BMCR 2016.04.23

Climate and Ancient Societies

, , , Climate and Ancient Societies. Copenhagen: Museum Tusculanum Press, University of Copenhagen, 2015. 352. ISBN 9788763541992. $52.00.

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Ce volume se propose d’éclairer les rapports entre le climat et l’histoire des sociétés antiques. Issu d’une journée d’études en mémoire de Stine Rossel (1975-2007), jeune zooarchéologue prématurément disparue, il s’ouvre sur l’évocation émue de sa biographie et de ses travaux, en particulier en Égypte, par Richard H. Meadow. Présentant les enjeux de l’ouvrage, Rachael J. Dann choisit un titre volontairement provocateur : « Can Archaeology Save the World ? » afin de souligner l’actualité du sujet. Elle retrace aussi la place de l’environnement dans l’histoire de la discipline, interroge son rapport aux sciences de la vie et de la terre, sa place dans la société. La voie est étroite, et parfois dure à tracer entre le besoin de répondre à des demandes sociales et celui de rester rigoureux dans les démarches scientifiques, de ne pas sacrifier leur spécificité. C’est par leur méthodologie et par leur regard sur la longue durée que les archéologues peuvent le mieux contribuer à répondre aux défis climatiques modernes.

Quinze articles suivent, répartis en quatre parties. Par-delà leur diversité, l’ouvrage témoigne d’un consensus : face aux variations climatiques les réponses humaines des sociétés passées étaient complexes et non linéaires. Toutefois l’environnement est un vrai facteur historique : l’étude des sociétés antiques ne peut se passer de sa connaissance, les actions humaines doivent être replacées dans leur contexte écosystémique. Les articles se retrouvent dans un refus général du déterminisme, dans une insistance sur les variabilités géographiques et sociales. Les méthodes sont toutes attentives aux niveaux d’échelles. Le volume met globalement en avant la nécessité de la démarche comparative, l’importance de considérer la perception de l’environnement par les acteurs historiques, ainsi que les rapports à l’environnement des enjeux sociaux et culturels. La question de l’effondrement (« collapse »), en particulier à travers les cas de l’âge du bronze, est récurrente. Elle paraît l’incarnation la plus visible de la réaction au changement climatique, signe sans doute de nos inquiétudes contemporaines, de l’expression de demandes sociales, mais aussi des difficultés que nous avons à percevoir des changements plus positifs ou même plus mesurés. Le volume rassemble des sujets divers couvrant un domaine chronologique et géographique particulièrement varié et étendu. Il reste toutefois centré sur le Proche-Orient aux périodes pré-classiques, s’intéressant notamment aux zones marginales et aux écotones. S’il ne couvre pas tout le champ que le titre aurait pu laisser espérer, l’orientation méthodologique de beaucoup des contributions en rend la lecture profitable même pour qui ne s’intéresse pas directement aux régions et aux périodes concernées. On trouvera donc dans cet ouvrage des points de comparaisons nombreux et surtout des réflexions méthodologiques stimulantes largement transposables au monde « classique ».

La première partie, « Holocene Climate Reconstruction », s’ouvre par un bref article de Roberts sur les changements climatiques et leurs conséquences archéologiques, en particulier dans le bassin oriental de la Méditerranée. Différents proxys sont rapidement passés en revue afin d’examiner, d’un point de vue méthodologique, la question de la mise en évidence des relations de cause et d’effet entre le climat et les cultures archéologiques. Roberts insiste sur la nécessité d’être attentif aux échelles, temporelles ou spatiales, et de ne pas répondre à un problème posé à une échelle par des éléments relevant d’une autre. Sa conclusion rejette les deux positions naïves, celle d’un déterminisme climatique qui expliquerait tout, comme celle d’un déni de tout rôle des variations climatiques dans l’histoire passée des sociétés humaines. Les réponses des sociétés passées au stress environnemental, ou aux opportunités, dépendaient de contraintes humaines multiples : culturelles, économiques, sociales, politiques.

Sørensen et Casati dressent le bilan des établissements de chasseurs-cueilleurs de Bornholm (Danemark) entre la fin du Paléolithique et le Mésolithique, lors des profonds changements environnementaux liés aux cycles glaciaires. La fin du Boréal où s’établit l’insularité de Bornholm voit ces communautés décliner. Le changement environnemental affectait aussi les conditions des interactions sociales des groupes humains, la zone devenait marginale.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux réponses apportées par les sociétés complexes aux variations climatiques. Dans un article justement nuancé Ur compare trois sites urbains de Mésopotamie du Nord au troisième millénaire avant notre ère. Il expose la diversité des réactions des sociétés et insiste pour qu’elles soient considérées à l’échelle des acteurs humains qui prirent les décisions. Comprendre les réponses sociales au changement environnemental suppose d’abord de ressaisir la perception de ce changement par les acteurs du passé. De même il interroge le concept d’effondrement (« collapse ») et ses ambiguïtés. La complexification d’une société peut améliorer sa capacité de réponse, mais inversement elle peut aussi parfois diminuer sa résilience et la rendre vulnérable à un changement environnemental somme toute ordinaire : les causes sont donc autant sociales qu’environnementales. Développant l’exemple du changement climatique placé vers 2200 BC, dont les conséquences sur les sociétés de l’Orient ancien sont discutées depuis un peu plus de vingt ans désormais, et dont la nature et le rythme même restent aussi très débattus, Ur se concentre sur les sites d’Hamoukar, Tell Brak et Tell Leilan qui témoignent de destins très différents : l’ampleur de l’événement 4,2ka a été vraisemblablement surestimée. La raison de ces différents destins repose en grande partie dans les différentes techniques agraires de ces populations, techniques dont l’adoption pouvait être indépendante du changement climatique. On ne doit pas croire pour autant que l’histoire globale de la région ne s’est pas ressentie des changements climatiques du troisième millénaire, mais la réponse des sociétés humaines a été non-linéaire et très hétérogène.

L’article suivant (Akkermans et al.) présente les prémices d’un projet visant à éclairer, grâce au site exceptionnel de Tell Sabi Abyad (Syrie), l’impact du « 8.2 event » (changement climatique observé vers 6200 avant notre ère) sur les sociétés du néolithique.

Biehl se confronte au même problème à partir du fameux site de Çatalhöyük en Anatolie centrale et d’un bilan à l’échelle de la Méditerranée orientale. Des changements sociaux, économiques et symboliques rapides semblent bien attestés à Çatalhöyük aussi, même si les questions restent nombreuses.

Ertsen et Kapteijn confrontent hydrologie et problématiques sociales à partir du cas de l’irrigation dans le bassin de la Zerqa (Jordanie). Par une démarche comparative entre plusieurs époques, présentant chacune un type d’irrigation et de culture particulier, ils montrent l’importance des enjeux sociaux : le contexte politique et économique est alors plus déterminant que le climat.

Kaniewski et alii envisagent le rôle du climat dans les difficultés de la fin de l’âge du bronze au Levant : le lecteur retrouvant une période présentée comme un moment d’effondrement (Late Bronze Age Collapse). La perspective adoptée est aussi celle d’un site test, Gibala-Tell Tweini, dans le royaume d’Ugarit. Détruit sans doute par les peuples de la mer vers 1190 av. n. è. le site est réoccupé au tout début de l’âge du fer. Il y eut donc sans doute une continuité d’occupation mais la prospérité passée fut longue à revenir. Aridification et sécheresses récurrentes jusque vers 825 av. n. è. coïncident avec les troubles de la période. Si ce changement semble avoir pu initialement causer l’effondrement, les populations de l’âge du fer à Gibala furent ensuite cependant capables de répondre à la nouvelle situation climatique.

Bárta présente le cas du déclin de l’Ancien Royaume égyptien vers 2200 av. n.è. Son effondrement est vu comme un processus de longue durée déclenché par des crises internes où le climat eu un rôle déterminant. Le recoupement de sources variées semble mettre en évidence une détérioration climatique plus précoce que ce que l’on envisageait, cette aridification accompagna deux siècles durant le déclin du royaume et l’érosion graduelle du pouvoir central.

La troisième partie intitulée « Archaeological Evidence for Pollution and its Ecological Implications » rassemble des contributions très diverses sans grande unité. Chaix et Honegger étudient la domestication du bétail et le pastoralisme dans la région de Kerma (nord du Soudan). La diffusion rapide de l’économie pastorale semble correspondre à un moment de changement climatique. La synthèse reste difficile et les hypothèses fragiles : entre la rédaction et la publication, une des hypothèses, avancée au demeurant avec toutes les réserves possibles, à propos du site de Nabta Playa s’est vue infirmée. Les sujets traités n’invitent pas aux affirmations péremptoires, et il importe dans ces domaines de prendre conscience des lacunes de nos données et de la jeunesse du champ scientifique.

La domestication est aussi au cœur de l’article de Arbuckle qui ne traite que très marginalement du climat. Il revient, de manière stimulante, sur l’hypothèse courante qui lie domestication et épuisement des ressources en gros gibier. Les données disponibles montrent qu’un tel schéma n’est pas soutenu par les faits en dehors du cas particulier du Levant. La domestication ne s’explique pas uniquement en terme économique de disponibilités du gibier. En conséquence, il faut comparer les dividendes en termes économiques mais aussi sociaux de la chasse et de l’élevage. Les rapports possibles à un environnement donné et à son évolution sont multiples.

À partir du cas d’un squelette d’adolescent possiblement victime de lathyrisme à Bouqras, Merrett et Meiklejohn soulèvent la question de l’impact des variations climatiques sur la santé des populations dans les environnements marginaux où faire reposer son alimentation sur des plantes cultivées exposait, en cas de sécheresse, à des vulnérabilités nouvelles comme l’effet neurotoxique des nourritures de famine (pois carrés ou gesse commune). L’adaptation à une aridité croissante n’était pas sans contraintes fortes pour les sociétés antiques.

Wright et Makarewicz analysent les pratiques pastorales durables en Asie centrale. Les mouvements des pasteurs sont déterminés de manière complexe par l’état de la pâture, la perception de cette dernière par le pasteur, en fonction de son expertise, mais aussi par son réseau social. Adoptant une perspective de temps long, ils approchent les réseaux des nomades à partir des céramiques. L’âge du Bronze montre des réseaux moins étendus : le pastoralisme retrouve une histoire et n’est pas une forme figée et aboutie dès son apparition. La réponse aux crises environnementales émerge de nombreuses décisions de court-terme prises par des individus et affectées par de nombreux facteurs, la prise en compte du risque se fait à travers un réseau social local.

La dernière partie rassemble des analyses isotopiques. S’appuyant sur plusieurs exemples, Riehl s’intéresse au caractère parfois non-soutenable des pratiques agraires anciennes dans un but méthodologique clair : sortir des interprétations déterministes pour accepter un raisonnement en termes de « variability principle », de processus multicausal. La diversité régionale des systèmes agraires passés impose une intégration croissante des données archéologiques et environnementales, des études locales nombreuses. Seules des démarches multidisciplinaires permettent alors de multiplier les approches et les explications. Les changements climatiques s’expriment différemment selon les régions, les actions humaines elles-mêmes s’étendent sur un vaste spectre qui dépend des perceptions des conséquences du changement : la recherche d’une cause unique au destin des sociétés antiques est illusoire.

Fiorentino et Caracuta estiment le stress hydrique sur la végétation des sites d’Ebla et Qatna, en Syrie au troisième millénaire avant notre ère, à partir d’analyses des isotopes du carbone par spectrométrie de masse par accélérateur. Les résultats obtenus à partir de ce proxy sont mis en regard des évolutions des sociétés humaines. Une différence nette apparaît entre les deux sites. Si l’histoire d’Ebla semble corrélée de près aux fluctuations environnementales, Qatna semble avoir fait preuve de plus d’adaptabilité et s’être montrée plus résiliente.

Frei présente, à partir du cas des trouvailles du site d’Huldremose au Danemark (âge du fer pré-romain) une nouvelle méthode pour étudier les provenances des textiles anciens à partir des isotopes du strontium. Malgré son intérêt l’article est très éloigné du sujet général de l’ouvrage.

Illustré par de nombreux schémas, cartes et graphiques l’ouvrage est particulièrement bien produit pour un prix raisonnable. Il représente une contribution bienvenue dans un champ scientifique récent en développement constant.