BMCR 2018.03.02

Commento agli ‘Epigrammata Bobiensia’. Texte und Kommentare, 54

, Commento agli ‘Epigrammata Bobiensia’. Texte und Kommentare, 54. Berlin; Boston: De Gruyter, 2016. ix, 482. ISBN 9783110462012. $154.00.

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La collection des Epigrammata Bobiensia, appelés ainsi en référence à leur découverte, en 1493, par l’historien Giorgio Merula au sein du monastère de Saint Colomban à Bobbio, ont fait l’objet d’un nombre important de contributions depuis les éditions de F. Munari (1955) et de W. Speyer (1963) ; plusieurs sont très récentes et attestent l’intérêt suscité au cours de la dernière décennie par l’épigramme latine tardive. Il s’agit toutefois surtout d’articles isolés, consacrés pour la plupart à un poème, un cycle ou un aspect particulier. On attendait donc une synthèse intégrant, depuis l’unique étude d’ensemble de S. Mariotti (1962), les apports de la critique littéraire et interrogeant, par-delà la question de la constitution de la collection et de ses sources, celle de sa nature même et de ses enjeux variés. ‒ Seul Wolfgang Kofler s’est essayé à la tâche dans l’ Habilitationsschrift qu’il a présentée à Innsbruck en 2007 ; dans son état de la question, F. R. Nocchi mentionne cependant cette étude inédite de manière trop sommaire pour qu’on puisse s’en faire une idée précise.

L’ouvrage de F. R. Nocchi se présente comme un commentaire des Epigrammata Bobiensia. De fait, le commentaire constitue de très loin la partie la plus importante du volume (p. 43-410) : chacune des 71 épigrammes du recueil fait l’objet d’un commentaire synthétique, puis analytique d’une très grande richesse, dont témoigne d’emblée l’ampleur de la bibliographie spécifique puis thématique citée au début de chaque étude ; elle est systématiquement exploitée dans la suite pour étayer ou nuancer les observations de détail. Le commentaire d’ensemble présente la structure de chaque poème et le resitue au sein du recueil en considérant sa place, les pièces du même genre, les jeux d’échos divers, etc. ; les pièces dont la paternité est assurée (cf. en particulier les poèmes 2 à 9 de Naucellius) sont également étudiées dans leur cohérence. Chaque poème est, par ailleurs, resitué dans la tradition littéraire, rhétorique et culturelle dont il est issu, mais aussi considéré dans son originalité. On notera tout particulièrement la fine analyse proposée des sources grecques et/ou latines. Quant au commentaire analytique, il examine de manière systématique les leçons discutées, les loci similes et les iuncturae, l’expressivité des formulations, la filiation et la postérité des motifs abordés. L’ensemble constitue une somme érudite qui sera utile non seulement à l’étude des epigrammata Bobiensia, mais aussi aux autres pièces du genre et, plus largement, de tous les types de textes qui abordent des thèmes similaires.

L’ouvrage ne se limite pas, cependant, à cet énorme travail de commentaire. Si la traduction est celle, déjà publiée, que F. R. Nocchi a cosignée avec Luca Canali ( Epigrammata Bobiensia, Soveria Mannelli, 2011), l’Italienne a entrepris la réédition des textes en restant aussi fidèle que possible à l’unique manuscrit. Elle propose ainsi à plusieurs reprises d’en conserver la leçon, mais intègre aussi à son édition diverses conjectures antérieures et propose quelques corrections personnelles. Bien plus, le commentaire est précédé d’une riche introduction qui permet, tout en intégrant et en discutant les conclusions d’études antérieures, de mettre en évidence la « matrice rhétorique » de la collection et, par là, d’éclairer de manière tout à fait novatrice son enjeu scolaire.

F. R. Nocchi y revient d’abord brièvement sur la tradition du texte et la genèse de la collection (p. 3-8). Elle rappelle son caractère exclusivement païen qui constitue un premier élément d’unité, avant d’aborder l’épineuse question de la genèse de la collection en raison de l’incertitude liée à l’identité de la plupart des auteurs et au fait que le début soit mutilé : de fait, la collection est dénuée de titre et le premier poème ne présente pas les caractéristiques d’un poème préfaciel (alors que le c. 57 Ad Nonium Atticum prend, singulièrement, la forme d’une épigramme dédicatoire). Si la plupart des poèmes sont anonymes, la volonté de leurs auteurs d’exhiber leur savoir poétique est, en tout cas, patente, et transparaît nettement dans leur capacité de réélaboration ; quant à l’auteur de la collection, il entendait manifestement offrir une vue d’ensemble du genre épigrammatique en compilant tous les types d’épigrammes (ecphrastique, satirique, gnomique, funéraire et érotique), d’où la proposition, sur la base de collections antérieures, d’une anthologie semblable à la Palatina ou la Latina (cependant postérieure), mais de dimension plus modeste. Un tel projet anthologique expliquerait bien, en tout cas, l’absence d’unité et de cohérence souvent notée par la critique, et semble corroboré par le grand nombre de genres épigrammatiques représentés proportionnellement au nombre total de pièces, comme si le compilateur avait voulu conserver un ou plusieurs exemplaires de chaque genre. La même volonté de sélection se retrouve dans le cas d’œuvres traitant d’un même sujet : les divers poèmes dédiés à des grammairiens concentrent ainsi tous les sujets de critique traditionnellement formulés contre cette profession ingrate ; on pense aussi, comme le montre F. R. Nocchi dans son commentaire, aux poèmes sur la vache de Myron dont le choix semble avoir été guidé par la recherche de la varietas puisqu’ils développent tous des topiques différentes (p. 111).

F. R. Nocchi s’attache ensuite à la structure de la collection et sa matrice littéraire (p. 9-22). Elle y revient sur les deux sections de la collection (vraisemblablement séparées, dès le départ, par la Sulpiciae conquestio) : la première est organisée par blocs thématiques suivant un principe d’organisation rappelant la manière grecque ; la seconde présente une plus grande variété dans la disposition des carmina, dans les tituli et les choix métriques, et présente, comme chez Martial ou Ausone, des séquences thématiques qui alternent avec des reprises à distance du même motif. Mais surtout, F. R. Nocchi entame dès cette partie la réflexion sur la forte matrice scolaire et rhétorique qui caractérise l’ensemble du florilège (y compris la Sulpiciae conquestio) en examinant la question des sources et des modèles littéraires. Nombreuses sont en effet les épigrammes traduites du grec qui trouvent, pour la plupart, leur source dans l’ Anthologie palatine : dans une étude originale de leur vertere, F. R. Nocchi montre que les poètes des Bobiensia traduisent certes plus fidèlement qu’Ausone (qui a d’ailleurs proposé une traduction plus libre de certains poèmes dont le recueil propose une version latine, avec laquelle rivalise par exemple l’auteur de l’ epigr. 14) ; ils n’en présentent pas moins une part d’originalité, a fortiori une touche de réalisme typiquement romain, même si l’aspect ludique est fondamental (cf. infra). Les auteurs majoritairement traduits sont : Lucillius, Antipater, Sidoine, Palladas dont les épigrammes présentent une orientation scolaire intéressante, ainsi que Platon dont la notoriété atteste la diffusion du néoplatonisme à la fin de l’époque païenne. La part de la rhétorique transparaît aussi dans la reprise de certaines topiques, à l’exemple de la topique de l’œuvre d’art vivante, prégnante dans les nombreuses épigrammes ecphrastiques. On notera enfin des réflexions intéressantes (mais non nouvelles) sur la disposition métrique des carmina, par exemple le fait que les compositions issues de sources non épigrammatiques présentent d’autres mètres que le distique (trimètre et hexamètre) ; le même critère vaut pour de nombreuses épigrammes pour lesquelles aucun parallèle grec n’a été trouvé (p. 19).

La troisième partie est consacrée à la matrice rhétorique proprement dite (p. 23-29). Cette dernière fut souvent notée, mais non analysée à ce point de détail, avec des références aux traditions rhétorique, gnomologique, papyrologique, etc. qui attestent, par-delà la dimension purement rhétorique de la collection, son orientation scolaire. De fait, les epigrammata Bobiensia se présentent d’abord et surtout comme des lusus permettant à leur auteur d’exercer son propre style tout en tentant d’innover. Or ce faisant, ce dernier semble perpétuer diverses habitudes scolaires, nettement perceptibles dans le choix de certains motifs (comme la topique de l’inconstance de la Fortune, la satire des grammairiens, etc.) et/ou la structure de certains poèmes (cf. en particulier l’ epigr. 22 De uxore ducenda qui traite l’une des quaestiones finitae et infinitae débattues dans les écoles de rhétorique grecques et latines). De fait, la composition de poèmes fait manifestement partie intégrante de la formation scolaire tardo-antique ; il en va de même de certains genres, en particulier l’ ekphrasis qui faisait partie des progymnasmata. On sait par ailleurs que l’exercice de version (du grec en latin) était notamment pratiqué en prose, d’où son extension possible au domaine de la poésie. La dimension rhétorique de la collection n’est pas seule en cause. Plusieurs traits stylistiques rappellent également la tradition scolaire : on pense notamment au goût pour les formes sentencieuses ou à la reprise des arguments d’éthopées ou de fables. Est-ce à conclure que le recueil des Bobiensia est, en réalité, un livre scolaire ? Si F. R. Nocchi n’exclut pas cette hypothèse, elle l’avance, avec raison, avec d’infinies précautions (p. 29).

Les deux dernières parties sont consacrées respectivement au contexte historique et culturel de la collection (p. 30-35) et à la délicate question de la paternité des compositions (p. 36-38). Sauf dans le cas de Domitius Marsus, poète de l’époque augustéenne dont l’insertion des épigrammes reste problématique, l’ensemble des compositions datent probablement de la fin IV e / du début du V e siècle. Cette hypothèse est confortée par la date des deux autres poètes auxquels les critiques reconnaissent un nombre controversé de poèmes : Naucellius et Flavius Anicius Probinus. L’identité des autres personnages mentionnés tend dans le même sens, de même que la rivalité avec Ausone ou le contexte païen de la collection, lié au cercle de Symmaque dont faisait partie Naucellius (sans trace, toutefois, de polémique religieuse). Quant à la paternité des compositions, qui est une quaestio vexata, F. R. Nocchi se contente de reprendre in fine la conclusion avancée dans la première partie : celle d’un collectionneur unique qui aurait emprunté à deux collections différentes (d’où sa division en deux parties, séparées dans la tradition manuscrite par la Sulpiciae conquestio).

Il s’agit, au final, d’un ouvrage d’une richesse et d’une érudition remarquables, qui offre une synthèse exhaustive sur le recueil des Epigrammata Bobiensia. Il ne fait nul doute que sa publication fera date, et que ce volume sera désormais indispensable pour l’étude non seulement de ce recueil poétique, mais aussi de la poésie latine tardive en général, dont il montre de manière tout à fait remarquable, pour l’histoire littéraire et culturelle de l’Antiquité tardive, la « matrice rhétorique et scolaire ».