Le De natura rerum, écrit par Isidore de Séville vers 612, est à la fois un traité d’hémérologie, de cosmologie et de météorologie. Son intérêt historique vient, entre autres, du très grand succès qu’il connut au Moyen Âge, notamment à l’époque carolingienne. Mais il existe une autre raison qui donne à ce livre un statut particulier dans le champ des études isidoriennes : en 1960, Jacques Fontaine en proposa une édition critique remarquable, pionnière à bien des égards, et qui est devenue pour cette raison un véritable modèle (ce fut la première édition d’Isidore à proposer une étude linguistique, à distinguer clairement sources directes et indirectes, et à décrire précisément, y compris à l’aide d’une carte, la diffusion ancienne du traité).
Le pari de Calvin B. Kendall et Faith Wallis était donc particulièrement audacieux. En effet, ils ont traduit en anglais le De natura rerum, ainsi que plusieurs textes qui lui sont associés dans la tradition manuscrite, comme l’épître en vers de Sisebut et le poème De uentis ( inc. Quattuor a quadro consurgunt). Ils les ont aussi accompagnés d’un commentaire substantiel. Mais ils ne se sont pas contentés de cette tâche, qui aurait déjà rendu service à la communauté scientifique : ils ont cherché à compléter et à améliorer l’étude stemmatique et le texte établi par Jacques Fontaine. Et le résultat est excellent.
Calvin B. Kendall et Faith Wallis ont repris en détail l’étude des plus anciens manuscrits. Ils confirment ainsi la distinction, faite par Jacques Fontaine, entre trois recensions de l’œuvre, mais ils lui apportent un certain nombre de corrections : ils montrent que la première recension a été conservée dans deux types distincts, et surtout ils remettent en cause l’hypothèse selon laquelle les ajouts de la recension longue (le chapitre 44 et l’addition « mystique » du chapitre 1) seraient d’origine irlandaise. Selon eux, ces additions sont plutôt d’origine hispanique, et ils pourraient fort bien être authentiques. L’argumentation est convaincante, d’autant qu’elle est exposée avec prudence et subtilité : les auteurs évoquent ainsi l’existence probable de dossiers compilés par Isidore ou sous sa direction, qui purent être insérés après coup dans le texte par d’autres personnes qu’Isidore lui-même.
Un autre apport de ce livre est la liste complète des manuscrits du De natura rerum, alors que Jacques Fontaine s’était limité aux témoins antérieurs au XII e siècle. On pouvait s’attendre, certes, que les manuscrits des XIII e –XV e siècles fussent relativement moins nombreux que ceux du haut Moyen Âge, car les hommes du Moyen Âge tardif avaient à leur disposition d’autres sources plus récentes dans le domaine des sciences naturelles, mais on en a maintenant une confirmation chiffrée : 7 témoins du XIII e, 6 du XIV e et 4 du XV e siècle. Du reste, ces chiffres ne servent qu’à donner un ordre de grandeur, puisque tout recensement de manuscrits est presque nécessairement incomplet. On peut ajouter à la liste de Calvin B. Kendall et Faith Wallis les manuscrits suivants (je précise que je les cite d’après les catalogues qui les décrivent, mais que je ne les ai pas vus personnellement) : Città del Vaticano, BAV, Reg. lat. 1263 (XI e s.) ; Heidelberg, UB, Salem IX 39 (XII e s.) ; Lucca, Bibl. Statale, 1986 (XII e s.) ; Padova, Bibl. Seminario, 523 (XI e s.) ; Paris, BNF, lat. 5408 (XV e s.) et n. a. lat. 112 (XV e s.).
Enfin, cet ouvrage apporte quelques corrections au texte même de Jacques Fontaine, qui sont toutes justifiées. En voici la liste : § 3.4 ex aere ignem doit être omis ; § 18.7 il faut inclure le diagramme des formes de la lune ; § 45.2 inuestigauit doit être préféré à inuestigabit. Calvin B. Kendall et Faith Wallis émettent aussi des doutes sur l’authenticité isidorienne de la roue des vents (chap. 37) et, en sens inverse, sans être catégoriques, ils penchent pour l’authenticité de la carte T-O à la fin du traité (chap. 48). On rappellera aussi qu’ils réhabilitent le chapitre 44 et l’addition « mystique » du chapitre 1, dont le caractère isidorien est au moins possible, voire probable.
Pour conclure, le plus simple est de citer les auteurs eux-mêmes : l’édition de Jacques Fontaine, écrivent-ils, « remains the definitive edition of On the Nature of Things » (p. 65). Ils ont raison. Mais désormais, on ne pourra plus utiliser l’édition de Jacques Fontaine sans tenir compte des ajouts et des corrections de Calvin B. Kendall et Faith Wallis. Le simple fait d’être parvenu à ce résultat suffit à montrer l’importance de ce livre.