BMCR 2017.09.34

Comercio anfórico y relaciones mercantiles en Hispania Ulterior (ss. II AC—II DC). Instrumenta, 52

, Comercio anfórico y relaciones mercantiles en Hispania Ulterior (ss. II AC—II DC). Instrumenta, 52. Barcelona: Universitat de Barcelona, 2016. 543. ISBN 9788447540273. €49.00 (pb).

L’ouvrage est tiré d’une thèse soutenue en novembre 2014 à l’Université d’Alicante. Il est le pendant d’un autre ouvrage, paru en 1997 aux éditions de la même université et publié par Jaime Molina Vidal, professeur d’archéologie à l’Université d’Alicante1; celui-ci a dirigé la thèse de Mateo Corredor et préfacé l’ouvrage qui en est tiré. Voici donc deux travaux publiés à quasiment vingt ans d’intervalle qui ont en commun de s’intéresser, à partir de l’étude de divers ensembles amphoriques péninsulaires, aux échanges commerciaux entre l’Hispanie et le reste de la Méditerranée à l’époque tardorépublicaine et au tout début de l’Empire romain. Leur objectif est en effet, dans leurs grandes lignes, le même : caractériser les importations amphoriques de l’Hispanie méditerranéenne et méridionale principalement, en dépit du titre de l’ouvrage, dans la période correspondant aux premiers temps de la domination romaine, soit les deux derniers siècles avant notre ère, et tenter de reconstituer, par ce biais, les grandes stratégies commerciales qui se mettent en place avec l’arrivée et la consolidation du pouvoir de Rome dans la région. Le premier ouvrage est devenu un outil de référence pour les études amphoriques et la connaissance du commerce d’importation vers l’Espagne méditerranéenne et son évolution ; le second devrait probablement suivre le même chemin pour l’Ultérieure. Ne serait-ce que parce qu’il comble un vide : l’absence de toute vision d’ensemble sur les importations tardorépublicaines dans une région, le sud de l’Hispanie—et le territoire de la future province de Bétique plus particulièrement—qui, sous l’Empire, est devenue l’un des plus importants foyers d’exportation de l’Empire, diffusant largement, comme on sait, son vin, mais surtout ses salaisons de poissons et son huile dans tout l’Occident romain.

L’ouvrage est organisé en dix chapitres, y compris l’introduction et la conclusion générale. Les huit autres présentent tour à tour les aspects méthodologiques du travail (chap. 2), les résultats de celui-ci en termes d’importance respective, sur la longue durée (ii e et i er s. av. n. è.), des amphores locales et méditerranéennes (chap. 5 à 7), un essai de synthèse sur les routes commerciales et des grands réseaux portuaires du sud de la péninsule aux premiers temps de la domination romaine (chap. 8), et un aperçu de la situation au tout début de l’Empire, marquée par une inversion des courants d’échanges (chap. 9). Le travail de Mateo Corredor repose sur la quantification de 66 ensembles amphoriques, d’importances très diverses, provenant de 38 sites répartis essentiellement sur le littoral péninsulaire, entre Almería à l’est et l’embouchure du Tage à l’ouest (chap. 2). Vingt-six ont été directement étudiés par l’auteur ; pour tous les autres, déjà publiés, il a appliqué, dans la mesure du possible, les mêmes critères de quantification de manière à pouvoir comparer les ensembles entre eux. Le chapitre 3 présente une utile typo-chronologie synthétique des différentes catégories d’amphores identifiées. Elle renvoie, en annexe (p. 477-510), à une série de planches très bien faites, précises, des formes de lèvres reconnues pour chaque catégorie ; ces planches devraient rendre de grands services aux archéologues sur le terrain pour l’identification du matériel trouvé en fouille. Le chapitre 4 présente les 38 sites pris en compte par l’étude, brièvement décrits (histoire, historiques des recherches). Une synthèse des amphores qu’ils ont livrées, de leur quantification, appuyée par de nombreux tableaux et graphiques, fournit opportunément, pour chacun d’entre eux, le détail du travail réalisé par Mateo Corredor tant sur le matériel auquel il a eu accès que sur les ensembles déjà publiés et révisés par lui. On est étonné, pour cette partie essentielle, par l’ordre choisi pour présenter les sites, qui ne répond, en tout cas pour les 18 premiers, à aucune logique. Il eut été plus simple de suivre un parcours côtier depuis Baria (Villaricos, site le plus à l’est de la zone d’étude), jusqu’à au moins l’embouchure du Guadalquivir pour s’intéresser éventuellement ensuite au bassin du Baetis, etc. Cela aurait permis de retrouver plus facilement dans ce chapitre 3 chacun des sites étudiés. Il manque aussi un descriptif ne serait-ce que succinct—qui aurait pu être accompagné d’illustrations en couleur—des grandes caractéristiques des pâtes des productions hispaniques, classées par grands foyers producteurs. L’identification des ateliers a été en effet un aspect essentiel du travail mené par l’auteur sur le matériel et déterminant pour situer, dans le temps long, la place des différentes productions amphoriques hispaniques dans les échanges commerciaux. Le sujet est au cœur du chapitre 7 ; il est d’autant plus dommage qu’aucune présentation d’ensemble ne soit fournie sur le type d’observations effectuées (macroscopiques, microscopiques) et les caractéristiques de chaque production ou grande production, ce qui aurait permis d’éclairer les informations de type « pastas : Grupo xxx » données pour chaque type d’amphore décrit dans le chapitre 3 mais qui ne renvoient à rien de concret dans l’ouvrage.

Le cœur du livre est constitué des chapitres 5 à 7 qui présentent les résultats du long et minutieux travail d’identification, classification et comptage du matériel et de la révision critique d’ensembles amphoriques publiés. Si les chapitres 5 et 6 s’intéressent essentiellement aux importations méditerranéennes, italiques et africaines, le 7 traite à part les productions locales. Les trois chapitres mettent bien en évidence l’originalité de la région où existait une forte tradition manufacturière à l’époque ibérique et punique, autour de Gades notamment, que la domination romaine ne balaya pas d’un revers de main, bien au contraire. En s’appuyant sur de nombreux tableaux et graphiques, abondamment commentés, Mateo Corredor montre bien la progressivité du commerce italique, et celui du vin en particulier, qui prit véritablement son envol dans les dernières décennies du ii e s. av. n. è., après la fin des guerres celtibériques (133 av. n. è.) qui ouvrit une période plus favorable à l’installation des Italiens dans le sud de la péninsule, attirés notamment par son économie, ce qui, en retour, fut moteur d’un accroissement des échanges en provenance de l’Italie. L’auteur est convaincant quand il lie la présence des célèbres amphores gréco-italiques à celle d’une population exogène, probablement d’origine militaire mais aussi économique. Il est à remarquer, avec celui-ci, que les productions amphoriques locales sont, à l’inverse, majoritaires sur les sites turdétans et puniques, à l’inverse de ce que l’on observe sur les sites du Levant espagnol où les sites ibériques sont rapidement intégrés dans les circuits commerciaux italiques. Mateo Corredor montre bien ici que les réseaux économiques italiens mirent un certain temps à s’imposer, et de nouvelles habitudes de consommation, du vin pour ne parler que de cette denrée, à s’imposer, ce qui explique le temps qui fut nécessaire—plus d’un siècle—pour une diffusion généralisée du vin italien en Ultérieure. D’une manière générale, ces trois chapitres reconstituent avec précision et fermeté les temps forts du commerce méditerranéen avec l’Hispanie Ultérieure, dominé peu à peu par les importations italiques, tout en mettant en évidence le rôle actif et durable des réseaux locaux, et puniques en particulier. L’importance de Gades est logiquement soulignée, mais ce qui est également mis en valeur c’est le rôle d’une part de Carthago Nova dont l’aire d’influence s’étend jusqu’aux cités les plus orientales de l’Ultérieure ( Baria et Abdera), et celui, d’autre part, de Malaca qui semble s’imposer comme l’autre grand foyer économique du sud péninsulaire face à Gades et à Carthago Nova, même si on observera que l’influence fut strictement régionale. Ce sont là quelques-uns des points forts de l’ouvrage, qui sont rappelés dans le chap. 8, court chapitre d’un peu plus d’une vingtaine de pages, qui n’est pas le plus original ni nouveau, et est surtout intéressant par l’essai de hiérarchisation des ports du sud de la péninsule Ibérique à la fin de la République qu’il propose. Avec l’Empire, on assiste, on l’a dit, à une inversion des courants des échanges qui consacre le développement des productions locales, vin(s), salaisons de poissons et huile et s’accompagne d’une intense activité manufacturière pour la production des conteneurs qui vont permettre leur diffusion hors de la province (chap. 9). Il n’est pas étonnant que la province et le sud du Portugal actuel, qui fut alors séparé de la Bétique pour faire partie de la Lusitanie, consomment en priorité des produits locaux. Les amphores en témoignent. Et on suivra volontiers l’auteur pour replacer les arrivées d’amphores hispaniques dans le sud de la Lusitanie dans une tradition commerciale remontant à la période précédente plutôt que les lier, comme cela est souvent fait par ailleurs, au développement d’un commerce atlantique destiné à ravitailler les marchés militaires du nord de l’Europe. Un petit regret toutefois : que D. Mateo n’insiste pas davantage ici sur la place des autres produits méditerranéens, italiens, africains, orientaux et même gaulois dans l’économie de la province ; même si les quantités qui y parvinrent furent modestes par rapport à ce qui a pu être observé pour la période précédente, la Bétique continua à recevoir des marchandises en amphores des autres provinces. Il eut été intéressant de faire le point sur ce trafic, qui n’est que peu examiné et seulement pour les toutes premières décennies de l’Empire. En attendant, on pourra toujours se reporter aux derniers travaux de Enrique García Vargas sur Hispalis.2

L’objectif de l’ouvrage est pleinement rempli : en proposant la synthèse qui manquait sur le commerce d’importation de l’Ultérieure à la fin de l’époque républicaine, ce travail ouvre de nouvelles perspectives de recherche et invite les archéologues à la plus grande rigueur dans la publication des matériels de fouilles. Une rigueur qui est une des qualités du livre, comme l’est la prudence avec laquelle Mateo Corredor avance dans ses conclusions et ses interprétations. Les quelques pages de conclusion qui closent l’ouvrage, tout en mesure, en sont une parfaite illustration. L’auteur revient sur quelques-unes des questions traitées au long de l’ouvrage, qui, si elles ne sont pas neuves, reprennent sens grâce à ce travail d’ensemble. C’est par exemple celles des conditions dans lesquelles les amphores à vin d’Apulie, de type Lamboglia 2, furent diffusées en Ultérieure et du lien supposé avec la présence de Pompée et l’essor des clientèles pompéiennes dans la province. C’est, dans un tout autre ordre d’idée, la question du transport d’amphores vides vers les usines à salaisons du littoral atlantique et méditerranéen du Détroit de Gibraltar qui ne disposaient pas nécessairement de leurs propres ateliers de fabrication, et que l’on pourrait également envisager pour la région de Malaca. Last but not least, c’est aussi l’importance donnée à Malaca dans le trafic commercial méditerranéen, à la fois comme port de réception d’une partie de ce trafic et comme port d’exportation, plus particulièrement des métaux produits dans la Sierra Morena orientale, dans les secteurs de Corduba et de Castulo. Mateo Corredor s’appuie ici sur la présence, plus nombreuse qu’ailleurs, à Malaga même et sur le site minier et métallurgique de La Loba au nord de Cordoue, d’amphores de Tripolitaine anciennes (amphores à huile). L’auteur reprend ici la thèse défendue notamment par E. Melchor Gil à partir des découvertes numismatiques, tout en étant conscient qu’il ne suffit pas de relier deux points pour tracer un axe commercial. Mais il manque à la démonstration les témoignages archéologiques (lingots) sur cette éventuelle exportation des métaux de la Sierra Morena aux deux derniers siècles avant notre ère par Malaga. Au-delà de la route suivie par ces métaux, par voie fluviale jusqu’à Gades, qui est exclue trop rapidement par l’auteur, ou par voie de terre jusqu’au port de Malaca, c’est la question des débouchés des métaux produits dans la Sierra Morena à la fin de l’époque républicaine qui est posée. Mais c’est là une question secondaire par apport à la problématique générale. Mateo Corredor a raison, et surtout tout à fait le droit, de la poser, comme toutes les autres, montrant que son travail n’est qu’un jalon supplémentaire, et important, dans une œuvre de longue haleine.

Notes

1. J. Molina Vidal, La dinámica comercial romana entre Italia e Hispania Citerior, Diputación Provincial de Alicante, Instituto Alicantino de Cultura Juan Gil-Albert, Universidad de Alicante, 1997.

2. E. García Vargas, Hispalis (Sevilla, España) y el comercio del Mediterráneo en el Alto Imperio romano. El testimonio de las ánforas, dans S. Keay (éd.), Rome, Portus and the Mediterranean, Archaeological Monographs of the British School at Rome, 21, Londres, 2012, p. 247-266.