BMCR 2018.01.23

Inscriptiones Macedoniae, Fasiculus 1: Inscriptiones Thessalonicae et viciniae, Supplementum 1: Tituli inter a. MCMLX et MMXV reperti. Inscriptiones Graecae Epirit, Macedoniae, Thraciae, Scythiae, X 2,1s

, Inscriptiones Macedoniae, Fasiculus 1: Inscriptiones Thessalonicae et viciniae, Supplementum 1: Tituli inter a. MCMLX et MMXV reperti. Inscriptiones Graecae Epirit, Macedoniae, Thraciae, Scythiae, X 2,1s. Berlin; Boston: De Gruyter, 2017. xi, 237. ISBN 9783110523362. $343.99.

Ce nouveau fascicule des IG, abrégé X 2,1s, qui concerne une cité majeure du monde gréco-romain, constitue d’emblée un corpus remarquable de tous les points de vue. Les inscriptions de Thessalonique avaient été publiées en 1972 par Charles Edson ( IG X 2,1), avec un choix limité d’illustrations (16 planches) pour une masse considérable, de plus d’un millier de numéros.1 Les résultats des enquêtes érudites de P. M. Nigdelis et de son autopsie des inscriptions de Thessalonique sont désormais consultables dans un corpus. Il renferme les inscriptions découvertes depuis les années 1960 jusqu’en 2015, conservées à Salonique au Musée Archéologique et au Musée de la Culture Byzantine, ainsi que dans d’autres collections. Des publications préliminaires signées par le même épigraphiste grec avaient considérablement enrichi les connaissances sur la cité macédonienne à l’époque impériale.2 Un détail non négligeable de ce supplément est la proportion de textes réellement nouveaux. Il est des auteurs qui ne font que rassembler – avec plus ou moins d’esprit critique, avec ou sans illustrations – la bibliographie ou leurs propres publications dans un corpus dont la seule utilité est de rassembler ce qu’on connaissait déjà. Or, dans ce corpus, la proportion des inscriptions inédites est tout à fait considérable : sur plus de 630 inscriptions (n os 1042-1673), Nigdelis donne le texte et les photos de 200 inédits.3 Autant dire que les amateurs de nouveautés trouveront leur bonheur.

Les documents, classés par catégories et soigneusement présentés d’après les normes des IG, bénéficient de brefs commentaires portant sur les restitutions, le lexique, la prosopographie et l’onomastique. S’agissant d’un supplément, les premières catégories de documents ne sont pas particulièrement nombreuses : décrets et lois, dédicaces votives, dédicaces honorifiques, invitations au jeux (les fameuses « invitationes ad munera gladiatorum et venatorum » du milieu du III e s. ap. J.-C., n os 1072-1076), un catalogue. En revanche, comme dans la plupart des recueils, l’écrasante majorité des textes est constituée d’épitaphes, classées d’après leur lieu de découverte (par nécropoles), s’il est connu, ou leur époque (les épitaphes tardives et chrétiennes). À la fin du recueil sont ajoutées quelques inscriptions des alentours de Thessalonique. Sur le modèle du corpus d’Edson, les inscriptions d’origine inconnue mais dont la provenance de Thessalonique est vraisemblable sont pourvues d’un astérisque.4 Comme ailleurs en Macédoine, la plupart des inscriptions datent de l’époque impériale, avec toutefois quelques textes antérieurs5 et un nombre important d’épitaphes plus tardives. Quelques inscriptions latines et bilingues (latin-grec) sont également incluses ; elles confirment l’installation massive d’Italiens à Thessalonique vers la fin de l’époque hellénistique,6 qui se traduit par la richesse et la variété des gentilices, dont certains sont très rares (e.g. Agelleius, Aliceius, Tetrinius /Τετρήνιος), voire hapax (Μεστρώνιος, Νεμετρώνιος, Σεπτιμήνιος, Φολκίλλιος) ou comportent des graphies notables ( Caechilius, Θουσκεία).7 Nigdelis a fait le choix judicieux d’inclure toutes les inscriptions tardives et chrétiennes, puisque la cité conserva son importance durant l’Antiquité Tardive.8

Les épitaphes, en particulier familiales, offrent des renseignements onomastiques significatifs à plus d’un titre. Tout d’abord, des noms macédoniens (e.g. Ἀλέξανδρος, Ἀμύντας, Κλεοπάτρα, Κόρραγος, Περείτας), avec des survivances étonnantes, tel le cognomen d’Αἰλία Βείλα au milieu du II e s. ap. J.-C. (1097), qui est la forme macédonienne de Φίλα. Parmi les noms fréquents en Macédoine, on remarque Κοπρία (4 fois) et Κόπρυλλος, dans la série des « noms copronymes » à très forte valeur apotropaïque analysés naguère par O. Masson ( OGS, III, p. 260-263), qui notait déjà qu’une « série d’attestations se localise en Macédoine ». Parmi les nombreux diminutifs et dérivés surgit une foule d’hypocoristiques en -ᾶς : Ἀρτεμᾶς, Ἀχιλλᾶς, Ἐπαφρᾶς, Ἑρμᾶς, Εὐλᾶς (hypocoristique du beau nom macédonien Εὔλαιος), Εὐτυχᾶς, Εὐφρᾶς, Ζωϊλᾶς, Ζωσᾶς, Καβειρᾶς, Πουπλᾶς, Πριμιγᾶς (ces deux derniers, bâtis sur des noms latins, Publius et Primigenius), Σεραπᾶς. En plus des noms nouveaux ou hapax (Καθέκων, Κάμρυς) ou portés par des gladiateurs (Ἱππάρχος, Κερδείτης, Ληνοβάτις), il faut signaler des noms de villes macédoniennes employés comme anthroponymes féminins (Βερόη, Πέλλη).

Comme attendu, on constate la présence d’un groupe assez nombreux de noms indigènes, qui sont de facture thrace (e.g. Βιθυς, Διζαλας, Κοτυς, Ταρουλας). Parmi eux, les plus nombreux sont toutefois les noms thraces occidentaux, épichoriques en Macédoine Orientale (e.g. Γουρας, Δουλης, Μουκασης, Μωμω et Μωμα, Τορκος). Les anthroponymes de cette série sont parfois pourvus de suffixes grecs (Βένδιον, Μαντώ, Τορκίων),9 indice des acculturations en cours.

Les épitaphes d’époque hellénistique, impériale et tardo-antique livrent des ethniques d’étrangers présents ou décédés à Thessalonique. Ils sont parfois originaires de la même province : Philippes (une famille de pérégrins thraces), Edessa et deux ethniques notables10 ; plus souvent, ils viennent de Grèce continentale et l’espace égéen (Leucade ?, Méthymne), d’Asie Mineure (Tralles, Myndos, Cyzique ?, Nicée, Amastris, Néocésarée du Pont), de la région de Sirmium, d’Égypte (Naucratis), de l’espace syrien (Émèse, Nisibis, village de la région d’Apamée) et d’une des nombreuses villes du nom d’Héraclée. Le recrutement ou l’importance stratégique de la cité expliquent le petit dossier d’épitaphes de soldats de l’armée romaine impériale (cf. un centurion de la legio II Adiutrix, 1402) ou tardive [*1493 ( numerus), *1531] ; ils sont originaires de la même province [1175, 1178, 1377, 1438, *1464 ( beneficiarius)] ou d’ailleurs, tel un auxiliaire gaulois dans l’ ala Macedonica (1360, né à Segusiavum, auj. Feurs). Parmi les divinités, il faut signaler les collèges funéraires patronnés par Artémis Γουρασία (1363), dont l’épithète est nouvelle, ou par Ἥρων Αὐλωνίτης (1368), divinité de la région du Pangée.11

Pour chaque document, Nigdelis fait preuve d’acribie et de maîtrise épigraphique, corrigeant et améliorant les éditions antérieures (ainsi, la lecture du gentilice Μεινουκεία, 1110). Les éventuelles critiques sont à vrai dire insignifiantes. Quelques notules – 1165 : préférer à la séquence Εὐτυχία Πυ|ρουλσωνι l’une des propositions de J. Curbera (Εὐτυχία Πύ| ρου Λ<έ>ωνι). – 1167 : il est douteux que le nom Ἰάνης soit, au III e s. ap. J.-C., un hypocoristique de Ἰωάννης. – 1244 : il est difficile de restituer Γαΐῳ Μηθ[α|κ]ῷ, car ce nom de facture iranienne ne se rencontre qu’au nord de la mer Noire. – 1356 : [-]κα[.]άνδρῳ, nom du défunt au datif ; plutôt que le nom caractéristique Σκάμανδρος (et index p. 529), il faut envisager le nom macédonien Κάσ(σ)ανδρος (lire [ὁ δεῖνα] Κα[σ]άνδρῳ), même si aucune trace du sigma n’est visible sur la pierre.

Le corpus se clôt par des concordances, suivies d’indices très riches (K. Hallof), dont un indice grammatical de J. Curbera, 12 puis de 62 planches d’illustrations. C’est un autre mérite incontestable de cet ouvrage que de donner, pour quasiment toutes les inscriptions, des photos de qualité, qui permettent de constater la justesse des lectures et des restitutions de Nigdelis. D’une part, l’exploitation des traits paléographiques est facilitée, puisque nombre d’épitaphes ou d’autres inscriptions sont parfaitement datées (ère provinciale, ère actiaque ou les deux ; indiction plus tard). D’autre part, et en complément, on dispose de points de repère sur la typologie des monuments et leur iconographie, dans une région située à la confluence de motifs égéens, italiens et venus de l’espace thrace.13 Des reliefs et des plaques côtoient des autels funéraires et des sarcophages, d’exécution variable. Une bonne partie des épitaphes est pourvue d’une iconographie typique des contrées macédoniennes. Tout d’abord, on note plus d’une cinquantaine de reliefs à portraits, individuels, d’un couple ou d’une famille avec enfants (têtes, bustes, souvent figures entières) ; puis, moins d’une dizaine d’exemples du banquet funèbre, et au moins 8 fois la scène-type du soi-disant « Cavalier Thrace » ( heros equitans),14 dont deux fois en combinaison avec un ou plusieurs portraits ; enfin, des symboles du métier (navires, ancre, charrues), des représentations de soldats, de gladiateurs ou d’un acteur comique.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que féliciter l’auteur pour la qualité exceptionnelle de son corpus. Ce nouveau recueil confirme la place de la Macédoine parmi les régions du monde antique les mieux couvertes par des éditions épigraphiques critiques.

Notes

1. Comptes rendus : L. Robert, « Les inscriptions de Thessalonique », dans RPh, 48, 1974, p. 245 (= OMS, V, p. 332) ; G. Mihailov, « Aspects de l’onomastique dans les inscriptions anciennes de Thessalonique », dans Ἡ Θεσσαλονίκη μεταξὺ Ἀνατολῆς καὶ Δύσεως. Πρακτικὰ Συμποσίου Τεσσαρακονταετηρίδος τῆς Ἑταιρείας Μακεδονικῶν Σπουδῶν 1980, Salonique, 1982, p. 69-84 (= Scripta Minora. Épigraphie, onomastique et culture thraces, Sofia, 2007, p. 153-168).

2. P. M. Nigdelis, Επιγραφικά Θεσσαλονικεία. Συμβολή στην πολιτική και κοινωνική ιστορία της αρχαίας Θεσσαλονίκης, Salonique, 2006 ; un deuxième tome, paru en 2015 ( Μακεδονικά Επιγραφικά 3) ; P. O. Juhel, P. M. Nigdelis, Un Danois en Macédoine à la fin du 19 e siècle. Karl Frederik Kinch et ses notes épigraphiques. Ενας Δανός στη Μακεδονία του τέλους του 19ου αι.: ο Karl Frederik Kinch και οι επιγραφικές του σημειώσεις, Salonique, 2015 ( Μακεδονικά Επιγραφικά 1). Sur l’état de l’épigraphie en Macédoine, voir http://www.inscriptionesmacedoniae.gr (coord. P. M. Nigdelis, I. Sverkos, S. Zoumbaki).

3. Seule une minorité des inédits sont très fragmentaires et sans possibilité d’indexation. On aurait certainement aimé retrouver dans ce supplément une révision des inscriptions publiées par Edson, mais cela aurait exigé un projet en soi.

4. Un groupe d’inscriptions conservées à Salonique provient de la région de Rhaidestos (Turquie européenne), étant apportées par les réfugiés grecs après la première guerre mondiale ; cf. P. Adam-Veleni, E. Tsangaraki, K. Chatzinikolaou (éds.), Ραιδεστός – Θεσσαλονίκη. Αρχαιότητες σ᾿ ένα ταξίδι προσφυγίας. Rhaidestos – Thessaloniki. Antiquities in a Refugee Journey, Salonique, 2016.

5. Ainsi, un décret fragmentaire pour un médecin anonyme de Thessalonique (ca. 200-175 av. J.-C.), fils de [—-]phanès, qui avait donné des akroaseis dans une cité inconnue qui l’honore (1042).

6. Cf. A. D. Rizakis, « L’émigration romaine en Macédoine et la communauté marchande de Thessalonique : perspectives économiques et sociales », dans C. Müller, C. Hasenohr (éds.), Les Italiens dans le monde grec. II e siècle av. J.-C.-I er siècle ap. J.-C. Circulation, activités, intégration. Actes de la table ronde École Normale Supérieure Paris 14-16 mai 1998, Athènes-Paris, 2002 ( BCH Suppl. 41), p. 109-132.

7. Il est utile de noter, dans la même inscription, les formes Οὐείβιος et Βίβιος pour le même gentilice Vibius.

8. Pour l’ensemble de la province, voir D. Feissel, Recueil des inscriptions chrétiennes de Macédoine du III e au VI e siècle, Paris, 1983 ( BCH Suppl. 8).

9. Voir mon étude « Hellénisation par suffixation : noms non-grecs et suffixes grecs », dans A. Alonso Déniz, L. Dubois, C. Le Feuvre, S. Minon, É. Chiricat (éds.), La suffixation des anthroponymes grecs antiques (SAGA). Actes du colloque international de Lyon, 17-19 septembre 2015, Université Jean-Moulin-Lyon 3, Genève, 2017, sous presse.

10.] L’épitaphe *1043 fournit la première mention épigraphique de Tirsai (Τιρσαιο-), cité de Mygdonie en Macédoine (cf. Étienne de Byzance, s.v.) ; une autre épitaphe livre un ethnique inconnu par ailleurs, Ζαῖος (1099), sans doute de Macédoine.

11. Sur son sanctuaire à Kipia, dans le territoire de Philippes, voir C. Brélaz, Corpus des inscriptions grecques et latines de Philippes. Tome II. La colonie romaine. Partie 1. La vie publique de la colonie, Athènes, 2014 ( Études épigraphiques 6), p. 52-55.

12. De sa liste de noms thraces (p. 553) il convient d’exclure Ἀμμαδείκα, qui entre dans une série de noms macédoniens [cf. M. B. Hatzopoulos, L. D. Loukopoulou, Recherches sur les marches orientales des Téménides (Anthémonte-Kalindoia), II, Athènes, 1996 ( Μελετήματα 11, p. 215-216] ; dans les deux index, le nominatif d’un nom thrace fréquent n’est pas Μουκασος (p. 533 et 553) mais bien Μουκασης ( OnomThrac 234-235).

13. Entre autres : M. Lagogianni-Georgakarakos, Corpus signorum Imperii Romani. Griechenland III 1: Die Grabdenkmäler mit Porträts aus Makedonien, Athènes, 1998 ; P. Adam-Veleni, Μακεδονικοί βωμοί: τιμητικοί και ταφικοί βωμοί αυτοκρατορικών χρόνων στη Θεσσαλονίκη, πρωτεύουσα της επαρχίας Μακεδονίας και στη Βέροια, πρωτεύουσα του Κοινού των Μακεδόνων, Athènes, 2002.

14. Le relief 1231 présente le motif du « Cavalier Thrace » à la chasse et comporte une épigramme funéraire du II e s. ap. J.-C. qui désigne le défunt comme ἱππευτὴς ἥρως (« heros equester »).