Le IV e siècle est une époque charnière du point de vue de l’histoire des religions, en particulier du fait de la reconnaissance légale du culte chrétien par le pouvoir impérial. De nombreuses études ont été consacrées à la fin du « paganisme » ou des « païens », à la figure de Constantin, à la législation de Constantin et de ses successeurs, au concile de Nicée, etc. Mark Edwards ne livre pas une nouvelle étude spécialisée, qui aborderait des questions relatives soit à la théologie, soit à l’histoire de la philosophie, soit à l’histoire politique, soit à l’histoire des religions. Il reconnaît l’intérêt et la nécessité de telles études, mais il regrette, à juste titre, la vision éclatée qui est ainsi donnée de la période constantinienne (depuis l’accession de Constantin au pouvoir en 306 dans l’empire occidental à sa mort en 337) ; du fait de la spécialisation plus poussée, les chercheurs se tournent peu vers les études menées dans les disciplines autres que les leurs. Mark Edwards propose donc une revue synoptique, « a more holistic approach » (p. viii), de cette période, à l’intention de tout chercheur étudiant cette époque, quelle que soit sa discipline. Il n’a pas l’ambition de proposer une nouvelle théorie, comme il le dit lui-même (p. XI), mais cela ne l’empêche pas de prendre part aux débats sur telle ou telle question (comme celle concernant la conversion de Constantin ou celle sur les liens entre le mode de vie philosophique et le monachisme chrétien). Pour mener à bien son projet, il a fait le choix non pas d’écrire une narration, mais un « conspectus », qui permet de donner un aperçu général de la complexité de la période concernée pour ce qui concerne le religieux, une sorte de galerie d’auteurs et de textes. En effet, de nombreux auteurs et écrits qui sont rarement rassemblés dans une même étude, sauf par allusions, sont ici abordés ensemble. Certains de ces auteurs sont bien connus, comme Eusèbe de Césarée ou Porphyre, d’autres le sont beaucoup moins comme Chalcidius ou Machomius. Mark Edwards donne pour chacun des écrits les grandes lignes de leur contenu. Cela ne dispense pas de la lecture de ces écrits mais fournit au chercheur non spécialiste de tel ou tel auteur une introduction précise. Un tel procédé facilite d’éventuels rapprochements entre des écrits et des auteurs anciens, mais aussi entre les spécialités modernes. La seule réserve vis-à-vis de la méthode adoptée pour l’écriture de l’ouvrage est que le lecteur peut éprouver quelques difficultés à faire le lien entre les différentes sections.
Mark Edwards a organisé son propos en treize chapitres (plus une conclusion) répartis en trois parties. La première partie (« Philosophical Variations », p. 1-107) concerne les rapports des chrétiens à la culture (grecque et romaine) et la façon dont les chrétiens ont construit peu à peu une philosophie qui leur soit propre, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan de la pratique. L’auteur évoque les œuvres apologétiques de l’époque, celles d’Eusèbe (chap. 1), Lactance ou Arnobe (chap. 2), les mettant en regard avec les philosophes néoplatoniciens (chap. 3), notamment Porphyre, mais aussi Jamblique ou Théodore d’Asiné. Il montre comme le néoplatonisme s’est modifié, avec les trois philosophes qui viennent d’être mentionnés, mais aussi avec des philosophes chrétiens comme Méthode. Cette section sur le néoplatonisme l’amène à parler (chap. 4) du theios anêr, notamment à partir de la Vie de Pythagore écrite par Jamblique. Mark Edwards considère que cette vie a été imitée par des Vies chrétiennes, comme celle d’Antoine écrite par Athanase. Néanmoins, il veut montrer l’écart entre le theios anêr philosophique et le « saint » chrétien, notamment dans le cadre du développement du monachisme sous ses deux formes (chap. 5). Cette différence transparaît dans les titres des chapitres 4 et 5 : l’un interrogatif (« Pagan Holiness ? ») sous-entendant une réponse négative, l’autre affirmatif (« New Forms of Christians Holiness »).
La deuxième partie (« Religious Plurality », p. 109-175) aborde les nombreux mouvements religieux qui côtoient le culte chrétien au début du IV e siècle. L’organisation interne de cette partie témoigne d’une classification de ces mouvements religieux en trois catégories. Dans un premier temps (chap. 6), Mark Edwards aborde les cultes polythéistes, dont ceux à mystères (comme celui de Mithra ou d’Isis) ; le titre du chapitre « Religions of the Vanquished » annonce la thèse que Mark Edwards développe : contrairement à ce que d’autres chercheurs ont écrit, il considère qu’aucun de ces cultes n’était en mesure d’être un réel concurrent pour le culte chrétien. Il revient également sur le lien entre les attestations de Zeus Hypsistos au monothéisme. À ces cultes en perte de vitesse, il met en regard ceux, plus récents, qui ont comme points communs de promouvoir une transformation interne en vue du salut et de connaître une certaine vigueur à l’époque constantinienne : « Religions of Transformation » (chap. 7). Il y classe les mouvements gnostiques, le manichéisme, et il fait une place aux écrits hermétiques, terminant par l’alchimie avec Zosime. La troisième catégorie (et le chap. 8) concerne les juifs et la législation constantinienne à propos des juifs visant à éviter des conversions au judaïsme.
La troisième partie traite des relations entre l’Église et le culte civique : « Christian Polyphony » (p. 177-313). Mark Edwards commence par revenir sur le débat concernant la conscience religieuse de Constantin et notamment son « monothéisme solaire » (chap. 9 : « The Religious Integrity of Constantine »). Il appelle en particulier à ne pas déduire de l’action politique de Constantin des informations sur ses convictions religieuses ni à les opposer. Il considère que Constantin serait relativement tôt chrétien en esprit, proposant notamment une datation haute pour son Oraison des saints. Il revient ensuite sur la législation constantinienne vis-à-vis des cultes polythéistes (chap. 10). Qu’aucune loi constantinienne ne mette fin à leur interdiction prouve, selon l’auteur, non pas que Constantin n’a fait rien contre les sacrifices (et donc que sa conversion n’était pas sincère), mais que la fin des sacrifices est en réalité la conséquence de plusieurs mesures et non d’une loi spécifique. Ces mesures se fonderaient sur des écrits chrétiens s’opposant aux sacrifices, prenant la suite de critiques de la part de polythéistes. Un point est fait sur l’eucharistie dont l’écart par rapport aux sacrifices est noté, sauf pour ce qui concerne une fonction commune aux sacrifices et à l’eucharistie : « the consecration of a public space in which all classes and sexes met to affirm their dependence on, and loyalty to, a common social order » (p. 221). Le règne de Constantin est aussi celui où le canon biblique est presque achevé, notamment sous l’action d’évêques comme Eusèbe de Césarée, qui réfléchissent aux deux « Alliances » (chap. 11) et, plus particulièrement, aux évangiles et à leur unité (chap. 12), avec deux postures différentes, celle d’Eusèbe et sa Démonstration évangélique et celle de Juvencus et son Historia evangelica en vers. La période constantinienne est également marquée par la transformation de la manière de traiter des divisions internes. Mark Edwards aborde celles-ci dans le chapitre 13, se focalisant sur les controverses autour de l’héritage d’Origène et des idées d’Arius. Il montre, à nouveau, l’importance du concile de Nicée qui, toutefois, est loin de clore ces dissensions et les débats. Le dernier chapitre propose une sorte de bilan par les contemporains de Constantin du règne de Constantin, avant que les dernières pages ne fassent un « Epilogue » ou plutôt un résumé de l’ouvrage qui permet de mettre en valeur les permanences et les ruptures de la période constantinienne par rapport aux époques antérieures.
À la fin du volume, le lecteur trouvera une bibliographie riche, donnant accès aux principales études, notamment les plus récentes ; il trouvera également un index regroupant noms anciens, thèmes et titres d’ouvrages mentionnés, lui facilitant la consultation de ce livre.
L’ouvrage de Mark Edwards s’adresse à un large public de chercheurs, aussi bien les historiens de la philosophie, que ceux des religions ou de l’histoire politique ou théologique. Chacun y trouvera des informations lui permettant d’avancer dans ses propres travaux, lui donnant une vision plus générale de la période constantinienne.