BMCR 2017.10.37

Julius Caesar’s ‘Bellum Civile’ and the Composition of a New Reality

, Julius Caesar's 'Bellum Civile' and the Composition of a New Reality. Farnham; Burlington: Ashgate, 2015. x, 200. ISBN 9781472452078. $124.95.

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À travers ce livre, écrit à partir de sa thèse de doctorat, Ayelet Peer nous offre une nouvelle et originale exploration de l’oeuvre littéraire de César, guidée par cette question: “how can you justify your victory in a civil war ?” À la suite d’études ayant renouvelé notre compréhension des écrits de César, comme celles d’Andrew Riggsby1, de William Batstone et Cynthia Damon2 ou plus récemment de Luca Grillo3, le travail de Peer contribue à une meilleure compréhension d’un texte sophistiqué. Clair et agréable à lire, ce livre a pour but de démontrer comment César compose une “nouvelle réalité” destinée à servir son ambition politique. Écrit pour des sénateurs et des equites mais aussi pour le peuple romain, comme l’affirme l’auteur, le Bellum Civile vise également la postérité. César construit par conséquent un récit justifiant ses actions lors de la guerre civile grâce à une utilisation précise du vocabulaire et de la syntaxe, mais aussi par l’omission ou l’atténuation de certains faits, et par la manipulation de la chronologie des événements. Servi par une connaissance rigoureuse et une lecture méticuleuse de la littérature classique, cet ouvrage guide le lecteur à travers les commentarii de César pour révéler comment il écrit sa propre légende.

Après une préface et une introduction, le travail est divisé en trois parties qui examinent successivement chacun des livres composant le Bellum Civile, suivies enfin par une conclusion, une annexe traitant de la publication du Bellum Civile, une bibliographie et un index. Le plan de l’ouvrage est construit autour de la thèse de Peer d’une publication séparée des livres I et II quelques années avant le livre III.

La première partie est donc consacrée au premier livre du Bellum Civile, le plus “politically loaded” selon Peer, et est divisée en cinq chapitres. Le premier passe en revue les six chapitres qui ouvrent le Bellum Civile et permettent à César de présenter et défendre sa cause tout en dénigrant le sénat. Les talents littéraires de César sont déjà à l’œuvre et sont étudiés avec attention, de même que les manipulations opérées sur la chronologie des faits. Le Chapitre 2 discute de la façon dont Pompée et les Pompéiens sont présentés dans le Livre I ainsi que du thème de Pompée imperator absens. Ce chapitre évoque les chefs pompéiens traités de manière détaillée par César: Titus Labienus, L. Cornelius Lentulus, L. Domitius Ahenobarbus, L. Afranius et M. Petreius. Enfin, Peer présente l’influence de Cornelius Sylla sur les choix et les actes de César. À travers ces pages, nous assistons à la construction de l’image de César comme chef politique. Le Chapitre 3 reprend le dossier des supposées convictions républicaines de César. Peer affirme ici que la marche de César sur Rome avait d’abord pour but de défendre sa propre dignitas. Selon l’auteur, si César ne se présente jamais comme un champion de la République, il ne cherche pas non plus à la détruire mais plutôt à substituer son autorité à celle du sénat. Le Chapitre 4 se concentre sur les omissions et les manipulations chronologiques du Livre I. La plus fameuse de ces omissions concerne le franchissement du Rubicon mais Peer note justement que le cours d’eau n’avait sans doute pas de réelle signification symbolique à l’époque de César et n’est d’ailleurs même pas mentionné dans les lettres de Cicéron. L’autre omission traitée dans ce chapitre est celle, plus importante, de la violente saisie du Trésor par César. Si celui-ci mentionne bien le nom du tribun Metellus, il se garde de parler des menaces de mort proférées à son encontre quand il voulut l’arrêter. N’ayant pas de justification à apporter et sachant pertinemment que ses lecteurs n’auront pas oublié ce fâcheux incident, César préfère simplement l’ignorer. Le Chapitre 5 conclut la première partie de ce livre et discute de la nature de cette guerre telle qu’elle est présentée dans le Livre I, notamment à travers les choix lexicaux. La narration de César s’achève sur une note apaisée et contribue à élaborer le portrait d’un chef clément et pacifique.

La deuxième partie de l’ouvrage est dédiée au Livre II et est divisée en quatre chapitres. Le Chapitre 6 présente ce deuxième livre du Bellum Civile, le plus court, et en souligne sa particularité. Après s’être présenté rapidement comme “a dictator and a gentleman”, selon Peer, César se concentre ensuite avec plus de détails sur les actions de ses légats mais omet à nouveau quelques événements déplaisants comme la révolte de ses légionnaires à Placentia et la reddition de C. Antonius à Curicta. Le Chapitre 7 se concentre sur le personnage principal du Livre II: Curion, miles Caesaris. César ne peut ignorer la défaite et la mort de son légat en Afrique. Par conséquent, Peer montre de quelle manière le contraste entre les actions de Curion et de César vise à souligner l’indispensabilité de ce dernier et contribue à le présenter comme l’ imperator ultime. À travers la présentation des Marseillais et des Numides du roi Juba, le Chapitre 8 poursuit son analyse des Pompéiens décrits par César. Peer souligne les continuités dans ces descriptions, ajoutant le recours aux étrangers à l’absence de Pompée. Le Chapitre 9 termine cette deuxième partie en discutant à nouveau de la nature de cette guerre civile dans le Livre II. Selon Peer, les deux premiers livres se complètent, le deuxième présentant “a connecting thread of human virtue, sacrifice and honour”. Cette conclusion est cohérente avec l’hypothèse défendue en annexe d’une publication conjointe des Livres I et II.

La troisième et dernière partie de cet ouvrage traite du Livre III et est divisée en trois chapitres. Le chapitre 10 relate le triomphe de César présenté comme un conquérant et un héros. Le Livre III s’ouvre en effet sur l’élection de César comme consul une fois l’ordre ramené par le dictateur César. Le récit se poursuit avec les actes qui lui permettent de construire son image de dirigeant, en contraste avec celle de l’ imperator élaborée jusque là. Ses discours lors de la campagne militaire en Épire et en Grèce sont alors analysés comme un autre aspect de son autoportrait. Le but du Livre III, selon Peer, est de soutenir l’idée d’une guerre juste menée par César, approuvée par le peuple et les dieux. Le Chapitre 11 poursuit la description des Pompéiens avec Pompée, enfin présenté comme un opposant digne de César. Peer note cependant que le récit des batailles de Dyrrachium et Pharsalus est l’occasion pour César de montrer les failles et les échecs de Pompée dans son rôle d’ imperator. Le chapitre continue avec la description des autres chefs pompéiens, à l’exception notable de Caton, malgré l’influence de celui-ci. Peer présente M. Calpurnius Bibulus, T. Labienus, personnage bien plus présent dans le Livre III, M. Octavius et Q. Caecilius Metellus Pius Scipio, et termine avec la défection des frères allobroges. L’auteur conclut ce chapitre en soulignant la chute honteuse du parti pompéien, symboliquement présentée par César à travers son récit de la mort de Pompée, assassiné par les Égyptiens. Enfin, le Chapitre 12 revient sur la conclusion de cette guerre et du Bellum Civile. Peer remarque que la fin de la guerre civile n’est évoquée que dans le Livre III, ce qui la conforte dans son hypothèse d’une publication tardive, vers 46 avant J.-C. Selon elle, ce troisième livre présente de nombreux indices confirmant qu’il fut écrit après la fin du conflit, ce qui lui permet d’affirmer que “the Bellum Civile ends when and where Caesar wants it to end”. Cette étude s’achève par un texte en annexe où l’auteur présente ses hypothèses sur la rédaction et la publication du Bellum Civile. Après avoir passé en revue les sources anciennes et les théories modernes, Peer propose une nouvelle solution. En premier lieu, elle affirme que les Livres I et II furent publiés séparément mais peu après les événements évoqués dans chacun d’eux. Ensuite, elle démontre de manière convaincante que le Livre III fut publié plus tard, en 46 avant J.-C., après la bataille de Thapsus.

Alors que Grillo choisit de lire ensemble le Bellum Gallicum et le Bellum Civile pour étudier les continuités de leur argumentation, Peer démontre la pertinence de son choix et en souligne le caractère novateur. Dans son ouvrage, le Bellum Civile apparaît clairement comme un instrument de propagande élaboré par César pour présenter sa propre interprétation de la guerre civile et pour construire son image de chef. Consciente de la composition méticuleuse des commentarii par César, Peer lit minutieusement cette œuvre subtile, discutant ses choix lexicaux, prêtant attention à chaque détail, à chaque manipulation du texte et aux “seemingly casual remarks he plants throughout the narrative”. Son analyse profonde révèle de quelle manière César défend sa cause, répétant les raisons légitimes de ses actions, mais présentant également une nouvelle façon de gouverner la République sous son pouvoir. Peer démontre justement les objectifs politiques du Bellum Civile et toutes les techniques rhétoriques mises à leur service par César. Si l’ouvrage aborde parfois les événements rapportés dans le Bellum Civile afin d’identifier d’éventuelles manipulations, leur analyse n’en est clairement pas le but principal, comme le montre la bibliographie. Celle-ci, bien que relativement complète sur les guerres civiles, comprend essentiellement des ouvrages ou articles concentrés sur des aspects philologiques ou littéraires. Le lecteur ne doit cependant pas oublier la vérité historique qui demeure derrière la propagande politique et le fait que le Bellum Civile reste une source primaire irremplaçable pour étudier ces guerres civiles. Si César peut dresser un portrait peu flatteur de l’ imperator Pompée, c’est d’abord en raison des échecs tactiques et stratégiques de ce dernier qui échoue à le vaincre à Dyrrachium et surtout à Pharsalus. Les faits tels qu’ils sont rapportés par César doivent cependant être manipulés avec précaution et lus à la lumière de son objectif principal, décrit ici avec précision. Ainsi, l’étude de Peer contribue à une meilleure compréhension et par conséquent à une meilleure utilisation de ce qui demeure une source historique unique.

Notes

1. Andrew Riggsby, Caesar in Gaul and Rome: War in Words. Austin: University of Texas Press, 2006.

2. William Batstone, Cynthia Damon, Caesar’s Civil War. Oxford: Oxford University Press, 2006.

3. Luca Grillo, The Art of Caesar’s ‘Bellum Civile’: Literature, Ideology, and Community. Cambridge; New York: Cambridge University Press, 2012.