Un bref avant-propos (p. 11-14) présente rapidement la période considérée, le IV e siècle, siècle de transition où se rencontrent le christianisme et le paganisme et où fleurissent trois grands poètes latins : Ausone, Prudence et Claudien (qui est bien païen et non « vraisemblablement chrétien » comme il est écrit p. 11). De cette période, l’auteur a choisi de présenter deux œuvres de poésie d’amour qui s’inscrivent dans une longue tradition romaine qui remonte à la période augustéenne, en s’adressant non aux spécialistes (les études scientifiques sur les deux œuvres choisies sont nombreuses, même si la très brève bibliographie finale, p. 93-94, est très incomplète), mais à une public beaucoup plus large (germanophone) : un cycle de six poèmes d’amour, dont le dernier a été transmis incomplet (seulement le distique initial), qu’Ausone consacre à une jeune esclave germanique blonde nommée Bissula et la fameuse Veillée de Vénus, de date controversée, mais qu’un certain nombre de critiques, dont Alan Cameron, placent au IV e siècle, deux charmantes poésies d’amour qui méritent d’avoir leur place dans la littérature européenne.
Une introduction (p. 15-46) présente successivement les deux œuvres. Pour la Bissula, l’auteur présente la personnalité d’Ausone en insistant sur ses poèmes d’amour, ses épigrammes érotiques, y compris à sa femme (poèmes donnés en allemand sans le texte latin) et, bien sûr, le cycle polymétrique (mètres lyriques et dactyliques) des six poèmes à Bissula préfacé par une lettre à son ami Axius Paullus : deux poèmes d’introduction et quatre poèmes pour retracer une sorte de roman d’amour qui renouvelle la topique élégiaque par une relation sentimentale d’un type nouveau (comparaisons éclairantes avec Mr. Higgins, Lolita et le professeur Unrath, comme avec Horace et Anacréon, sur le thème de l’homme âgé et de la jeune femme).
Le Peruigilium Veneris, petit poème anonyme de 93 vers qu’on peut dater par sa métrique et sa langue du IV e siècle, mais dont l’attribution à Tibérianus, proposée par Baehrens et reprise par Alan Cameron, est incertaine (sa qualité ne permet pas à Hans-Christian Günther d’accepter cette hypothèse), établit pour la première fois dans l’antiquité le lien entre l’amour, force cosmique de l’univers, et l’amour personnel. Ce poème, qui a connu d’innombrables admirateurs jusqu’à T. S. Eliot, donne l’impression d’avoir été écrit pour une fête de Vénus, mais c’est une fiction poétique qui introduit dans un monde idéal et non réaliste. Des couplets inégaux scandés par un refrain lancinant créent une atmosphère particulière qui mêle mélancolie et mystère (mise en parallèle avec la musique de Schubert) : c’est le poème d’un poète exclu de la fête d’amour qu’il décrit et qui a perdu la parole (parallèles avec le poème d’Heidegger Das Wort et avec le poète grec moderne Giorgos Seferis), une sorte de musique dans l’ombre, à la lisière du silence, qui est ici proposée en contrepoint avec la Bissula d’Ausone.
Après cette belle présentation, les textes sont donnés en version bilingue, textes latins et allemands face à face : les six poèmes de Bissula avec leur lettre d’accompagnement (p. 48-63), puis le Peruigilium Veneris (p. 65-79). L’apparat critique, comme on peut le comprendre dans une édition destinée non aux spécialistes mais au grand public, se limite pour Bissula à quelques notes sélectives pour indiquer quelques interventions de philologues (à noter une correction personnelle à Bissula 3,5 : nescit erile) ; mais le texte latin de Bissula n’est pas toujours fiable : le vocatif Paule est omis et dans la lettre d’accompagnement (p. 48, ligne 2 devant carissime) et au premier vers de la Praefatio (p. 52, avant cunctos), ce qui rend le vers faux (au même vers, pourquoi l’orthographe Bissullae contre Bissula partout ailleurs ?) ; et l’oubli de in devant hoc (II,5, p. 54) impose un hiatus qui n’est pas dans la manière d’Ausone. Le texte du Peruigilium Veneris est plus rigoureux, même si les leçons spécifiques de chaque manuscrit n’y sont pas précisées ; il aurait fallu indiquer que En (v. 19), dicet, adsidebunt (v. 50) et subter (v. 81) sont des corrections et, au v. 20, l’on aimerait savoir d’où vient la leçon serena qui pose un problème métrique (hiatus).
La traduction allemande est exacte, parfois un peu large et délayée, mais j’ai apprécié l’effort pour proposer une traduction en stiques (rythmés si possible) des poèmes.
L’annotation est légère (p. 81-84 pour Bissula; p. 85-91 pour le Peruigilium Veneris) et consiste essentiellement en notes explicatives pour faciliter la lecture d’un large public (les références scientifiques manquent parfois).
Au total, il ne faut pas demander à ce livre ce qu’il ne voulait pas être : conçu pour intéresser un large public à deux ensembles poétiques latins tardifs d’un intérêt littéraire indubitable, ce livre atteint sans aucun doute son objectif par la qualité de la présentation initiale. Dans une approche de littérature comparée qui fait intervenir, à côté des littératures antiques, les littératures modernes (anglaise, allemande, grecque), la philosophie et les arts (en particulier la musique), l’auteur montre parfaitement l’intérêt des textes qu’il propose dans une perspective culturelle très large propre à intéresser un large public cultivé.