BMCR 2016.02.36

Suetonius: Life of Augustus/ Vita divi Augusti. Clarendon ancient history series

, Suetonius: Life of Augustus/ Vita divi Augusti. Clarendon ancient history series. Oxford; New York: Oxford University Press, 2014. x, 603. ISBN 9780199686469. £35.00 (pb).

Preview

Vingt ans après l’excellent commentaire qu’il consacra à la Vie de Caligula,1 D. Wardle livre aujourd’hui le fruit d’un travail de dix ans, portant sur la plus longue des Vitae suétoniennes, laquelle a déjà donné lieu à deux commentaires dans les quatre dernières décennies.2

L’un des objectifs de Wardle était de faire ressortir la cohérence du projet du biographe, au lieu d’envisager la Vie d’Auguste comme un assemblage d’informations liées les unes aux autres de façon plus ou moins arbitraire (p. v; 32). Ce but affiché dans l’introduction sera pleinement atteint dans le commentaire, comme nous le verrons. Mais revenons d’abord à l’introduction.

Elle passe en revue les différentes hypothèses formulées sur la date de publication des Vitae et montre la fragilité de plusieurs d’entre elles; le caractère novateur des Vitae est défendu. L’étude de la composition de la Vie d’Auguste souligne le soin et l’attention qu’a déployés ici l’historien. En ce qui concerne l’étude des sources, Wardle estime que Suétone dépend d’une tradition annalistique derrière laquelle il serait vain de prétendre déterminer des auteurs précis. Les historiens qu’il cite nommément, en revanche, ont eu une importance secondaire. Le recours aux acta Vrbis et aux acta senatus demeure lui aussi marginal pour la Vie d’Auguste. Les déclarations de Marc-Antoine sont souvent citées, mais Suétone laisse voir à son lecteur qu’il prend ses distances avec les assertions venimeuses du triumvir. Suétone a usé du De uita sua d’Auguste et des Res gestae en étant bien conscient de leur valeur apologétique, mais il ne conteste pas la véracité de l’une ou l’autre de ces œuvres. Les lettres d’Auguste sont bien citées de première main, comme l’affirme le biographe. Les propos rapportés verbatim sont loin d’être à la gloire du jeune Octavien; ils révèlent à l’inverse la sagesse et l’humanité de l’empereur plus âgé. Bref, Suétone a su largement dépasser et enrichir les sources annalistiques, en consultant des écrits obscurs ou polémiques de la période triumvirale, ainsi que des archives.

Les pages consacrées à la tendance suétonienne à la généralisation à partir de faits isolés, à la chronologie ainsi qu’aux rapports entre le contenu de la Vie d’Auguste et les autres biographies se recommandent par leur pondération et leur netteté. Suétone veut donner une image d’Auguste cohérente et largement positive. Pour cela, il n’oppose pas, comme Cassius Dion, le sanglant triumvir à l’empereur clément; il ne passe pas non plus sous silence ses actes les moins reluisants et préfère user de divers procédés rhétoriques, comme celui consistant à présenter d’abord les épisodes sombres, puis à les effacer derrière une masse de faits plus favorables.

La traduction se fonde sur le texte de Ihm ( Bibliotheca Teubneriana, 1907), modifié en plusieurs endroits, de façon généralement plausible et toujours argumentée. Dans la mesure où le texte latin n’est pas reproduit, il aurait cependant été utile de signaler systématiquement les changements, soit dans la traduction même, à l’aide d’un astérisque par exemple, soit dans un tableau récapitulatif. Il nous est difficile de juger de la valeur d’une traduction dans une langue qui nous est étrangère: dans l’ensemble, Wardle a réussi à conserver certaines caractéristiques du style de Suétone (notamment une certaine lourdeur) tout en produisant une version claire et coulante. Seules sont à déplorer de très rares omissions ou inexactitudes3; inévitablement, plusieurs choix prêtent aussi à discussion.4

Le commentaire compte presque 500 pages et laisse délibérément de côté les aspects strictement linguistiques et littéraires: c’est dire sa richesse historique, d’autant qu’il ne se perd jamais dans des digressions peu utiles pour l’exégèse du texte même, comme avait tendance à le faire Louis.5 Il a l’intérêt de citer systématiquement les autres témoignages existants (Appien, Cassius Dion, Tacite, etc.), même s’il ne le fait qu’en traduction. Il s’appuie sur une bibliographie très vaste: les travaux cités aux p. 567-591 ne représentent qu’une fraction de ceux qui sont mentionnés tout au long du commentaire. Contrairement à certains de ses confrères anglo-saxons, Wardle a le mérite de recourir à des contributions issues du continent et à des recherches anciennes, mais non moins valables pour autant. Cette érudition ne signifie nullement que Wardle se soit ici contenté d’une compilation: le commentaire reflète une vision cohérente et unifiée de Suétone, reprenant les données de l’introduction (cf. par ex. p. 34 et p. 117-118, à propos de l’ordre adopté dans le chap. 9), ce qui transparaît notamment dans la présentation liminaire de chaque chapitre, offrant une utile mise en perspective. Il défend aussi plusieurs interprétations nouvelles ou marginales jusqu’à présent (par ex. 1.1: sens de semicruda exta rapta foco prosecuit; 19.1: sens de ad extremum; 27.5: semel atque iterum est compris comme signifiant “de façon répétée” plutôt que “à deux reprises”; 38.3: sens de recognitio et de transvectio; 72.2: nature de la référence à “Syracuse”). L’attention portée à l’influence de l’époque de rédaction (sous Hadrien) est un des points forts du commentaire (notamment p. 262; 292; 309; 322-323; 351; 378; 409; 431; 486; 542, etc.), mais Wardle ne la surestime jamais (cf. e.g. p. 472). Les nombreux tableaux récapitulatifs seront eux aussi très utiles au lecteur.

Les derniers chapitres semblent parfois examinés plus rapidement que les premiers, sans doute parce que nombre d’éléments n’ont plus besoin d’être expliqués une nouvelle fois, mais certains points auraient malgré tout mérité un commentaire (par ex. 81.1: sens de contrariam rationem medendi : traitement “inhabituel” [Rolfe, Edwards, suivis par Wardle] ou référence à la thérapeutique des contraires [Ailloud, Louis]?).

L’acribie de l’auteur et des presses universitaires d’Oxford est à saluer, car nous n’avons détecté qu’un nombre infime de coquilles,6 sauf dans les références à des auteurs et à des travaux français ou italiens, assez souvent mal orthographiés.

En définitive, voilà un ouvrage en tous points remarquables, qui constitue de loin le meilleur commentaire de la Vie d’Auguste à ce jour. Tous les spécialistes de la période auront intérêt à le consulter, souvent même indépendamment des seuls cas où ils souhaiteraient vérifier la pertinence d’une assertion de Suétone.

Notes

1. Suetonius’ Life of Caligula . A Commentary (Bruxelles, 1994).

2. J.M. Carter, Suetonius: Divus Augustus (Bristol, 1982); N. Louis, Commentaire historique et traduction du Divus Augustus de Suétone (Bruxelles, 2010) – ouvrage recensé par Wardle lui-même (BMCR 2011.11.12).

3. 62.1: Claudiam n’est pas traduit; 72.3: membra praegrandia = “the massive bones” (la traduction correcte est donnée dans le commentaire: “the massive parts ”); 75: rutabula n’est pas rendu dans la traduction (mais l’est dans le commentaire).

4. 34.1: rendre de maritandis ordinibus par “the Orders’ obligation to marry” relève d’une surtraduction; 37.1: plures est vague; il n’était donc pas nécessaire de préciser dans la traduction: “more senators ”; 50: datae est rendu par “written”, mais le sens de “remises” paraît mieux convenir ici; 67.1: maximo porte sans doute à la fois sur honore et sur usu; 72.3: praetoria est bien traduit par “residences”, mais le lemme du commentaire ajoute “official residences”, ce qui paraît peu adéquat s’agissant des propriétés de sa petite-fille; 94.4: lego (traduit par “I have read”) pouvait se garder au présent.

5. Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre compte rendu de cet ouvrage, paru dans REA 115(1), 2013, p. 240-242.

6. p. 230: lire “description” au lieu de “descripion”; p. 289 : lire “ variarum ” au lieu de “ variorum ”.