Ce recueil très attendu d’une sélection d’inscriptions grecques par Robin Osborne et P. J. Rhodes (désormais O & R), qui, presque un demi-siècle après, prend la relève du « Meiggs–Lewis » (1969) (M & L), est en tous points une réussite absolue. Cet ouvrage, dans la droite ligne du recueil des deux mêmes auteurs (mais dans un ordre inversé), consacré en 2003 au IV e siècle (BMCR 2004.10.08), obéit aux mêmes principes qui ont fait sa renommée, avec par exemple la traduction dans la page droite du texte grec édité page gauche. Il faut d’ailleurs se reporter à ce recueil de 2003 pour rappeler ce que les auteurs entendaient justement par inscriptions « historiques » quand tous les épigraphistes s’accordent pour dire que toute inscription est, par nature, historique: ils avançaient, dans leur préface, admettre sous ce terme des textes qui permettaient de faire avancer notre connaissance sur certains points disputés. Autre différence fondamentale: tandis que M & L intégraient des inscriptions archaïques, antérieures à la fin des guerres médiques (28), ce recueil ne débute qu’avec la célébration par Hiéron de Syracuse de sa victoire à Kymè contre les Étrusques en 474 (O & R101 = M & L 29). Comme les deux recueils comptent autant de textes (95), on comprend que le nombre de textes du V e siècle a augmenté.
Dans une introduction évoquant les spécificités de l’épigraphie du V e siècle, les auteurs résument de manière très précise certaines questions apparues ou développées depuis la parution du recueil de Meiggs et Lewis. Certaines sont purement épigraphiques comme la problématique des « mains » de graveurs, des republications d’inscriptions, des restitutions, le système numéral, la forme des lettres; d’autres sont plus historiques. Il y a ainsi un développement sur la « constitution athénienne », l’ordre des tribus, l’ordonnancement progressif des décrets, la ferme des impôts, le calendrier, les unités monétaires, les particularités alphabétiques locales, la forme des lettres et l’utilisation des inscriptions par les historiens modernes.
Il n’est évidemment pas possible de détailler la totalité des textes présentés. Il faut cependant commencer par quelques chiffres. Le recueil compte donc 95 textes, dont les deux tiers (64) étaient déjà insérés chez les prédécesseurs d’Osborne et Rhodes. Sur les 31 restants, 11 inédits ont été publiés après 1988 et la seconde édition de M & L (no. 104, 115, 117 B, 124, 127, 128, 143, 146, 161, 163, 178) et d’autres, connus antérieurement à la première édition, n’y avaient pas été intégrés (comme par exemple le n° 105, « Micythus’ dedications at Olympia »). Nombre de textes déjà présents dans M & L ayant fait l’objet de publications nouvelles avec insertion de nouveaux fragments, trouvent ici une réédition up to date : c’est le cas par exemple du n° 151, « Contributions to a Spartan War-Fund » dont la découverte du fragment de gauche a montré la présence des Éginètes parmi les contributeurs. Mais, même lorsqu’il n’y a pas eu de nouveau fragment découvert, Osborne et Rhodes notent les lectures nouvelles des stèles qui ont pu être faites ou l’interprétation de leur datation. C’est ainsi que dans l’ensemble, pour les documents « impérialistes » athéniens du V e siècle, les éditeurs suivent les propositions de Harold Mattingly en abaissant leur gravure aux premières années de la guerre du Péloponnèse. Parfois, un nouveau texte en éclaire un ancien ou permet de le dater de manière précise: c’est ainsi que le n° 161, « Athens honours Polypeithès of Siphnos, 422/1 », publié pour la première fois en 1998 permet, grâce à la mention du secrétaire du Conseil, de dater le n° 162 « Athens honours Callipus of Thessaly » de la même année, alors qu’il l’était jusqu’à présent de 416/5, voire du IV e siècle.
Le choix des textes présentés relève d’une véritable pertinence historique et pas seulement épigraphique. Certaines des inscriptions choisies peuvent être très fragmentaires et laisser donc la place à bien des incertitudes de lecture mais elles illustrent alors tout un pan important d’un aspect historique: c’est le cas du n° 116 (« Athenian dealings with the Delphic Amphictiony, c. 457 ») qui permet d’éclairer les tentatives athéniennes en Grèce Centrale et la situation globale de cet ensemble géographique au milieu du siècle. Si la domination des textes d’origine athénienne est toujours très importante, on voit que O & R ont accompagné les publications d’inscriptions extérieures à Athènes. En effet, sur les 67 textes de M & L postérieurs à 478, on comptait 50 issus de l’Attique et 17 du reste du monde grec. O & R proposent 62 textes venus d’Athènes et 33 du reste du monde grec. On passe des trois quarts d’inscriptions athéniennes à un peu moins des deux tiers, ce qui donne une image plus diversifiée de l’histoire de ce siècle. On imagine assez bien que les auteurs auraient pu augmenter le nombre d’inscriptions, mais le volume compte déjà plus de 600 pages et l’on imagine ce qu’il en aurait été, de la commodité de lecture d’une part, et du prix d’autre part, déjà astronomique.
Chaque texte est précédé d’une description et d’une présentation rapide de la pierre, des principales éditions du texte et de quelques références bibliographiques sur son utilisation historique. Ce serait un très mauvais et injuste procès que de souligner de prétendus oublis: on ne peut pas donner tous les livres et articles qui parlent de telle ou telle inscription. Le texte est évidemment accompagné d’un apparat critique et suivi d’un commentaire qui peut être long. Il s’agit là de la grande différence avec l’ouvrage de M & L, qui se contentait d’un commentaire explicatif assez minimal et qui, rappelons-le, ne donnait pas non plus de traduction. Le n° 109, la célèbre « Casualty-list of the Athenian tribe Erechtheis » ne donne aucune indication nouvelle sur le texte lui-même, mais elle permet à O & R d’expliquer le sens de ce type de stèle commémorative.1 Le n° 119 (« Athenian tribute quota lists, 454/3 – 432/1 ») est ainsi l’occasion de neuf pages très denses sur toutes ces années de phoros. De la même manière, le n° 172 (« Confiscated property of the Hermocopidae ») reprend en autant de pages tout le détail de l’affaire et commente en détail les informations considérables que livre ce document. O & R font toujours, lorsque c’est possible et pertinent, une allusion à des données dialectales du texte (ainsi pour les n° 117 A et 118 sur le dialecte thessalien).
Cet ouvrage majeur n’est pas seulement un manuel d’épigraphie, exemples à l’appui. C’est un vrai et grand livre d’histoire du V e siècle, grâce précisément à ces commentaires où rien n’échappe aux auteurs: la mise en relation avec les sources littéraires, quand c’est possible, est toujours recherchée, comme en témoigne le n° 132, « Halicarnassian law concerning disputed property » où apparaît le personnage de Lygdamis, connu pour être peut-être responsable de l’exil d’Hérodote; la bibliographie, sans être pléthorique, est juste et bien choisie. Enfin, les trois riches index permettent une circulation commode dans l’ensemble du livre. Il ne fait pas de doute que cette nouvelle édition des Greek Historical Inscriptions sera, pour le demi-siècle à venir, la référence épigraphique et historique du V e siècle.
Notes
1. Peut-être aurait-il été utile dans le commentaire d’évoquer ici l’inscription honorant les morts de Marathon récemment découverte et publiée et concernant la même tribu Erechtheis, inscription dans laquelle on trouve six noms connus par la stèle de 464.