BMCR 2016.10.14

Polis Expansion and Elite Power in Hellenistic Karia. Alexander the Great and the Hellenistic World

, Polis Expansion and Elite Power in Hellenistic Karia. Alexander the Great and the Hellenistic World. Lanham; Boulder; New York; London: Lexington Books, 2016. 257. ISBN 9781498513999. $95.00.

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Dans ce volume issu de sa thèse de doctorat soutenue en 2010, Jeremy Labuff propose à l’analyse un sujet encore peu étudié: celui des sympolities bilatérales, fusions juridiques qui ont lieu entre deux cités. Il répond ainsi, en partie du moins, à l’invitation lancée par G. Reger en 2004 qui déplorait l’absence de travail de synthèse sur un tel phénomène.1 S’il n’existe aucun ouvrage d’ensemble récent sur le sujet, il faut toutefois signaler d’emblée que cette étude prend place au sein du regain d’intérêt que connaissent les formes institutionnelles associatives (sympolities, synœcismes, koina) depuis les années 2000.2

Jeremy Labuff circonscrit le champ de recherche à la Carie hellénistique qui a fourni jusqu’à présent le plus grand nombre d’exemples de ces fusions. Reprenant les propos de L. Robert,3 il définit ces unions comme des traités entre deux cités au moins ayant pour but de constituer un seul État, la plus grande cité absorbant la plus petite (p. 1). L’objectif de l’historien n’est pas tant de livrer une analyse institutionnelle de son objet d’étude, qu’on aurait pourtant souhaitée, que de contribuer plus largement au questionnement général concernant les transformations de la culture politique à l’époque hellénistique. Se distinguant de l’historiographie faisant du pouvoir royal le seul cadre possible de l’action politique dans la région, Jeremy Labuff montre que les sympolities constituent un instrument d’indépendance aux mains de cités cariennes décidément plus autonomes qu’on a pu le dire dans le contexte plus large des royautés hellénistiques. L’introduction s’inscrit ainsi immédiatement dans la ligne historiographique visant à réévaluer le rôle des cités hellénistiques en tant que véritables actrices du jeu politique.4 Il s’agit donc essentiellement de montrer comment se tissent les liens entre cités et les échelles auxquelles ces constructions interviennent. La perspective envisagée implique de s’interroger sur les intérêts et l’identité des groupes moteurs de ces fusions; le livre s’articule ainsi autour d’un ensemble de problèmes qui guident chacun des trois chapitres: les contextes locaux de ces phénomènes, les motifs de leur apparition et enfin le rôle des élites et des réseaux dans l’élaboration des fusions.

Cet examen s’appuie avant tout sur les quatorze traités de sympolitie cariens recensés à ce jour et regroupés sous la forme d’un catalogue dans le deuxième chapitre. Les textes se suivent au fil d’une chronologie qui s’étend de 323 à 150 av. J.-C. et font l’objet d’une présentation classique et succincte comportant un exposé de la situation des cités concernées, accompagné de quelques cartes et photographies des pierres, d’un court lemme, d’une description, du texte grec dans son entier et de sa traduction, d’un apparat critique si nécessaire et d’un commentaire plus ou moins long selon les cas. Sans contenir aucun inédit, cet ensemble constitue néanmoins le premier du genre sur le sujet, et représente en soi l’un des apports de l’ouvrage.

L’introduction est pour l’auteur l’occasion de présenter les thématiques qu’il souhaite aborder. Il s’interroge notamment sur l’impact des fusions civiques et l’identité institutionnelle des cités: il est généralement admis que la plus grande des communautés s’affirme comme prédominante et absorbe sa partenaire. Quel est alors le nouveau statut de cette dernière? Malgré quelques remarques éparses suggérant que l’auteur considère les cités absorbées comme des subdivisions de la nouvelle cité, on regrette que cette réflexion ne se poursuive guère dans la suite de l’ouvrage. Pourquoi une communauté souhaite-t-elle s’étendre territorialement? Pourquoi cette expansion prend-elle la forme d’une sympolitie plutôt que d’une conquête militaire ou d’une alliance? À qui vont les bénéfices de la sympolitie à l’intérieur de la communauté? Cet ensemble de questions posées par l’auteur révèle, en revanche, l’attention particulière qu’il porte aux relations inter-civiques, dans la lignée du modèle de la Peer Polity Interaction 5 (Colin Renfrew et John Cherry), et qui l’amène ensuite à considérer les motivations et influences des groupes à l’intérieur de la communauté, en particulier des élites, quoique aux dépens de l’analyse proprement institutionnelle de ces processus.

La première partie concernant l’histoire de la Carie hellénistique tente de faire la part de l’histoire politique régionale (conflits entre souverains) et de l’histoire locale afin de dégager les dynamiques propres à l’avènement des fusions concernées. Si l’intérêt de l’histoire locale est bien mis en valeur, le récit de l’histoire politique régionale se résume davantage à une suite d’événements servant surtout à souligner l’instabilité chronique des royaumes hellénistiques dans la région. Jeremy Labuff s’attarde d’abord sur l’implication des différents royaumes hellénistiques en Carie dont la fluctuation a pu faciliter l’autonomie des cités, le cas de Milet étant exemplaire dans ce cadre. Vient ensuite la section des histoires locales visant à contextualiser précisément la situation de chaque cité concernée par une sympolitie. Cette partie permet à l’auteur d’explorer plus en détail l’étendue des activités diplomatiques des cités à l’aune du modèle de Peer Polity Interaction qui se vérifie selon lui dans le langage diplomatique utilisé, similaire au vocabulaire habituel des décrets cependant. Le fait est que l’on ne distingue aucun langage spécifique à la sympolitie, ce qui empêche d’identifier clairement des modèles de comportement politique propres aux contextes sympolitiques. Les facteurs explicatifs que l’auteur développe ensuite pour expliquer la survenue des sympolities sont plus convaincants: ils relèvent d’une part des conditions géographiques, de l’autre de la situation politique. La topographie qui favorise le contrôle des plaines de montagne par des communautés de petite taille et facilite les contacts dans une direction Est-Ouest encourage l’expansion des cités vers l’Est plutôt que vers le Sud ou le Nord: de fait, c’est l’orientation qu’on observe généralement dans les sympolities en Carie. Par ailleurs, il souligne la concomitance, voire le lien causal possible, entre l’accroissement de l’autonomie prise par les communautés et la recrudescence des sympolities.

La deuxième partie, la plus longue, se présente sous la forme d’un catalogue d’inscriptions et doit permettre de tester la typologie mise en place par H. Schmitt qui distingue sympolities politiques et synœcistiques.6 Labuff la déclare finalement invalide en raison de la forte similitude entre ces deux types de fusion. Si la publication est utile et le commentaire pertinent, l’auteur n’apporte malgré tout aucune véritable réinterprétation de ces inscriptions déjà bien connues et étudiées à l’occasion d’articles ponctuels; il laisse notamment de côté la démarche comparative à la fois entre les inscriptions de sympolitie et avec les autres sources, démarche qu’on aurait attendue dans un ouvrage portant sur une forme institutionnelle aux contours encore peu définis. Il cherche plutôt à dégager des indices concernant les motivations menant à la conclusion de ces traités. La fin de ce chapitre propose ainsi de considérer les sympolities comme le résultat d’un système de causalité complexe qui mêle impulsions sécuritaires, motivations sociales et volonté d’indépendance par rapport aux puissances royales. En effet, il plaide, sans doute à juste titre, en faveur d’une initiative des cités elles-mêmes contrairement à l’avis de beaucoup qui privilégient des décisions royales unilatérales en se fondant notamment sur le cas de Téos et Lébédos. Ces déductions amènent l’auteur à dégager d’intéressantes conclusions sur l’implication des élites qu’il développe dans le dernier chapitre.

La troisième partie concerne le rôle des élites dans les processus de sympolitie et plus largement au sein des cités impliquées dans ces fusions. Jeremy Labuff propose d’appréhender leur action par le biais de l’analyse prosopographique de quelques familles qu’il situe en haut des hiérarchies sociales locales. Il concentre son étude sur les cas de sympolitie entre Pidasa et Milet (188 av. J.-C.) et entre Mylasa et Olymos (IIe siècle av. J.-C.), les seuls pour lesquels il estime les sources suffisantes (respectivement sept inscriptions et une soixantaine). Ces exemples révèlent une attitude inattendue de la part des groupes étudiés en ce sens qu’ils semblent montrer deux dynamiques inverses. Dans le premier cas ce sont les élites de la petite cité de Pidasa qui paraissent manifester un intérêt à fusionner avec une cité aussi rayonnante que Milet, tandis que dans le second l’auteur met en évidence le rôle du sanctuaire d’Olymos dont l’influence régionale constitue un moteur d’engagement des élites mylaséennes dans la cité d’Olymos, plus petit partenaire de l’accord. Malgré des remarques intéressantes, il faut noter une certaine audace dans les liens de parenté échafaudés par l’auteur, alors même que, de son propre aveu, les inscriptions sont mal datées. Ainsi le rapprochement entre Artemisia ( Milet I. 3. 64), [-]as ( Milet I. 3. 74a) et Melan[thos?] ( Milet I.3.86), trois individus qui reçoivent la citoyenneté de Milet, repose uniquement sur le fait qu’ils sont chacun fils d’un certain Antipatros (l’ethnique pidaséen n’est attesté que dans les deux premières inscriptions), père unique pour l’auteur mais dont l’identité n’est en aucun cas attestée. Il faut retenir cependant le rôle important des intérêts privés dans les processus de fusion, que J. Labuff met en lumière en précisant que ceux-ci ne s’opposaient pas nécessairement aux intérêts collectifs: il apporte là une intéressante contribution à la question de l’évolution de la démocratie dans les cités hellénistiques dans le sens d’un renforcement du pouvoir des élites.

L’ouvrage de Jeremy Labuff renouvelle donc la vision des relations entre les cités de Carie par une étude inédite sur la sympolitie qui s’intéresse en détail aux sociétés dans lesquelles ces fusions s’insèrent sans s’attarder toutefois sur l’aspect institutionnel de ces dernières. On regrettera que les sources archéologiques ne soient pas davantage mobilisées, mais il est vrai, comme le mentionne l’auteur, que les cités concernées, à l’exception notable de Milet, n’ont pas fait l’objet de fouilles approfondies. L’ouvrage confirme les évolutions pressenties de la culture politique à l’époque hellénistique, mais ne soulève que timidement le voile sur les sympolities en elles-mêmes et n’évoque qu’à demi-mot le statut des communautés intégrées. Il n’en demeure pas moins un instrument de travail très utile pour quiconque travaille sur la Carie à l’époque hellénistique. ​

Notes

1. G. Reger (2004): « Sympoliteiai in Hellenistic Asia Minor», in The Greco-Roman East, S. Colvin (éd.), Cambridge, 146.

2. Les études sur les sympolities bilatérales prennent essentiellement la forme d’articles: outre celui de G. Reger susmentionné, citons les articles de M. Moggi (2008: « Synoikismos », in Forme sovrapoleiche e interpoleiche di organizzazione nel mondo greco antico, M. Lombardo (éd.), Galatina, 38-48) et de W. Mack (2013: «Communal Interests and Polis Identity under negotiation: Documents Depicting Sympolities between Cities Great and Small», Topoi. Orient-Occident, 18/1, Lyon, 87-116). Évoquons également quelques études récentes sur les Confédérations: E. Mackil (2013): Creating a Common Polity. Religion, Economy, and Politics in the Making of the Greek Koinon, Berkeley, Los Angeles ; H. Beck et P. Funke (2015): Federalism in Greek Antiquity, Cambridge.

3. L. et J. Robert (1976): «Une inscription grecque de Téos en Ionie. L’union de Téos et de Kyrbissos», in Journal des savants, 3-4, Paris, 153-235.

4. Citons J. Ma (2000): «Fighting poleis of the Hellenistic World», in War and Violence in Ancient Greece, H. van Wees, éd., Londres, 337-76.

5. Voir J. Ma (2003): «Peer Polity Interaction in the Hellenistic Age», Past and Present, 108 (1), 9-39.

6. H. Schmitt (1994: «Überlegungen zur Sympolitie», dans G. Thür, éd., Symposium 1993. Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte, Köln, 14-24) crée une différence entre les sympolities synœcistiques qui impliqueraient l’absorption de la plus petite communauté par la plus large et les sympolities dites politiques qui permettraient aux plus petites communautés de conserver leur identité. ​