012, p. 169-220, ainsi que les contributions concernant le climat dans W.W. Harris éd., The Ancient Mediterranean Environment between Science and History, Leyde, New York, 2013.

2. Notons pour le lecteur que la légère correction apportée en 2015 à la chronologie des carottes glaciaires n’impacte pas la figure 1-5 car le travail de 2007 à partir duquel elle est construite intégrait une marge d’erreur suffisamment robuste.

3. J. Scheid, « Éloge du détail. Réflexions sur la recherche dans les sciences de l’antiquité », in S. Mokni, M. Sebaï, Institutions municipales en Afrique proconsulaire, Sfax, 2017, p. 121 sq.