BMCR 2017.10.64

Vergilius Latinograecus: corpus dei manoscritti bilingui dell’Eneide. Parte prima (1-8). Studi di egittologia e di papirologia, 13

, Vergilius Latinograecus: corpus dei manoscritti bilingui dell'Eneide. Parte prima (1-8). Studi di egittologia e di papirologia, 13. Pisa; Roma: Fabrizio Serra editore, 2017. 184. ISBN 9788862279420. €140.00 (pb).

La papyrologie virgilienne a fait des progrès notables ces dernières années. En 2013, Maria Chiara Scappaticcio faisait paraître un corpus des papyrus virgiliens composé de 35 témoins.1 Voici à présent un corpus des papyrus bilingues de l’ Énéide de Virgile, dû à un autre chercheur italien, Marco Fressura, lequel avait annoncé la parution de son travail lors du 26 e Congrès international de Papyrologie à Genève.2 Les témoins papyrologiques bilingues de Virgile méritent en effet un traitement à part, non seulement parce que le texte virgilien est accompagné d’une traduction grecque, mais aussi parce qu’ils émanent d’un milieu scolaire, entendu au sens large du terme, et constituent donc une tradition qui leur est propre, indépendante de celle qui transmet le texte latin seul. À ce jour, nous connaissons 11 témoins bilingues de l’ Énéide datant tous des IV e -V e -VI e s. apr. J.-C.

Les éditions bilingues de l’ Énéide, transmises sous forme de codices, présentent le texte bilingue ou digraphe disposé en colonnes (deux ou quatre colonnes) sur une page: une colonne latine, à gauche, présentant les mots issus de la décomposition des vers de l’ Énéide, et une colonne grecque, à droite, avec les mots grecs correspondant placés dans le même ordre. On obtient ainsi une disposition similaire de part et d’autre. Il est généralement admis que ces éditions bilingues de l’ Énéide étaient utilisées par des hellénophones qui avaient besoin d’étudier le latin essentiellement pour des raisons de carrière. En effet, après la Constitutio Antoniniana de 212, le droit romain s’était généralisé à l’échelle de tout l’Empire romain, ce qui avait entraîné un usage plus large du latin, langue traditionnelle du droit. Cette latinisation, encouragée par la tétrarchie et l’empereur Constantin, avait fait de la connaissance du latin en Orient un facteur de promotion sociale et professionnelle dans le domaine civil et militaire. On sait que d’autres outils didactiques circulaient en Orient entre les IV e et VI e s.: listes de mots, souvent organisés selon un critère alphabétique, thématique ou grammatical, textes suivis simples (manuel de conversation, modèles de lettres, grammaires, fables). À la fin du VI e s. et au début du VII e s., l’abandon progressif du latin comme langue officielle à Constantinople et dans l’Empire d’Orient a eu pour conséquence l’oubli de la langue de Rome et du patrimoine littéraire latin. Certains outils bilingues conçus en Orient pour étudier le latin ont été réemployés en Occident pour l’étude du grec et sont donc parvenus jusqu’à nous à travers une tradition manuscrite occidentale. Ainsi en est-il pour les colloquia et les hermeneumata dits Pseudo-dositheana 3 ainsi que pour la grammaire bilingue de Dosithée.4 En revanche, les éditions latino-grecques de l’ Énéide, qui n’avaient plus de raison d’être en Orient, ne pouvaient être adaptées en Occident dans l’autre sens, puisque, dans les écoles occidentales, le texte de Virgile était étudié en tant que tel. Voilà pourquoi ces outils ont disparu à partir de la fin du VI e s., même si certains lemmes bilingues se retrouvent sporadiquement dans les lexiques bilingues occidentaux, comme le Pseudo-Philoxène ( CGL II 1-212) et le Pseudo-Cyrile ( CGL II 213-483), où ils constituent un résidu de la tradition orientale des glossaires virgiliens.

Le corpus est divisé en deux parties. La première partie contient 8 témoins,5 classés chronologiquement selon des critères paléographiques et matériels: (1) P. Berol. Inv. 21138 = P. Congr. XV. 3 = BTK IX 39, (2) P. Fouad 5, (3) PSI VII 756, (4) P. Ryl. III 478 + P. Cair. JE 85644 + P. Mil. I 1, (5) P. Vindob. L 102f, (6) P. Oxy. L 3553, (7) P. Oxy. VIII 1099, (8) P. Vindob. L 24. Chacun de ces manuscrits fait l’objet d’une présentation qui donne, sous forme synthétique, les informations suivantes: vers de l’ Énéide concernés, provenance des fragments, lieu de conservation, matériau (papyrus ou parchemin), dimensions, date, renvois aux répertoires ( CLA; CPL; LDAB; TM; MP ³), bibliographie essentielle (éditions, mentions significatives dans la bibliographie critique, reproductions photographiques imprimées ou disponibles en ligne). Les notices introductives donnent en outre un aperçu de l’état matériel des fragments, une description paléographique et une proposition de datation, des remarques sur les aspects notables du travail du scribe primaire et des éventuelles mains secondaires, un relevé des principales caractéristiques du texte latin et grec, des informations sur les circonstances de l’autopsie et sur les instruments techniques utilisés pour la lecture ainsi que des notes sur les choix éditoriaux. Le texte des fragments, édité selon le système de Leiden, rend aussi fidèlement que possible les caractéristiques des exemplaires originaux. L’apparat critique est organisé sur quatre niveaux: (1) normalisations orthographiques, (2) relevé des phénomènes graphiques dignes d’intérêt (abréviations, intervention de plusieurs mains…), (3) divergences de lecture par rapport aux éditions précédentes, (4) divergences avec le texte des éditions de Geymonat,6 Mynors7 et Conte.8 Ce sont ces mêmes éditions qui servent à reconstituer les parties latines manquantes. La reconstitution de la partie grecque ainsi que les notes de commentaire reposent sur une confrontation systématique entre les éditions latino-grecques de l’ Énéide et les autres textes bilingues qui étaient en circulation durant cette période (IV e -VI e s.) et probablement dans le même contexte socioculturel comme outils pour l’apprentissage du latin et la lecture des texte littéraires latins: les éditions latino- grecques des Catilinaires de Cicéron, l’édition latino-grecque des Géorgiques de Virgile ( P. Allen), les glossaires et textes gréco-latins et latino-grecs fragmentaires réunis dans les C. Gloss. Biling. I-II de J. Kramer, en tenant compte d’éditions plus récentes, les glossaires de tradition médiévale du Corpus glossariorum Latinorum ( CGL) de G. Goetz avec les éditions plus récentes, sans oublier le Colloquium Celtis, ni la grammaire en partie bilingue de Dosithée.

Une introduction substantielle étudie surtout les aspects matériels, paléographiques et codicologiques: (1) identification des témoins, (2) cadre général, (3) structure de la page, formats et écritures, (4) modalités de composition de la page, (5) modalité d’élaboration du texte, (6) modalités de compilation, (7) modalités d’édition, (8) modalités d’utilisation, (9) tradition des textes: nature des témoins, (10) tradition des textes: rapports entre les témoins. Le volume est complété par une série d’outils fort utiles: liste des phénomènes orthographiques (latin et grec), les abréviations, un index latino-grec, un index gréco-latin, bibliographie et les ressources sur la toile.

Ce corpus, aboutissement d’un long et patient travail, a été préparé par une série de publications préliminaires. Les progrès réalisés sont incontestables: révision minutieuse des textes déjà édités grâce à un examen autoptique de toutes les pièces qui a permis des progrès notoires,9 découverte de nouveaux fragments, travail critique très précis et très soigné, commentaire étoffé très utile pour des études ultérieures. Les chercheurs disposent à présent d’un outil très fiable, doté d’une présentation uniforme et méthodologiquement cohérente, qui constitue un progrès certain dans l’entreprise de révision du Corpus Papyrorum Latinarum de Robert Cavenaile. Bref, ce travail vient s’ajouter à une série d’autres publications qui ont contribué à une meilleure connaissance des outils et des méthodes d’apprentissage mises au point, entre le IV e et le VI e s. apr. J.-C., par les hellénophones désireux d’apprendre le latin.10

Notes

1. Papyri Vergilianae: l’apporto della papirologia alla storia della tradizione virgiliana (I-VI d.C.). Liège, 2013 (Papyrologica Leodiensia, 1). Compte rendu: BMCR 2014.05.31.

2. M. Fressura, “Per un corpus dei papiri bilingui dell’ Eneide di Virgilio”, dans P. Schubert (éd.), Actes du 26 e Congrès international de Papyrologie (Genève, 16-21 août 2010), Genève, 2012, pp. 259-264.

3. E. Dickey, The Colloquia of the Hermeneumata Pseudodositheana, I, Cambridge, 2012, p. 3-15.

4. E. Dickey, “The Authorship of the Greek Version of Dositheus’ Grammar and What it Tells Us about the Grammar’s Original Use”, in R. Ferri-A. Zago (eds.), The Latin of the Grammarians. Reflections about Language in the Roman World, Turnhout, 2016, pp. 205-235.

5. Le second tome contiendra trois textes: P. Ness. (= P. Colt) II 1, P. Vindob. L 62 et le palimpseste ambrosien.

6. M. Geymonat, P. Vergili Maronis opera, Rome, 2008 ².

7. R.A.B. Mynors, P. Vergili Maronis opera, Oxford, 1972 ².

8. G.B. Conte, P. Vergilius Maro. Aeneis, Berlin-New York, 2009.

9. Des exemples sont donnés par M. Fressura, op. cit., p. 262-263.

10. Sur cet aspect, on verra l’ouvrage de synthèse d’E. Dickey, Learning Latin the Ancient Way. Latin Textbooks from the Ancient World,  Cambridge, 2016, spéc. pp. 178-182 (“overview of the ancient Latin-learning materials”). Compte rendu: BMCR 2016.12.26.