BMCR 2016.04.35

Religious Identities in the Levant from Alexander to Muhammed: Continuity and Change. Contextualizing the sacred, 4

, , , Religious Identities in the Levant from Alexander to Muhammed: Continuity and Change. Contextualizing the sacred, 4. Turnhout: Brepols Publishers, 2015. xxxviii, 424. ISBN 9782503544458. €135.00 (pb).

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L’actualité montre à quel point les « identités religieuses » au Proche-Orient constituent un sujet important et complexe. C’est dans la longue durée qui va d’Alexandre au Prophète, en travaillant la tension entre tradition/continuité et innovation/changement, que le sujet est abordé dans ce volume, richement illustré par plus de 300 clichés dans le texte et 12 cartes ou plans. Il regroupe 27 contributions présentées à un Colloque qui s’est tenu en 2010 à l’Institut danois de Damas et un autre, à Münster, la même année, à l’initiative de l’ Exzellenzcluster « Religion und Politik ». La riche collection d’essais qui en est issue est précédée par une introduction thématique due aux trois éditeurs scientifiques, mais on regrettera que le volume ne comporte aucune conclusion ni bibliographie générale, ce qui est un peu dommage au regard de la grande diversité de sujets et terrains abordés. Heureusement, un index permet de se repérer aisément.

Le plan suivi est essentiellement géographique, avec cinq sections touchant à la Syrie septentrionale, le Désert et la Mésopotamie, la Syrie méridionale, la Palestine et l’Arabie, le tout précédé d’une section intitulée « General » où figurent les analyses transversales. On notera d’emblée que le devenir des royaumes/cités de Phénicie trouve malheureusement peu de place dans les exposés proposés, mais les travaux récents de Julien Aliquot et de l’auteur de cette recension peuvent servir à combler cette lacune relative. L’approche des thèmes traités se veut résolument interdisciplinaire, puisque archéologues, historiens, épigraphistes, spécialistes de l’histoire de l’art, des langues, des sociétés et des cultures, sans oublier les religions nécessairement au cœur des lectures proposées, dialoguent dans une dimension diachronique qui vise à s’interroger sur l’évolution des identités collectives ou individuelles telles qu’elles se manifestent dans les rites, dans l’architecture cultuelle, dans l’affichage de préférences religieuses… Dès l’introduction, les éditeurs soulignent le caractère flexible, fluide et ouvert des identités religieuses, mais ils se contentent, un peu rapidement, de noter (p. 2 n. 4) que « Identity is, however, an elusive term ». On aurait aimé que cette notion soit davantage problématisée en se référant par exemple à la réflexion approfondie conduite dans N. Belayche – S.C. Mimouni (éd.), Entre lignes de partage et territoires de passage. Les identités religieuses dans les mondes grec et romain « paganismes », « judaïsmes », « christianismes », Louvain, 2009, un ouvrage qui, étrangement, ne figure pas dans la bibliographie de l’introduction. C’est le caractère « connecté » des identités qui est mis en avant, même si « ‘connection’ is a vague term that must be specified » (p. 2). Il est ici reconduit aux notions de continuité et de changement que les éditeurs ne souhaitent pas opposer, mais articuler : « Perhaps we should rather speak of ‘the change of continuities or continuity of changes’, although this of course does not simplify the matter » (p. 3). L’objectif de la recherche en histoire n’est effectivement pas de simplifier et, sur le plan de cadrage conceptuel, l’Introduction du volume a un peu de mal, à mes yeux, à cerner les enjeux d’une thématique tellement ample qu’elle finit par englober tout. Car dès qu’un individu ou une entité collective pose un acte de culte, manifeste sa dévotion ou exprime un choix religieux, il est possible de parler d’« identité » sans que la portée heuristique de ce terme ne soit vraiment éclaircie. En insistant sur les variations, les éditeurs se tiennent justement à distance de toute approche essentialiste des identités, mais ils ne clarifient pas vraiment la portée de cette notion par rapport à d’autres termes comme « comportements », « usages », « choix »… La focale qui met en relation le binôme continuité-changement (dans les identités religieuses) avec le paramètre économique (p. 3) ou le paramètre politique (p. 3, 5) me semble stimulante, de même que l’interrogation sur l’intensité de ces phénomènes et leur « tolérabilité », ou encore sur leur rythme ou séquençage chronologique. Il y a donc des pistes suggestives dans l’Introduction, mais elles restent un peu générales ; par ailleurs, le recours aux concepts de « Hellenisation » et « Romanisation » sans guère de mise en discussion quant à leur adéquation par rapport aux données disponibles est quelque peu décevant.

Pour approfondir les enjeux d’ensemble de la problématique traitée, on lira avec profit l’essai initial de Maurice Sartre (« Les signes du changement : réalités et faux-semblants », p. 11-18), où il questionne astucieusement les indices linguistiques qui touchent à la représentation des dieux. Concernant la tension entre anthropomorphisme et aniconisme, je ne crois pas néanmoins que l’on puisse affirmer qu’Astarté et Eshmoun n’ont jamais été représentés de manière anthropomorphique [p. 12]. En revanche, le recours à la notion de « modernistation » ou de modernité pour questionner les transformations observées est un défi intéressant ; il permet d’analyser tout en finesse le jeu subtil des équivalences entre dieux (p. 15 ; mais je pense qu’il faut renoncer à qualifier Melqart de dieu-fils de la triade tyrienne, dans le sillage de Seyrig). Toutes les contributions de la première section montrent utilement la pluralité d’espaces et d’observatoires nécessaires pour tenter de saisir dans toute leur complexité et de comprendre, sans les simplifier précisément, les évolutions religieuses : le gymnase, le banquet, le sanctuaire, les associations, les lieux de la diaspora… De même, les pratiques de cohabitation et de partage, voire de conversion, donnent à voir des identités en interactions constantes, y compris, à l’époque romaine, dans la dimension des polémiques, des apologies ou pour le moins d’une vive dialectique qui implique à la fois le paganisme (ou « hellénisme »), le judaïsme, le christianisme et bientôt l’islam.

Les cinq sections géo-culturelles qui suivent sont l’occasion d’ouvrir divers dossiers locaux ou régionaux en Syrie, Palestine et Arabie, comme Dolichè, Antioche, Palmyre, Babylone, Hiérapolis, le Hauran, Gerash… pour ne citer que quelques exemples. Il est évidemment impossible de rendre compte ici dans le détail de l’apport de chacun des textes, tous d’un grand intérêt. Chaque cas donne en effet à voir des dynamiques fluides entre ce qui relève de la tradition et ce qui est neuf, sans que cela renvoie simplement à une division entre substrat et influences liées à un adstrat, ainsi que diverses échelles d’observation des identités, de l’individu à la communauté, en passant par divers groupes ou associations, des familles, des dynasties, depuis la conquête d’Alexandre et même avant, à l’époque achéménide jusqu’au seuil du Moyen Âge. Les très nombreux chantiers de fouilles qui parsemaient la Syrie (notamment) ont été pourvoyeurs de données riches et significatives, qui permettent, une fois de plus, de mesurer l’ampleur des dégâts récents en termes de patrimoine et de connaissance du passé. On voit se déployer, en Syrie comme en Mésopotamie, en Palestine comme en Arabie, des stratégies « identitaires » complexes en matière de dévotions, au sein desquelles la part de l’environnement, des usages, de l’attachement aux normes et traditions est sans cesse contrebalancée par la capacité d’intégration de la nouveauté, par le souci de distinction qui peut pousser à l’innovation ou par des conflictualités latentes ou ouvertes qui bousculent les habitudes et sollicitent la capacité (ou non) de résilience des sociétés concernées, qu’il s’agisse de l’irruption d’Alexandre ou de celle des Romains, de la montée des monothéismes ou encore des crises économiques.

Il ressort clairement de ce volume combien l’espace religieux peut favoriser les médiations – comme le suggère la notion de middle ground qui m’est chère – sans aplanir les différences et parfois même en les exaltant. Autour des cultes se nouent des enjeux liés à l’appartenance, à la solidarité ou à la singularité, parfois même à la survie d’un groupe, à fortiori si l’on aborde cette question dans la longue durée, comme c’est ici le cas. Si la notion d’identité se dissout un peu dans les analyses tant elle est englobante, le volume a le mérite de montrer qu’elle s’enracine tout autant dans la culture matérielle que dans les pratiques rituelles, qu’elle s’inscrit dans des territoires et des paysages, qu’elle forge des discours et véhicule une forte charge symbolique. Chaque contribution apporte un éclairage ponctuel intéressant et stimulant, car c’est bien dans chaque contexte singulier que les enjeux, les solutions, les obstacles apparaissent et donnent à voir la variété des ressources mises en œuvre par les communautés humaines pour se reconnaître et se faire connaître. La longue durée, en définitive, n’est peut-être pas le meilleur pari pour traiter de problématiques de ce genre ; elle donne certes de l’ampleur au volume, mais elle est finalement peu exploitée dans les diverses contributions. Le volume, très soigné et richement illustré, propose en définitive une série très appréciable de « case studies » qu’historiens et archéologues pourront mettre en résonance avec leurs propres terrains d’enquête, y compris au-delà de l’espace levantin. Il n’en reste pas moins que la notion d’identité, et plus spécifiquement d’identité religieuse, demeure à bien des égards problématique. On voudrait pouvoir s’en passer, mais peu de propositions alternatives ont émergé à ce jour.

Table of Contents

Introduction
Continuity and Change: Religious Identities in the Levant from Alexander to Muhammad — Michael Blömer, Achim Lichtenberger and Rubina Raja
I. General
Les signes du changement: réalités et faux-semblants — Maurice Sartre
‘Familiar Strangers’: Gods and Worshippers away from Home in the Roman Near East — Ted Kaizer
Gymnasia: Aspects of a Greek Institution in the Hellenistic and Roman Near East — Frank Daubner
The Assembly Rooms of Religious Groups in the Hellenistic and Roman Near East: A Comparative Study — Inge Nielsen
‘The God who is called IAO’: Judaism and Hellenistic Mystery Religions — Lester L. Grabbe
Conversion, Apologetic Argumentation and Polemic (amongst friends) in Second Century Syria: Theophilus’ Ad Autolycum — Jakob Engberg
Politicizing the Religious: Or How the Umayyads Co-opted Classical Iconography — Nasser Rabbat
II. Northern Syria
The Re-emergence of Iron Age Religious Iconography in Roman Syria — Guy Bunnens
Religious Continuity? The Evidence from Doliche — Michael Blömer
The Jebel Khalid Temple: Continuity and Change — Graeme Clarke
A Laodicean on Mount Casius — Julien Aliquot
Defining New Gods: the Daimones of Antiochus — Margherita Facella
Images of Priests in North Syria and beyond — Michael Blömer
Perduration, Continuity and Discontinuity in the Sanctuary of Atargatis in Hierapolis (Syria) — Alejandro Egea
The Transformation of a Saintly Paradigm: Simeon the Elder and the Legacy of Stylitism — Volker Menze
III. The Desert and Mesopotamia
Babylon in achaemenidischer und hellenistischer Zeit: Eine Stellungnahme zur aktuellen Forschungsdiskussion — Wolfgang Messerschmidt
Bel of Palmyra — Michal Gawlikowski
Cult Images in Cities of the Syrian-Mesopotamian Desertduring the First Three Centuries CE:Continuity and Change — Lucinda Dirven
St. Sergios in Resafa: Worshipped by Christians and Muslims Alike — Dorothée Sack
IV. Southern Syria
Continuity and Change of Religious Life in Southern Syria during the Hellenstic and Roman Periods — Klaus Stefan Freyberger
Nouveaux dieux et dieux nouveaux dans le Hauran (Syrie du sud) à l’époque romaine — Annie Sartre-Fauriat
New archaeological research at the sanctuary of Sî‘ in southern Syria: the Graeco-Roman divinities invite themselves to Baalshamîn — Jacqueline Dentzer-Feydy
V. Palestine
The Hellenistic-Roman Sanctuary at et-Tell (Bethsaida) and the Question of Tradition in the Layout of the Holy Place — Ilona Skupinska-Løvset
More on the Intentionally Broken Discus Lamps from Roman Palestine: Mutilation and its Symbolic Meaning — Oren Tal and Marcio Texeira Bastos
VI. Arabia
From Nabataea to the Province of Arabia: Changing Religious Identities and the Cults of Dushara — Peter Alpass
‘Romanization’ through Coins: The Case of Provincia Arabia — Cristina M. Acqua
The Last Phases of the Cathedral Church of Jerash — Beat Brenk