Table des matières
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Ce collectif porte un regard littéraire sur des textes de natures variées : poésie, historiographie, lettre, traité et même commentaire. Considérant les mutations de la littérature dans l’Antiquité tardive comme un phénomène culturel et non religieux, les auteurs proposent des exemples de l’évolution des genres par un mélange d’imitation générique et d’émulation d’auteurs, ce en quoi l’Antiquité tardive ne se distingue guère du reste de l’histoire de la littérature. Le volume est divisé en trois parties : poésie, prose et paratextes.
La première section, sur la transformation de l’héritage culturel en poésie, s’intéresse aux liens tantôt entre littérature et pouvoir, tantôt entre la forme et le contenu. Dans cette dernière perspective, Cutino (141-162) traite de l’évolution des « tendances formelles et stylistiques » (144) de la poésie élégiaque. Dans l’Antiquité tardive, la forme élégiaque a servi à l’expression de la consolation (Ovide l’avait déjà fait), puis fut tour à tour protreptique à la vie chrétienne, épithalame, tituli, voire paraphrase exégétique de la Bible. Malheureusement, l’analyse s’en tient pour l’essentiel au contenu et à la finalité, et se penche peu sur les « tendances formelles et stylistiques ». L’exercice est plus réussi dans « Tituli for illiterates » (Lubian 53-68), qui offre un exemple de contamination non plus de genres, mais des techniques artistiques, et expose les liens de plus en plus étroits entre les formes d’art dans l’Antiquité tardive. L’épigramme descriptif devient narratif et, même si les tituli des collections conservées n’ont pas de fait servi à identifier des représentations de scènes sur les murs des églises, on comprend que les possibilités que ce genre laissait à l’interprétation des passages bibliques en aient fait un (sous-)genre littérairement intéressant aux yeux des poètes comme Prudence. Sidoine Apollinaire pour sa part, quoi qu’il écrivît, avait en tout le souci de l’imitation, grâce à un réseau de références aux auteurs antérieurs, notamment de la fin du premier siècle et du début du deuxième siècle, tels que Pline, Martial et Stace, et à l’usage qu’ils ont fait des genres (Consolino 69-99). L’importance qu’accorde Sidoine à rendre visible son effort d’émulation trahit à la fois une grande familiarité avec la littérature antérieure et la conscience d’un certain éloignement de cette même culture. Ennode de Pavie s’est aussi tourné vers le deuxième siècle et a imité les Silves de Stace. Il semble cependant avoir peiné à les adapter à un contenu moins profane (Zarini 111-127). Boèce, en revanche, a maîtrisé, dans sa Consolation, les mètres variés et a tissé des réseaux d’échos aux poèmes épiques, didactiques et élégiaques de la tradition latine (Floris 99-110). Il ressort de ces études que le mètre, dans les formes d’expressions littéraires, demeure la forme élevée par excellence. Cette haute estime en laquelle on tient le vers explique qu’on ait déployé de nombreux efforts pour diffuser la notion de métrique dans les Écritures en des termes familiers aux hommes de lettres (Mori 129-140). Bien qu’il semble que l’interprétation de Jérôme ait fait école, Mori évoque l’hypothèse qu’Arator ait aussi eu connaissance des travaux de Philon, Flavius Josèphe ou Origène à ce sujet, par les traductions de Rufin, mais cette possibilité n’est pas explorée ici.
Cette première partie s’ouvre et se ferme par des contributions qui mettent en lumière les liens entre lettres et pouvoir. Par l’étude des Épigrammes III et IV d’Ausone, célébrant le Danube et des lieux de victoires de Valentinien I, et la mise en parallèle de ces textes avec des inscriptions et textes de loi du même empereur, Moroni (13-23) montre que les lettres ont à la cour de cet empereur le même rôle que les autres arts, à savoir de témoigner et publiciser la grandeur impériale, sans aucun rôle conseiller. Gualandri (25-39) montre que la description de Rome par Claudien dans son Panégyrique pour le VI e consulat d’Honorius en 404 ignore complètement – et de manière délibérée – le bâti chrétien, dans le but de peindre un paysage païen de la Roma aeterna. On aurait aimé que le lien entre et le retour d’Apollon à Delphes et celui de l’empereur sur le Palatin fût mieux développé : il ne nous apparaît pas si clair que la mention des oracles delphiques ait si « facilement » évoqué pour le lecteur le temple d’Apollon érigé par Auguste sur le Palatin, si cet édifice gisait dans un état d’abandon depuis l’incendie de 363 (31). Le même Claudien, dans L’enlèvement de Proserpine, a mis en scène dans le monde des dieux un pacte politique entre deux puissances : Jupiter cède à Pluton lui demandant une épouse et une descendance. L’entente entre les dieux permet le retour de l’ordre sur terre, matérialisé par la fertilité des champs cultivés (Mandile 41-52). La prospérité et l’ordre ne sont donc possible que grâce à un pacte entre deux frères qui dominent des parties du monde devant rester distinctes. Le parallèle n’est pas tracé par l’auteur, mais doit-on y lire une métaphore politique de l’empire romain suite à la mort de Théodose ? Une autre image régulatrice du pouvoir est proposée par le trope de l’empereur médecin (Pavarani 163-179), notamment grâce à la singulière fonction créatrice de la guérison apportée par l’empereur chez Corippe, fonction salvatrice pour un poète (172-3).
La deuxième partie du volume porte sur la transformation de l’héritage culturel en prose et est de loin la partie la plus aboutie du point de vue de l’analyse littéraire. Les articles touchent au lexique, à la construction des personae et à la tradition morale romaine. Dans « Ambrose, Democritus and the risus of the sapiens » (183-196), Ricci montre que l’attitude de l’évêque de Milan n’était pas si hostile au rire qu’il pourrait n’y paraître, mais n’établit cependant pas l’influence sur l’évêque de la réflexion philosophique sur le rire, notamment celle de Démocrite. Au chapitre de l’influence philosophique, il semble que la coïncidence des situations historiques, le jugement de Quintilien sur la qualité de la langue et le style de Sénèque, de même que les épîtres apocryphes entre le philosophe et saint Paul ont eu plus d’influence sur la réception de Sénèque dans la tradition chrétienne que la lecture des œuvres mêmes de Sénèque (Torre 279-292). Dans la troisième section du volume, un second article (Bloomer 345-363) démontre que les idées de Sénèque ont parfois été plus répétées que ses traités n’ont été lus, malgré sa réputation d’auteur populaire auprès des chrétiens. Les sentences du pseudo-Caton semblent avoir eu plus d’influence que le philosophe de l’époque de Néron, comme en atteste l’usage qu’on a fait de ces maximes dans les écoles en Espagne à la fin de l’Antiquité. L’excellente analyse des techniques déclamatoires utilisées par Augustin en Civ. I. 19 dévoile la précision mécanique avec laquelle l’évêque d’Hippone a déconstruit la lecture morale du suicide de Lucrèce dans la tradition romaine (Pirovano 263-278).
Trois articles s’intéressent à la construction de personae. Par une analyse serrée de la prosopographie des destinataires et des thèmes des lettres, Kelly (197-220) soutient que le livre I des Lettres fut publié par Symmaque vers 381-382. Le futur préfet de Rome cherchait à se positionner dans l’aristocratie comme un homme en vue et digne des plus hautes charges. Un même objectif animait Jérôme (Moretti 247-261), qui a utilisé la lettre comme instrument de construction d’autorité dans le milieu ecclésiastique. Pour arriver à ce résultat, Jérôme s’est dépeint comme un « Origène latin » (‘origenized’ Jerome 257). « Ammianus Ciceronianus » (Den Boeft 221-232) utilise quelques exemples – un peu anecdotiques – pour tirer de conclusions assez modestes (peut-être la marque de l’« indépendance des détails » [230]) sur le style d’Ammien. Ces remarques sont encadrées en introduction et conclusion par des allusions à Cicéron, dont les liens avec le reste de l’article ne ressortent pas clairement. La bibliographie date quelque peu : un seul article de 2010, un commentaire paru de 1987 à 2013, mais les dix-neuf autres titres sont antérieur à 1993. Souhaitons que la date de la publication (2015) explique que l’article de J. R. Stenger sur le style d’Ammien n’est pas cité.1 L’article intitulé “Emperor’s physiognomy” (Passarella 233-246) souffre aussi d’une bibliographie un peu datée : aucun ouvrage au-delà de 1994.2 L’auteur souligne notamment la manière dont le portrait de Valentinien informe celui de Constance II, et dont la méfiance de Constance et l’impétuosité de Valentinien sont ensuite toutes deux reportées sur le portrait de Valens. La conclusion, voulant qu’« un jugement subjectif est caché sous des apparences d’objectivité » (244), n’est malheureusement pas très originale à propos ni du thème (physiognomonie) ni de l’auteur (Ammien).
Enfin deux articles s’intéressent l’un à l’usage de l’hyperbole comme artifice humoristique dans les Mythologiae de Fulgence (Venuti 307-322), l’autre à l’impact des choix de variantes textuelles sur les lexiques et notre compréhension de la langue d’un auteur, en l’occurrence Cassiodore (Brocca 293-305).
Ces deux contributions font en quelque sorte une transition avec la troisième et dernière section, qui porte sur la transmission de l’héritage culturel dans les écoles, les textes et les paratextes, dans laquelle on traite surtout des grammairiens et des scholies. On y prend la mesure dont la culture classique a servi à la fois d’outil pédagogique et de référent culturel dans l’Antiquité tardive. Que Servius et Macrobe aient eu des publics et des objectifs littéraires différents (Canetta 325-334) n’est guère étonnant. Il aurait été judicieux cependant de formuler des distinctions entre les intérêts pas toujours concordants de Servius et du Servius auctus.3 Un exercice de comparaison similaire est opéré sur les commentaires et les scholies aux Odes d’Horace (Formenti 365-376) : les angles adoptés par Porphyrion, Servius et le Pseudo-Acron sur Octavien, Antoine et Cléopâtre révèlent comment les uns mettent plus d’emphase sur la guerre civile, d’autres sur la répudiation d’Octavie, d’autres encore sur la débauche que d’aucuns attribuaient à Cléopâtre. Précis et (judicieusement) concis, l’article de Daghini (335-344) démontre que Donat utilise le procédé littéraire de la breuitas comme étalon pour juger les discours et la narration chez Virgile. Lorsque la breuitas annoncée n’est pas respectée, c’est que le personnage ou le poète cherche à attirer l’attention du lecteur sur l’élément qui crée l’abondance.
La qualité des contributions est quelque peu inégale et certains articles voient leur argumentation affaiblie par le fait qu’un travail de révision linguistique n’a pas toujours été correctement fait en anglais et en français. L’agacement du lecteur porte alors préjudice à la démonstration. Mais dans l’ensemble, il faut saluer ce volume comme un bel apport à une meilleure connaissance de l’innovation littéraire dans l’Antiquité tardive.
Table des matières
Preface: 7
Section I. The Transformation of the Cultural Heritage: Poetry
B. Moroni, Gli epigrammi di Ausonio per le fonti del Danubio. Tradizione letteraria e arte figurativa: 13
I. Gualandri, Honorius in Rome: A Pagan Adventus (Claud., Hon. VI Cons.): 25
R. Mandile, Chaos e ordine nel De raptu Proserpinae di Claudiano: 41
F. Lubian, Tituli for the Illiterates? The (Sub-)Genre of the Tituli Historiarum between Ekphrasis, Iconography and Catechesis: 53
F.E. Consolino, Le mot et les choses: epigramma chez Sidoine Apollinaire: 69
C. Floris, Some Remarks on the Metra in Boethius’ De Consolatione Philosophiae. Examples of Anapestic Dimeters and Elegiac Couplets: 99
V. Zarini, Appunti sulla poetica ennodiana: nuove declinazioni della silva nella latinità tardoantica: 111
R. Mori, Metrica vis sacris non est incognita libris. La bible et sa facies metrica à partir de la lettre d’Arator à Vigile: 129
M. Cutino, Le renouvellement formel de la poésie élégiaque dans la littérature latine chrétienne (fin IV e -moitié V e s.): 141
C. Pavarani, Letteratura e medicina: percorsi di una metafora nella tarda antichità latina (IV-VI sec. d.C.) : 163
Section II. The Transformation of the Cultural Heritage: Prose
R. Ricci, Ambrose, Democritus and the Risus of the Sapiens ( Iob, III. 3. 9): 183
G. Kelly, The First Book of Symmachus’ Correspondence as a Separate Collection: 197
J. den Boeft, Ammianus Ciceronianus?: 221
R. Passarella, Emperors’ Physiognomy: 233
P. F. Moretti, Nisi modum epistolici characteris excederem. Jerome and Epistolary brevitas : 247
L. Pirovano, Lucretia in the World of Sophistopolis: A Rhetorical Reading of Aug. Civ. I. 19: 263
C. Torre, The Dynamics of Seneca’s Reception in the Late Ancient Christian Tradition: Some Methodological Remarks: 279
N. Brocca, Histoires de mots. À propos des adjectifs imatilis, vernatilis et venatilis de Cassiod. Var. III. 53. 1: 293
M. Venuti. Spoudogeloion, Hyperbole and Myth in Fulgentius’ Mythologiae : 307
Section III. The Transmission of the Cultural Heritage: School, Texts, and Paratexts
I. Canetta, Macrobius and Servius: Commenting Strategies in Comparison: 325
A. Daghini, [ abunde ] suffecerat…sed : un’idea ricorrente nelle Interpretationes Vergilianae di Tiberio Claudio Donato: 335
W. M. Bloomer, The Distichs of Cato in Late Antique Spain: 345
C. Formenti, Tra Porfirione e Servio: annotazioni Pseudacronee sull’ode I. 37 di Orazio: 365
List of abbreviations: 377
List of ancient autho rs and works: 379
The authors: 397
Notes
1.: Jan Stenger, “Der ,barocke‘ Stil des Ammianus Marcellinus – Vom heuristischen Nutzen eines folgenreichen Verdikts,” in M. Formisano, T. Fuhrer (ed.), Décadence. Series: Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften (140). Winter: Heidelberg. 2014. Pp. 223-248.
2.: Récemment, David Rohrbacher, “Physiognomics in Imperial Latin Biography,” Classical Antiquity, 29 (2010), pp. 92-116.
3. Par exemple Daniel Vallat, notamment “Le Servius de Daniel : Introduction,” Eruditio Antiqua, 4 (2012), pp. 89-99 ; Alban Baudou, Séverine Clément-Tarantino, À l’école de Virgile. Commentaire à l’ Énéide Livre I. Villeneuve-d’Ascq: Septentrion. 2015. Pp. 15-19.