BMCR 2016.05.43

Menander, Perikeiromene or The Shorn Head. Edited with Introduction and Commentary. BICS supplement, 127

, Menander, Perikeiromene or The Shorn Head. Edited with Introduction and Commentary. BICS supplement, 127. London: Institute of Classical Studies, School of Advanced Study, University of London, 2015. x, 209. ISBN 9781905670598. £46.00.

Après sa très brillante édition traduite et commentée des Epitreprontes parue en 2009, William Furley publie, dans la même collection en 2015, celle, tout aussi remarquable de la Perikeiromene. L’ouvrage suit le même canevas et les mêmes principes que celui des Epitrepontes. Il est divisé en quatre chapitres et ensuite complété par une très riche bibliographie ainsi que des annexes qui facilitent encore la circulation dans l’ouvrage. Contrairement aux Epitrepontes, il n’y a pas de chapitre intitulé « Composite readings » ; l’auteur justifie son choix en précisant que le nombre de manuscrits ne rend pas ici ce chapitre nécessaire, l’apparat critique suffisant pour rendre compte des variantes, selon l’usage traditionnel. Malgré l’absence de ce chapitre qui participait très heureusement à la dimension didactique du premier ouvrage, force est de constater que William Furley manifeste dans la Perikeiromene le même souci pédagogique qui s’associe très heureusement à la haute tenue scientifique de l’ouvrage.

L’introduction est magistrale ; sans chercher une impossible exhaustivité, elle pose les principaux problèmes interprétatifs concernant la Perikeiromene et y répond avec clarté, justesse et pertinence, en mettant en perspective un grand nombre de travaux. Dans une rubrique intitulée « Menander and Women », William Furley dépasse les considérations biographiques sur le rapport entre Ménandre et les femmes pour caractériser les personnages féminins du dramaturge : victimes des circonstances et de leur statut, les femmes apparaissent in fine le plus souvent comme de véritables héroïnes, qui grâce à leur bravoure, leur loyauté et leur désintéressement affrontent avec succès les hommes de leur entourage.1 William Furley souligne avec justesse la dimension politique et sociale de cette transformation du code héroïque. Puis il traite la question, centrale dans l’appréhension de l’intrigue, du statut de Glycère. Tout en donnant les éléments sociaux et juridiques nécessaires à la compréhension de la situation, William Furley pose très justement la question de la place du droit dans la comédie : de fait, ce dernier, évoqué souvent de manière assez imprécise dans l’intrigue, est peut-être moins utilisé comme thème ou comme objet de réflexion que comme moyen dramaturgique ; ce qui intéresse véritablement Ménandre c’est la construction psychologique et éthique des personnages que permet le statut de Glycère. Le point suivant de l’introduction aborde une autre question très débattue, à savoir le sens de l’acte de Polémon qui donne son titre à la pièce. Là encore, William Furley expose très utilement différentes lectures qui en ont été données et propose de voir dans ce geste moins une transgression des codes sociaux ou légaux qu’une transgression du code amoureux, qui blesse la dignité et l’estime de soi de l’être aimé. S’ensuit un exposé synthétique des questions scéniques : l’identification des trois portes, des masques portés par les personnages, le partage des répliques entre les trois acteurs. La comédie nouvelle, rappelle utilement l’auteur, suppose que l’essentiel de l’intrigue se passe hors-scène, à l’intérieur, et qu’elle soit rapportée à l’extérieur par les personnages de sorte que le dramaturge doit employer une multitude de techniques dramatiques pour combler cette dichotomie spatiale. Les entrées et sorties des personnages sont ainsi prépondérantes dans la conduite de l’action. Il faut dès lors noter qu’elles sont en général rendues vraisemblables par Ménandre qui s’efforce de maintenir un certain effet de réel. William Furley fait également un point rapide, mais utile, sur les questions de métrique et annonce qu’il a choisi de traduire les vers ménandréens, pour l’essentiel du trimètre ïambique, par des vers libres afin de rendre au mieux le rythme et le flux du texte original. L’auteur s’intéresse ensuite à l’identité du personnage de Pataicos en proposant de manière argumentée et convaincante la thèse qu’il est le mari de Myrrhine et non pas un ami de Polémon. William Furley étudie enfin la tonalité de la comédie, caractérisée par un rire tout en subtilité. Le comique est fondé sur le ridicule (mesuré) des personnages, sur l’intertexte tragique qui conduit le spectateur à éprouver une sympathie amusée pour eux, et enfin sur l’intertexte épique utilisé pour renforcer la dimension farcesque des personnages de Polémon et de Moschion. L’utilisation des genres épique et tragique procède ainsi de la mise à distance et non de la parodie. Cet intertexte, opposant deux moyens d’action, la guerre et la persuasion, permet ici à William Furley d’évoquer avec prudence une éventuelle dimension politique de l’œuvre de Ménandre. La dernière rubrique met en évidence, comme pour le rire, toute l’attention qu’il faut prêter au texte ménandréen pour en apprécier la valeur et le sens, tant la langue du dramaturge est subtile et encline à la litote. La dernière rubrique reprend les éléments concernant la datation de la pièce : celle-ci repose seulement sur des indices internes, qui sont sujets à des interprétations contradictoires, ce qui rend la datation incertaine. William Furley propose néanmoins de faire de la Perikeiromene une pièce écrite au tournant du IVe siècle. L’introduction s’achève en proposant la liste des manuscrits transmettant la pièce, celle des supports iconographiques et enfin celle des éditions antérieures qui ont servi à l’établissement du texte proposé par William Furley.

Le chapitre 2 restitue le texte grec de la pièce. La liste des personnages est donnée, agrémentée de vignettes représentant des masques qui leur correspondent. Ces vignettes permettent, au sein du texte, d’attribuer les répliques et de signifier les entrées et les sorties des personnages. Ce système offre ainsi agréablement un repérage d’ordre visuel dans le texte. Quant au texte lui-même, William Furley en propose une nouvelle édition qui tire parti de l’ensemble des dernières découvertes et se nourrit, de façon critique, des travaux antérieurs, notamment les éditions d’Alain Blanchard, de Mario Lamagna et de Geoffrey Arnott.2 L’établissement du texte est argumenté de façon tout à fait précise, documentée et convaincante, dans le chapitre 4 consacré au commentaire. William Furley y propose, en effet, une argumentation méticuleuse et très pédagogique fondant ses choix textuels : examen des photographies des manuscrits, des usages de la langue grecque ou de la langue de Ménandre, discussion des choix proposés par les éditeurs antérieurs. Son argumentation est très précieuse et elle offre aux lecteurs une sorte de méthodologie pour l’édition des textes anciens, en particulier lorsqu’ils sont aussi fragmentaires. Soulignons quelques différences avec les éditions antérieures. William Furley introduit le fragment 96KA qu’il place au tout début de la pièce. Il s’agirait de quelques vers d’une réplique de Polémon à Glycère portant un serment du soldat à la jeune femme. L’auteur s’appuie sur la mosaïque d’Antioche (reproduite p. 86) ainsi que sur la lettre fictive d’Alciphron entre Ménandre et Glycère : il fait l’hypothèse qu’Alciphron se serait inspiré d’une pièce du dramaturge (voir l’introduction). Il introduit également le fragment donné par le P. Oxy. 2658, malheureusement en très mauvais état, qu’il place juste avant le P. Oxy. 211, au début de l’acte 5. En sus de ces introductions de fragments nouveaux, William Furley propose des variations ponctuelles : notons par exemple celle des vers 179–180 : le choix de ἤ vs ἦ donne un sens beaucoup plus satisfaisant à la fin de la réplique de Sosias qui a bien conscience que le soldat cherche des excuses pour le faire aller voir ce qui se passe chez lui et notamment ce que fait Glycère.

Le chapitre 3 consiste en une traduction nouvelle du texte grec dont nous ne pouvons que souligner l’excellence. Elle rend justice au texte par sa modernité et sa vivacité. A peine peut-on discuter certains points de traduction. Ainsi au vers 383, il traduit πράγματος ἀσελγοῦς par « it’s a bad business » ( contra Alain Blanchard « quelle impiété » et Mario Lamagna « che sfacciataggine »3), expression qui peut sembler un peu en dessous de l’expression grecque alors même qu’il souligne en commentaire la rareté du mot dans la comédie.

Le chapitre 4 offre un commentaire remarquable par sa pertinence, sa documentation et sa richesse. L’ensemble des aspects de la comédie sont mis en évidence à travers un commentaire linéaire, scène par scène, qui suit une introduction synthétique de chaque scène. Le commentaire a pour but d’expliquer les choix d’établissement du texte, mais aussi d’apporter des éclairages scéniques, dramatiques, sémantiques, littéraires etc. Toutes ces dimensions sont étudiées de façon fine par l’auteur, il utilise également un grand nombre de travaux antérieurs cités, parfois résumés, parfois enfin mis en perspective les uns avec les autres et critiqués. William Furley offre donc ici, très utilement, un état des lieux précis et critique de la recherche actuelle portant sur cette pièce (ou plus largement sur l’œuvre du dramaturge). Le commentaire a pour but d’éclairer chaque passage du texte, presque chaque mot : certains vers nécessitent en effet une explication (par exemple p. 143 pour les questions rhétoriques de Polémon, p. 172–173 sur le pardon de Glycère). Par ailleurs, l’auteur, comme attendu, clarifie certains usages sémantiques (par exemple συνεστηκώς, p. 146) et certaines connotations. Les suggestions portant sur la mise en scène du texte (les mouvements et gestes des personnages, leurs entrées et sorties) participent à la compréhension du texte dramatique. Tout aussi précieuses sont les indications évoquant le ton (notamment ironique, sarcastique) de certaines répliques (ainsi, p. 159 où est donné un exemple de la subtilité tonale ménandréenne qui peut susciter empathie et amusement en même temps). Enfin, le texte est éclairé par d’abondantes références à d’autres pièces de Ménandre comme à d’autres œuvres de la littérature grecque, ce qui met clairement en évidence l’important réseau intertextuel sur lequel est construite la comédie ménandréenne, comme l’est en général la littérature hellénistique. Soulignons pour finir que la lecture suivie de ce commentaire linéaire permet de cerner certains ‘faits ménandréens’ au-delà des études de détail : l’attention portée à la construction psychologique et éthique des personnages, l’emploi récurrent de l’ironie dramatique, la valorisation par Ménandre de certaines valeurs, par exemple le primat de la persuasion sur la violence, ou encore la coloration politique, subtile, de l’œuvre.

Pour finir, l’ouvrage propose trois index (mots grecs, mots anglais, et passages cités) ainsi qu’une très riche bibliographie.

Le livre est en lui-même un bel objet tout à fait agréable à lire. Notons quelques erreurs typographiques (ainsi, dans le sommaire, la bibliographie commence à la page 183 et non 191 ; p. 149, c’est au vers 718 et non 728 que se trouve le participe συμπεπεισμένος ; à la page 162, la citation en français est porteuse d’une faute d’accent (« évoquer ») et d’une faute d’orthographe « ces » au lieu du possessif « ses » ; dans la bibliographie, p. 191, deux points d’interrogation sont vraisemblablement une survivance du travail de relecture. Ces menues erreurs n’entravent pas bien entendu la lecture de l’ouvrage.

Tout comme l’édition des Epitrepontes, celle de la Perikeiromene ne peut que susciter une vive admiration et est destinée à rester un ouvrage de référence, tant pour les spécialistes de Ménandre et de la comédie grecque en raison de la haute scientificité de l’ouvrage, que pour les lecteurs moins avertis, en raison de la clarté et de la pédagogie qui le caractérisent.

Notes

1. William Furley adopte ici, pour sa présentation de la pièce, une perspective quelque peu différente de celle choisie par Alain Blanchard dans son édition à la CUF. Ce dernier met davantage en avant le pathétique masculin autour duquel serait construite la pièce. William Furley insiste quant à lui sur le personnage féminin de la pièce. Il s’appuie ce faisant également sur les autres pièces de Ménandre.

2. Blanchard, Alain (ed.), Ménandre. Tome II. Paris, 2013 ; Lamagna, Mario (ed.), La fanciulla tosata. Testo critico, introduzione, tradizione e commentario, Naples, 1994 ; Arnott, W. Geoffrey (ed.), Menander. Edited with an English Translation in three volumes. Vol. II., Cambridge, Mass., 1996.

3. P. 178 et p. 149.