BMCR 2017.11.29

Truth and History in the Ancient World: Pluralising the Past. Routledge studies in ancient history

, , Truth and History in the Ancient World: Pluralising the Past. Routledge studies in ancient history. London; New York: Routledge, 2016. 288. ISBN 9781138839403. $149.95.

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L’ouvrage, composé de 13 textes dont une introduction, est issu de certaines des communications proposées dans le cadre de l’atelier 7—Pluralizing the Past: Truth, Belief and Fictionality in Tragedy and Historiography (Ian Ruffell and Lisa Irene Hau, Glasgow)—de la VII ème Celtic Conference in Classics qui s’était tenue à l’université de Bordeaux-Montaigne du 5 au 8 septembre 2012.

Dans leur introduction, les éditeurs posent la question de la relativité du questionnement de la vérité en histoire, singulièrement dans les cultures antiques où celle-ci pouvait être questionnée de manière ouverte et polysémique. Le rapport des Grecs, par exemple, avec la vérité historique est relatif dans le sens où ils pouvaient croire ou faire semblant de croire aussi aux mythes (l’étude de Paul Veyne Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? reste très stimulante) et s’arranger en fonction d’intérêts personnels, culturels, diplomatiques, politiques ou sociaux des faits et du sens à leur donner ; ce qui contribua parfois à transformer l’histoire en rhétorique ou à envisager la tragédie, par exemple, comme une des formes sublimées de l’histoire humaine.

Le statut de l’histoire en tant que discipline doit être interrogé à l’aulne de l’émergence, au V e siècle avant notre ère d’autres manières d’envisager le passé en l’inscrivant dans une mémoire généalogique qui est celle des gentes à Rome, mais qui est celle aussi des tyrannicides à Athènes et de la fin de la tyrannie du point de vue des Alcméonides. Le développement concurrentiel des discours—poésies épique et lyrique, tragédie, philosophie—sur l’histoire a obligé les historiens antiques a tenir compte de cette diversité narrative et véridictive pour développer ses propres démarches, méthodes et arguments pour être intelligible et s’imposer comme le discours sur l’histoire à défaut d’être l’histoire elle-même tout en se posant comme la forme la plus proche de ce qui s’est passé, bien que le passé ne puisse être réminiscence. L’histoire de l’Antiquité est ainsi devenue un enjeu historiographique qui depuis l’Antiquité oppose ceux qui veulent y voir une source de véridiction et de compréhension du monde et ceux qui, à travers elle, défendent une vision tant du passé que du présent. Si le positivisme de Ranke défendait l’idée de l’historien plume de l’histoire, Grote pensait à la classe moyenne anglaise en décrivant le monde grec. Récemment encore les débats sur Histoire et Vérité ont mis en lumière l’histoire contrefactuelle et l’opposition entre finalisme historique et idéologie. Le tournant épistémologique de l’historiographie accorde une place plus importante à l’herméneutique et à la déconstruction d’événements historiques qui nous obligent à réinterroger non seulement les sources, mais également les productions historiographiques antérieures, ce qui conduit à s’interroger à nouveau sur le sens de la vérité, de la croyance et de l’ontologie en histoire. S’interroger sur les liens entre histoire et vérité a conduit les éditeurs de cet ouvrage à demander au lecteur de s’interroger sur les liens entre vérité et histoire bien sûr, mais aussi sur d’autres liens, entre autres points de vue, entre histoire et interprétation, histoire et description, histoire et causalité, vérité et merveilleux, vérité et intervention divine.

L’ouvrage commence avec trois contributions qui s’intéressent aux réponses génériques sur les liens entre histoire et narration aux premiers temps de la Grèce classique à travers la poésie et la tragédie. Jan R. Stenger, tout en concentrant son propos sur les techniques utilisées par Pindare, maître du passé pour rendre compte du passé à travers l’éloge de la victoire des héros olympiques pour lesquels il dresse des portraits encomiastiques de l’histoire de leurs cités (Égine, Rhodes, Thèbes) et des héros qui préfiguraient les victoires présentes dans une reconstruction poétique de l’histoire, met en évidence la relation complexe et riche au passé entretenue par les Grecs à travers les diverses formes poétiques (lyrique, iambique, élégiaque, épinicienne) en s’intéressant à Alcée, Bacchylide, Simonide qui instrumentalisent l’histoire pour que le passé rehausse le présent. Ian Ruffell quant à lui, après une présentation des théories en cours sur les métadiscours, analyse la question de la mimesis dans la tragédie et son lien avec la fiction et la métafiction, la fiction historique, l’invention et le mensonge. D’une certaine manière, en passant par la comédie et notamment en s’appuyant sur les Acharniens et les Thesmophories d’Aristophane, Ian Ruffell s’emploie à révéler l’histoire sous la fiction fût-elle mythique dans un jeu de comparaison et d’analyse avec les mises en scène d’Euripide et d’Eschyle dont Aristophane moqua la teneur mais contribua à en révéler le potentiel historique derrière le mythe, démarche que l’on retrouvera chez Platon dans la République, mais qui sera discutée par Aristote dans la Poétique notamment à propos de l’utilisation de données historiques dans le récit poétique. Matthew Wright soulève, dans une perspective approfondie, la question de la vérité, de la connaissance et de la croyance dans Hélène d’Euripide dont les arguments et les mises en situation relèvent d’une série de 17 ambiguités que Wright formalise à partir du modèle de Empson pour mettre en évidence une vision perturbatrice du mythe, du langage et de la réalité.

Monique Darbo-Peschanski propose une contribution qui à travers l’étude croisée des contenus et du vocabulaire du mythe d’Œdipe, de l’ Œdipe roi de Sophocle et de l’ Enquête d’Hérodote permet de mieux aborder la question de la pluralité des moyens d’accès au passé qui, avec deux autres contributions sur Hérodote, permet de mieux s’interroger sur les liens entre passé, histoire, narration et réception. Les approches structurales et linguistiques jouent un rôle central dans la formalisation du canevas narratif, au-delà des moyens d’expression faisant appel à un savoir commun fait de bricolages intellectuels. Dès lors, la tragédie en tant que genre et le tragique des événements peuvent être mis en perspective pour atteindre l’expression de la réalité ( aletheia) de l’ historia. Anthony Ellis propose dans sa communication un cheminement parallèle en mettant en évidence l’utilisation par Hérodote d’une vérité fictionnelle qui cohabite avec des faits vrais, ce qui lui a valu des critiques depuis l’Antiquité. Toutefois, si la fiction est un moyen pour atteindre la vérité des faits chez Hérodote, ce dernier alerte son lecteur à travers des signes dont l’un des plus intéressants est celui du choix du narrateur des faits rapportés qui permet ainsi au lecteur de hiérarchiser l’information grâce à la discrimination d’un style mimétique, omniscient que l’on pourrait qualifier de narrateur au style homérique d’un style empirique prudent que l’on peut qualifier de style narratif hippocratique. Ellis définit ainsi quatre types de mise en situation de la vérité : historique, mimétique, généralités véridiques contre-vérités particulières ou poétiques opposés à investigatrices et vérités compliquées. Katharina Wesselmann démontre quant à elle qu’Hérodote n’hésite pas à utiliser des informations ou des récits faux pour renforcer ou user d’un pouvoir de persuasion et de véridiction. Si l’information n’est pas juste ou vraie peu importe si elle permet de consolider la narration et la démonstration. De ce point de vue, l’usage du faux n’est pas incompatible avec le dessein descriptif et global de l’enquête. En rapportant ce qu’il sait et ce qu’il entend Hérodote cherchait à se mettre à l’abri de la critique éventuelle de menteur, ce que ne manquèrent pas de lui reprocher les Anciens de Strabon à Lucien. En usant d’une apparente impartialité dans la citation des récits entendus, Hérodote place les divers statuts du récit informatif dans une combinaison où la vérité est censée imposer au final. Ce qui importe dans l’introduction de faits plus ou moins réels, c’est qu’ils contribuent à l’économie générale des Histoires dont le tableau général rendra bien compte de ce qui s’est produit. Dès lors, l’utilisation d’informations plus ou moins vraies ne nuit pas à la vérité. C’est étrange mais c’est ainsi. Ce qui prime c’est le résultat final. On aura ainsi une historiographie qui va se constituer autour de la fiction qu’il faut bien prendre en compte comme une donnée d’accès au plus lointain passé. La poésie peut alors être plus historique que l’histoire !

Les contributions sur le statut de la vérité et de l’histoire chez Xénophon et Ctésias permettent de mieux comprendre la complexité de la perception du passé et de l’histoire en tant que méthode de connaissance et d’explication du passé à un moment où le monde grec fait face à des changements structurels, politiques, culturels et psychologiques profonds. La période hellénistique voit se développer une historiographie qui fait cohabiter parfois, à nouveau, le merveilleux et le concret. Emily Baragwanath aborde l’œuvre de Xénophon et tout particulièrement ses Hellenica en s’appuyant sur le postulat que toute œuvre possède en elle des processus de mise en perspective des faits du passé qu’une analyse intertextuelle peut révéler comme connaissance du réel interprétée ou non et dès lors donner accès à des vérités complexes et polysémiques dont l’origine ne relève pas des faits historiques eux-mêmes mais de l’interprétation qui en a été donnée : chez Xénophon, les traces hérodotéennes et thucydidéennes structurent certaines des digressions événementielles et discursives en arrière-plan des guerres contre les Perses ou de la Guerre du Péloponnèse comme matrices narratives et explicatives du présent. La question est alors de savoir si le recours aux maîtres du passé suppose une filiation méthodologique ou une nostalgie. Ce questionnement est au cœur du texte d’Alexander Meeus qui se demande si Ctésias de Cnide était plutôt un poète, un romancier ou un historien. On retrouve dans sa présentation des interrogations chères à l’historiographie et l’épistémologie historique moderne sur le statut de l’histoire, de sa présentation, de sa rédaction et de ses liens avec la fiction. Ainsi les fragments des Punica et des Indica sont aujourd’hui souvent considérés comme des sources peu historiques, et pas seulement parce qu’ils contredisent parfois Hérodote. S’il n’est pas considéré comme historien par une partie de la critique moderne, on le verse volontiers dans le groupe des poètes qui utilisent les faits historiques en les transformant, en les rendant fictionnels pour donner à lire ou entendre des récits plus ou moins merveilleux. Le passé devient alors extraordinaire grâce à une métafiction historique. Pourtant, si la critique moderne le classe volontiers du côté des poètes, les Anciens le considéraient comme un historien qui n’échappait pas aux débats sur la nature de la discipline historique, sa nature et sa place dans la restitution de ce qui s’était passé.

Dans sa contribution sur l’esthétique de la vérité, Nicolas Wiater s’intéresse à la question de la visibilité des faits et à son utilité pour les chefs politiques et militaires dans l’œuvre de Polybe. Pour comprendre les places respectives de la conception de l’histoire et de son récit en utilisant la métaphore du corps, Polybe crée une esthétique de la perception des faits en montrant que l’observation des faits et sa transcription nécessitent une distanciation intellectuelle et narrative. Cette place prépondérante qu’il accorde à la visibilité dans sa conception de l’histoire vraie le conduit à critiquer les autres façons d’écrire l’histoire qu’il qualifie de tragiques. En choisissant l’exemple d’Agathoclès, il met en perspective sa conception de l’écriture historique en la présentant comme novatrice.

Dès lors on est en droit de se demander avec Lisa Irene Hau si l’histoire racontée par les hommes n’est pas une autre forme de la fiction. Elle pose cette question à propos de la hiérarchie des normes du point de vue historique entre Thucydide, Polybe et les autres historiens de l’époque hellénistique qui sont considérés comme secondaires. C’est à travers une étude comparée des contenus des œuvres de Diodore de Sicile et de Polybe qu’une meilleure compréhension des mécanismes didactiques relatifs à la morale, la vérité et l’histoire sont envisagés. La question de la fiction en histoire et des liens entre fiction et histoire est interrogée par Joseph Roisman à travers l’épisode d’Alexandre et la reine des Amazones. C’est là toute l’ironie du lien entre vérité et mensonge chez Lucien de Samosate abordée par Melina Tamiolaki. Les diverses contributions de cet ouvrage sur le statut de la réalité et de la vérité en histoire chez les Anciens démontrent qu’il n’y avait pas une seule approche possible et que chaque genre littéraire et méthodologique a proposé des solutions qui interrogent encore les chercheurs modernes.

Table of Contents

Preface
Abbreviations
List of Contributors
1. Introduction, Ian Ruffell and Lisa Irene Hau
2. The Challenging Abundance of the Past: Pluralising and Reducing in Pindar’s Victory Songs, Jan R. Stenger
3. Tragedy and Fictionality, Ian Ruffell
4. Seventeen Types of Ambiguity in Euripides’ Helen, Matthew Wright
5. Multiple Ways to Access the Past: the Myth of Oedipus, Sophocles’ Oedipus Rex and Herodotus’ Histories, Catherine Darbo-Peschanski
6. Fictional Truth and Factual Truth in Herodotus, Anthony Ellis
7. Se non è vero : On the Use of Untrue Stories in Herodotus, Katharina Wesselmann
8. Intertextuality and Plural Truths in Xenophon’s Historical Narrative, Emily Baragwanath
9. Ctesias of Cnidus: Poet, Novelist or Historian? Alexander Meeus
10. The Aesthetics of Truth: Narrative and Historical Hermeneutics in Polybius’ Histories, Nicolas Wiater
11. Truth and Moralising: the Twin Aims of the Hellenistic Historiographers, Lisa Irene Hau
12. Alexander and the Amazonian Queen: Truth and Fiction, Joseph Roisman
13. Lucian on Truth and Lies in Ancient Historiography: the Theory and its Limits, Melina Tamiolaki
Index