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Bassir Amiri1 nous propose ici dans le volume 41 de la collection Forschungen zur antiken Sklaverei, publié par les Éditions Franz Steiner de Stuttgart, le résultat de ses recherches menées sur les esclaves et affranchis des Germanies. Cette publication, la seule en français dans cette collection, vise une meilleure connaissance de la dépendance dans ces deux provinces à partir des inscriptions funéraires et votives considérées (même lacunaires) et s’inscrit donc parfaitement dans le projet de recherche développé par l’ Akademie der Wissenschaften und der Literatur de Mayence depuis 1967.
Dans une longue introduction (p. 1-16), l’auteur revient tout d’abord avec précision sur ce qui définit juridiquement un esclave et un affranchi, en présentant à cette occasion une riche bibliographie sur le sujet, et affiche d’emblée l’essence même de ce travail, à savoir le concept d’intégration de ces catégories sociales dans le milieu provincial romain des deux Germanies aux trois premiers siècles de l’Empire. L’a. justifie son choix de ne considérer dans sa recherche que les inscriptions monumentales, funéraires et votives. Il admet également les limites et les réserves d’une telle étude, bien compréhensibles, qui peuvent écarter une frange de la population servile étrangère aux pratiques épigraphiques codifiées. L’a. présente enfin clairement la base de son étude, à savoir la publication de Luciano Lazzaro de 1993, dont il a remanié logiquement le corpus à partir de sa propre enquête. Celui-ci est finalement constitué de 229 inscriptions (dont 169 pour la Germanie supérieure) qui permettent l’identification de 286 individus (dont 192 affranchis).
Le chapitre I (p. 17-49) traite de la désignation des esclaves et des affranchis dans les inscriptions des Germanies. L’a. envisage trois critères visibles dans la nomenclature pour rendre compte de la présence d’un individu de statut ou d’origine servile dans l’épigraphie des provinces considérées. Le premier est celui de l’indication du statut juridique par les termes seruus, uerna, ancilla, uernac(u)lus, libertus/-a, qui peuvent être abrégés ou non. Qu’elles soient accompagnées ou non de l’indication du patron ou du maître, ces mentions, comme le montre l’a., témoignent d’une relation étroite de dépendance entre les esclaves/affranchis et leurs maîtres/patrons. L’a. aborde ensuite les cas dans lesquels la séquence onomastique révèle le statut servile d’un individu. Il s’agit le plus souvent d’un nom unique, de préférence grec pour ne pas intégrer à tort d’éventuels pérégrins, mais l’a., prudemment, prend également en considération d’autres indices. Le dernier critère envisagé pour déduire le statut d’esclave ou d’affranchi est celui de la mention dans l’inscription de l’activité d’un individu, accomplie prioritairement selon les cas par cette catégorie de population. Là encore, l’a. multiplie les exemples et les variantes de situations d’identification parfois très complexes. Dans son exposé, il mentionne clairement, quand il le faut, les problèmes de lecture afférents à certaines inscriptions, parfois lacunaires, et envisage alors, avec beaucoup de pédagogie, les différentes interprétations possibles du texte. Il n’hésite pas non plus à refuser d’intégrer dans le corpus certaines inscriptions dont les critères d’appartenance au monde de la dépendance ne sont pas certains. Au final, l’a. fait preuve dans cette partie de l’étude d’une grande maîtrise du langage de la dépendance utilisé dans la pratique épigraphique, appliqué ici aux Germanies. Toutes les variantes possibles dans l’indication du statut dans la nomenclature sont évoquées, dans un texte clair et bien illustré.
Le chapitre II (p. 51-71) aborde la question de l’évolution temporelle de la présence des esclaves et des affranchis sur le territoire des Germanies, qui implique nécessairement la question de la datation des inscriptions considérées. Aux textes datés succède une présentation des critères pris en compte pour les textes datables, à savoir les critères onomastiques mais également la typologie des formulaires funéraires et religieux. L’a. avoue avoir surtout considéré des critères internes, purement épigraphiques, même s’il inclue brièvement dans sa démonstration la typologie des monuments funéraires. L’a. montre bien l’intérêt de ces datations lorsqu’il contextualise la présence des esclaves et des affranchis dans les Germanies. La prédominance des inscriptions du I er s. ap. J.-C. est ainsi liée à la présence militaire sur ces territoires liée à la conquête, qui contribue à développer des pratiques épigraphiques vecteurs de la romanisation. Une phase d’urbanisation massive au II e siècle explique la présence des protagonistes de la dépendance dans les épitaphes et les inscriptions votives.
De manière logique, le court chapitre III (p. 73-90) s’intéresse au peuplement et à la répartition spatiale des esclaves et des affranchis dans les provinces étudiées. Mais il n’est pas le plus convaincant selon nous. Cela est sans doute dû, comme le reconnaît l’a., au manque de sources même si l’on peut quand même conclure pour la Germanie supérieure à une surreprésentation des esclaves et affranchis dans les cités de la rive gauche du Rhin conquises à date haute. L’a. met bien en évidence également la forte densité de ces populations dans les zones urbanisées qui présentent une monumentalisation sur le modèle romain. Dans ce chapitre, il faut noter au passage une erreur dans la numérotation des sous-titres au regard de l’ordre proposé dans la table des matières. Nous aurions également préféré des cartes plus claires (p. 76-78) montrant les frontières des deux provinces étudiées et proposant une légende plus lisible. Les tableaux des pages 80 et 83 auraient chacun mérité un titre et la présence du nombre total d’affranchis et d’esclaves pour chaque cité aurait facilité la comparaison territoriale.
Le chapitre IV, le plus volumineux de cette publication (p. 91-175), traite longuement de l’identité des esclaves et des affranchis dans la société. Fidèle aux nombreuses études internationales reconnues dans le domaine de l’onomastique, l’a. aborde ce dossier avec beaucoup de soin et propose au lecteur de nombreux repères essentiels. La faible proportion des gentilices indigènes dans la nomenclature des affranchis est en ce sens très parlante, tout comme l’étude de la répartition linguistique des idionymes des esclaves ou des cognomina des affranchis, qui laisse apparaître une écrasante minorité des noms à consonance locale, régulière dans le temps, et une domination de l’élément latin. On aurait souhaité cependant que l’annexe « Origine des cognomina et des idionymes des dépendants des Germanies » (p. 128-133) soit placée dans cette partie réservée à la nomenclature et à l’onomastique plutôt que dans la partie « 2.3. Nomenclature des époux et des épouses » intégrée dans le sous-chapitre traitant de l’identité familiale. En revanche, l’originalité de l’étude est bien présente lorsque l’a. réfléchit notamment sur l’association onomastique des gentilices et des surnoms, en tentant d’en expliquer les mécanismes, ou qu’il s’interroge sur la transmission des noms au sein de familles d’esclaves ou d’affranchis, exemples à l’appui. Mais l’aspect novateur pour les Germanies et l’intérêt majeur de cette publication réside avant tout dans la description détaillée des identités familiale, sociale, culturelle et professionnelle des esclaves et des affranchis de ces provinces.
Le dernier chapitre (p. 177-212) s’empare avec rigueur de la question de la religion des esclaves et des affranchis, en détaillant l’ensemble des dieux et déesses honorés par cette population. A l’échelle, vaste, du territoire des Germanies, peu d’inscriptions finalement (37) concernent cette thématique et cela aurait pu constituer un frein à l’étude. Cependant, par la méthode employée, l’a. montre bien que la participation de cette population au système religieux romain illustre sa présence active au sein de la société. Chaque divinité honorée est ainsi abordée, en commençant par Jupiter, Mercure et Cybèle mais l’intérêt évident de la recherche repose sur la contextualisation de chaque texte étudié, comme lorsque l’a. tente de donner du sens aux dédicaces offertes à Apollon ou Fortuna. De nombreuses hypothèses sont ainsi proposées par l’a. pour ces invocations, comme dans le cas d’une dédicace par un esclave à Jupiter Olbius dans la cité des Taunenses, dont l’épithète pourrait être lié à la patrie d’origine du dédicant. Passée cette description minutieuse des dédicaces votives recensées dans les Germanies, l’a. propose une synthèse géographique du paysage religieux dans ces provinces qui met en évidence une localisation de ces inscriptions votives dans des cités fortement romanisées depuis longtemps, des camps militaires ou des sanctuaires ruraux. Toutefois, peu de particularisme lié aux catégories sociales prises en considération dans cet état des lieux puisque le panthéon honoré dans ces dédicaces offertes majoritairement à titre privé s’écarte peu de celui des citoyens libres. Il faut encore rappeler la rigueur manifestée par l’a. dans ces recherches puisqu’il n’omet pas d’évoquer de manière détaillée la présence du culte impérial dans les manifestations votives opérées par les esclaves et les affranchis. L’intérêt de l’étude réside notamment dans la mise en évidence de la faible proportion des affranchis parmi les sévirs augustaux considérés dans ces provinces. Enfin, l’a. prend en compte les offrandes aux divinités faites par les esclaves et affranchis, dont le lecteur retiendra prioritairement les cinq attestations d’évergésies religieuses de coût élevé, qui auraient mérité une plus ample mise en perspective.
Une courte mais efficace conclusion (p. 213-217) reprend comme il se doit le bilan de cette recherche d’envergure et met en avant une meilleure visibilité des affranchis par rapport aux esclaves, même si certains d’entre eux, comme les esclaves de l’empereur, sont bien présents à leur niveau. L’a. revient aussi sur les mentions épigraphiques de la nomenclature et des activités exercées, en notant de manière générale la maîtrise des codes de la romanité, liée de manière logique à une forte présence des esclaves et affranchis dans des milieux romanisés (urbains ou militaires) dans lesquels une certaine catégorie, bien intégrée dans la société, participe activement à son fonctionnement.
La bibliographie (p. 219-234), de manière très classique, se répartit entre Liste des abréviations, Sources épigraphiques et Sources modernes. Ces dernières se composent de 264 titres qui ne font pas l’impasse sur les titres incontournables relatifs aux généralités sur le monde des esclaves et des affranchis. Toutefois, nous ne classerions pas la publication de Luciano Lazzaro ( Esclaves et affranchis en Belgique et en Germanies romaines, Paris, 1993) parmi les sources épigraphiques puisqu’il ne s’agit pas uniquement d’un corpus d’inscriptions et que le corps de l’ouvrage est constitué d’une synthèse sociale.
Dans les Indices qui clôturent cette publication (p. 235-249), on peut regretter, dans la forme, de ne pas trouver Index locorum au lieu de « Index des lieux » après les titres de rubriques en latin Index nomina, Index cognomina et avant Index rerum. En annexe à cette vaste étude, on aurait également aimé trouver un corpus simplifié, par province et par cité, donnant a minima les références bibliographiques et le texte de chaque inscription. Ce corpus figure pourtant dans l’ouvrage de L. Lazzaro (qui comprend en outre les tituli de Belgique), base de l’étude actuelle. De nombreux textes d’inscriptions sont mentionnés en notes de bas de page, accompagnés de traductions et de commentaires, mais cette pratique n’est pas généralisée. D’ailleurs, le serait-elle qu’elle alourdirait significativement ces notes infrapaginales.
Pour conclure, à la lecture de cet ouvrage, nous sommes assurément en présence d’une contribution majeure à la connaissance du concept de dépendance, appliqué au territoire provincial des Germanies, qui justifie tout à fait son inclusion dans l’illustre collection Forschungen zur antiken Sklaverei. Hormis quelques remarques sur la forme, il va de soi que la recherche menée par Bassir Amiri a pris en compte de manière rigoureuse tous les critères permettant d’extraire de ce vaste corpus une image assez précise de l’identité des esclaves et affranchis des Germanies et de leur implication et leur intégration dans le fonctionnement des cités.
Table des Matières
Remerciements v
Table des Matières vii
Introduction 1
Chapitre I: La desigignation des esclaves et des affranchis 17
1. L’indication du statut juridique 18
2. Séquence onomastique révélatrice d’un statut servile 31
3. Mention de l’activité de l’individu 364. Constantes et stratégies de représentation 43
Chapitre II: La presence des esclaves et des affranchis sur le territoire des germanies. Evolution temporelle 51
1. Datation des inscriptions 52
2. Evolution temporelle de la présence servile sur le territoire des Germanies 64
Chapitre III: Le peuplement des esclaves et des affranchis dans les deux Germanies 73
1. Répartition spatiale des esclaves et des affranchis dans les Germanies 74
2. La population d’orgine servile au prisme de l’organisation spatiale: un phénomène urbain 79
3. Le rôle des voies de communication 85
Chapitre IV: L’identite des esclaves et des affranchis dans la société 91
1. Identité onomastique des esclaves et des affranchis 91
2. Identité familiale des esclaves et des affranchies 120
3. Identité sociale et culturelle 134
4. L’identité professionnelle des esclaves et des affranchis 160
Chapitre V: La religion des esclaves et des affranchis 177
1. Les dédicaces de la population servile dans les Germanies 178
2. L’implication dans le culte impérial 196
Conclusion 213
Bibliographie 219
Indices 235
Notes
1. Maître de Conférences à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité (ISTA) de Besançon (EA 4011) – Université de Franche Comté (France).