BMCR 2016.02.04

Hymnic Narrative and the Narratology of Greek Hymns. Mnemosyne, supplements. Monographs on Greek and Latin language and literature, 384

, , Hymnic Narrative and the Narratology of Greek Hymns. Mnemosyne, supplements. Monographs on Greek and Latin language and literature, 384. Leiden; Boston: Brill, 2015. x, 298. ISBN 9789004288133. $142.00.

With notices regarding I. J. F. de Jong, R. Nünlist, A. Bowie (edd.), Narrators, Narratees, and Narratives in Ancient Greek Literature. Studies in Ancient Greek Narrative, vol. 1, Leiden; Boston: Brill, 2004 ; I. J. F. de Jong & R. Nünlist (edd.), Time in Ancient Greek Literature. Studies in Ancient Greek Narrative, vol. 2, Leiden; Boston: Brill, 2007; and I. J. F. de Jong (ed.), Space in Ancient Greek Literature. Studies in Ancient Greek Narrative, vol. 3, Leiden; Boston: Brill, 2012.

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Cela a été reconnu depuis désormais plus d’un siècle : des Hymnes homériques aux hymnes de culte en passant par les hymnes de Callimaque, les formes hymniques grecques présentent une forte dimension narrative. Dans la structure tripartite qu’en général elles assument, entre invocatio (ou evocatio pour les Hymnes homériques) et preces, l’ epica laus prend volontiers la tournure d’un récit plus ou moins développé. Dans son Agnostos theos publié en 1913, Eduard Norden avait largement reconnu que la partie narrative des hymnes était régulièrement introduite par un relatif de prédication « hymnique » ; l’usage de ce pronom relatif opère un passage du « Du »-Stil, marquant l’invocation de la divinité chantée, au « Er »-Stil qui est en général celui du récit.1

Dans l’introduction qu’ils offrent pour ouvrir une collection d’études consacrées à la dimension narrative de différentes formes hymniques grecques (des Hymnes homériques aux Hymnes orphiques en passant par les hymnes de Callimaque, d’Aelius Aristide ou de Proclus, les hymnes « épigraphiques » tels ceux de Philodamos, de Liménios ou de Mésomédès et les hymnes offerts par les papyrus magiques), Andrew Faulkner et Owen Hodkison se réfèrent à la « narratologie ». Or, en ce qui concerne les textes grecs antiques, qui dit narratologie dit pratiquement référence au seul modèle proposé et suivi depuis bientôt trente ans par Irene de Jong à la suite de Mieke Bal. Cette approche narratologique restreinte est fondée sur quelques distinctions naguère proposées par Gérard Genette. Fortement marquée par le structuralisme, cette perspective de narratologie technique est sensible d’une part aux différents niveaux narratifs de la diégèse en relation avec la position du narrateur et à leurs interférences (par « métalepses » interposées), de l’autre à la question du point de vue, revisitée selon les différentes modes narratifs de la focalisation : qui parle, qui voit ?2

En ce qui concerne les modes narratifs en Grèce ancienne, l’identification des relations de focalisation entre narrateur et héros été transformée en une analyse plus pauvre de la focalisation par le narrateur ou par le héros, protagoniste de l’action narrative. En revanche la combinaison des distinctions de type structural entre « extra- » et « intradiégétique » ainsi qu’entre « hétéro- » et « homodiégétique » a connu un succès heuristique plus marqué quant à l’identification des instances narratives.3 Genette lui-même en a illustré la fécondité opératoire dans son analyse des positions du narrateur notamment dans les récits d’Ulysse, intégrés qu’ils sont à la conduite narrative de l’ Odyssée.4 Cette perspective laisse néanmoins de côté aussibien la syntaxe du récit dans la construction d’une intrigue avec sa tension (qui renvoie à la question de la réception de la narration) que la sémantique de ce récit dans l’organisation des registres sémantiques (« isotopies ») qui en soutiennent le développement et qui lui donnent sens.5 Et surtout elle élude la question de l’énonciation et par conséquent de la pragmatique de toute forme de discours. Les questions narratologiques conduisant à l’interprétation sont ainsi esquivées.

Dans le domaine de l’Antiquité grecque, on s’est donc en général contenté de reprendre à Genette un apparat technique de narratologie très structurale pour l’appliquer de manière assez mécanique à différentes formes de discours narratif : (poèmes épiques, tragédies, romans, etc.). Dans cette mesure est ignorée en particulier l’articulation pourtant essentielle entre la narration (l’ « histoire » ou le « récit », marqué par les formes du il/elle, du passé, du là-bas) et l’énonciation (le « discours », distingué par l’usage des formes du je/tu, du maintenant et de l’ici, pour reprendre les catégories opératoires proposées par Emile Benveniste). Et qui dit marques linguistiques de l’énonciation et stratégies énonciatives pour porter la narration dit aussi pragmatique : pragmatique d’un discours narratif qui, par l’intermédiaire énonciatif et par les procédures de la deixis, renvoie aux circonstances de son énonciation, de sa communication, de sa performance.

Il est significatif que dans les trois volumes collectifs de la série Studies in Ancient Greek Narrative, on ait pu dissocier la figure du narrateur de celle du temps, puis de celle de l’espace de la narration et du récit lui-même.6 Dans ces différentes études rare est la prise en compte des nombreuses procédures d’intervention énonciative qu’offrent les différentes formes narratives grecques. Ces essais techniques d’intérêt herméneutique souvent assez limité débouchent rarement sur la question interprétative de la relation que les stratégies énonciatives propres à toute forme de discours établissent entre le monde du texte et le monde institutionnel et culturel de référence.7 Par bonheur, les éditeurs de Hymnic Narrative and the Narratology of Greek Hymns prennent quelque distance (p. 4) à l’égard d’un modèle narratologique aussi structural que limité. Ils reconnaissent par exemple la complexité de la voix narrative dans les hymnes composés par Callimaque ; ils relèvent aussi dans les Hymnes Orphiques la substitution à la partie narrative attendue de chaînes d’épiclèses et d’épithètes, probablement organisées selon une logique rituelle. Dans les formes hymniques grecques en général, la partie centrale (identifiée comme epica pars ou laus) mêle souvent à la narration des modules d’ordre descriptif ; ils rompent la distinction temporelle entre passé et présent, de même d’ailleurs que le récit peut se déployer en « Du »-Stil, conférant ainsi au « mythe » une efficacité d’ordre discursif et pragmatique.

On trouve la même distance dans les différentes contributions qui composent un volume collectif sans doute hétérogène quant à l’approche narratologique, mais qui est très riche du point de vue des procédures identifiées ; ces procédures ne sont pas uniquement narratives, mais en général d’ordre discursif.

A commencer par l’étude de Nicholas Richardson, l’auteur d’un exemplaire et irremplaçable commentaire de l` Hymne homérique à Déméter (Oxford 1974). L’étude porte sur la structure narrative des Hymnes homériques les plus développés. Avec la remarque décisive que le début de la partie centrale de ces compositions est souvent attributive avant de devenir narrative, avec un jeu subtil en temps présent et passé. C’est ainsi que ces compositions hymniques peuvent être considérés comme des offrandes (musicales) à la divinité chantée, dans la variété de leur forme dramatique et narrative. Dans l’étude offerte par Andrew Faulkner, l’examen des discours directs attribués aux protagonistes divins dans les parties narratives des mêmes Hymnes homériques longs conduit au constat que ce sont les divinités subordonnées à Zeus qui s’expriment volontiers en discours direct alors que le maître des dieux olympiens agit souvent comme arbitre dans leurs conflits. On peut se demander quel est l’effet pragmatique d’interventions qui évoquent celles de la divinité intervenant ex machina au terme de nombreuses tragédies attiques.

Pour les six compositions hymniques que nous devons à Callimaque, Susan A. Stephens centre son étude «narratologique » non pas sur la question de narration (par exemple le rapport entre erzâhlte Zeit et Erzählzeit), mais sur le problème des différents narrateurs mis en scène dans ces hymnes. Le recours aux catégories structurales mises en place par Genette (narrateur hétéro- ou homo-diégétique et narrateur extra- et intra-diégétique) conduit à la conclusion assez plate de la multiplicité et de l’ambiguïté des voix « narratives » dans les hymnes de Callimaque. La relation avec l’auteur historique est à peine évoquée. Dans cette mesure, le problème aigu de la pragmatique de compositions qui souvent créent en leur sein une situation de communication est éludée, si ce n’est par une allusion plutôt énigmatique (à p. 68) à des hymnes « not written for a single cultic ritual (ce qui est évident …) but to transform the nowness of a necessarly transient event ».

Pour le seul hymne callimachéen du Bain de Pallas la contribution d’Athanassios Vergados revient à la question de la narration. Il choisit en effet de comparer la scène de la rencontre (narrative) de Pallas et de Tirésias (vers 70-74) avec celle qui, en ouverture à la Théogonie, représente sur le mode énonciatif l’inspiration du poète Hésiode par les Muses de l’Hélicon (dans une scène qui aurait elle-même inspiré Callimaque…). Ce récit nous reconduit donc à la question du narrateur et de l’énonciation. La question se pose de savoir comment un narrateur masculin peut raconter un « mythe » qui n’est pas le sien et dont seule une femme pourrait être le témoin oculaire. L’ambivalence de genre de la voix narrative de l’hymne se retrouverait dans la figure d’Athéna. Avec quelle pragmatique ?

Avec Ewen L. Bowie, nous abordons les hymnes de culte dont le texte nous est connu par leur inscription sur des stèles dédiées dans un sanctuaire. La comparaison différentielle porte sur trois chants : d’une part les deux péans bien connus de Philodamos et de Limenius, tous deux présentés énonciativement pour une performance musicale à Delphes dans un texte a été effectivement consacré dans le sanctuaire d’Apollon Pythien ; d’autre part l’hymne mélique de Philicus, prêtre de Dionysos sous Ptolémée Philadelphe et auteur de tragédies. Du point de vue du temps et surtout de l’espace racontés, ce dernier hymne diffère des deux premiers en ce que sa partie narrative est centrée sur le dème attique de Prospalta en rapport probable avec un culte rendu à Déméter et Perséphone. Il apparaît en fait que ces trois compositions sont difficilement comparables non seulement en raison de leur appartenance générique différenciée (péan vs hymne), mais aussi par leur portée panhellénique d’un côté, très locale de l’autre. La relation du récit (hymnique ou non) et de sa forme poétique avec les formes et circonstances d’énonciation est à nouveau esquivée.

L’étude des hymnes de culte se poursuit avec le chapitre que William D. Furley consacre à un hymne hexamétrique tardif, transmis par un texte papyrologique qu’il a soumis à un nouvel examen et réédité récemment ( ZPE 162, 2007 : 63-84). Narrative comme attendu, la partie centrale de l’hymne raconte la folie de Lycurgue qui, hostile au dieu Dionysos, est entraîné à la mort et à la punition dans l’Hadès après qu’il a massacré ses propres fils. Selon des indications marginales, ce récit hymnique était destiné à une performance à l’occasion d’une célébration cultuelle, d’ordre initiatique. Dans la narration, plusieurs marqueurs linguistiques, parmi lesquels des gestes de deixis verbale dans les vers finals, revient à ce qui pourrait être« a kind of script for initiation » (p. 133). La conclusion interprétative attendue n’en est néanmoins pas tirée.

Le chapitre qu’opportunément Owen Hodkinson consacre aux « hymnes » en prose d’Aelius Aristide est biaisé d’une part en raison d’une conception substantialiste des genres discursifs, d’autre part par une définition de la structure de base de l’hymne inutilement développée en cinq parties au lieu des trois étapes constituantes habituellement reconnues ( invocatio/evocatio, epica pars /argument, preces /demande : cf. Brumbaugh, p. 169 !). Non seulement en définissant la partie finale comme « epilogue/farewell », O. H. en efface la pragmatique (prière à une divinité dans un jeu de do ut des) ; mais dans sa comparaison avec la structure très générale attribuée à l’oraison (qu’il fait passer de quatre parties (p. 142) à trois (p. 144) !), il réduit de fait la structure de l’hymne aux trois composants très formels de « Proem », « Narrative » et « Epilogue ». Le flou régnant par ailleurs sur la distinction peu opératoire entre « covert narrator » et « overt narrator » (avec sa « personnalité » ! p. 153, p. 159) force O. H. à reconnaître enfin derrière ces figures de langage une « authorial person » (p. 162). Mais aucune conclusion n’est tirée de cette distinction pourtant essentielle entre la figure du narrateur (intra-linguistique) et la personne (extra-linguistique) de l’auteur avec sa réalité psycho-sociale. Ce décalage est en général ignoré de tous les adeptes du modèle « narratologique » emprunté à Irene de Jong.

En contraste, l’étude que Michael Brumbaugh consacre aux hymnes méliques de Mésomédès, un citharode proche de l’empereur Hadrien. Sur la base d’une définition non pas structurale mais fonctionnelle de l’hymne, l’enquête porte sur deux proèmes et, parmi cinq poèmes qui offrent la forme de l’hymne, sur deux compositions adressées respectivement à Hélios et à la Mer Adriatique. La partie narrative ou descriptive apparaît comme intégrée à la relation entre le narrateur- je et son destinataire- tu, avec comme conséquence l’effacement de la distinction entre narration et « cadre hymnique » (p. 181), c’est-à-dire le cadre énonciatif. A l’écart du paradigme narratologique structural désormais de rigueur dans l’approche des différentes formes grecques de discours, une relation opportune est tirée en conclusion entre la reformulation de la forme hymnique dans le sens de la poésie d’éloge et l’idéologie impériale d’Hadrien. Ainsi l’analyse formelle débouche enfin sur une question d’ordre interprétatif.

A propos des sept hymnes à nous être parvenus dans l’abondante production du néo-platonicien Proclus, Nicola Devlin focalise à son tour son attention sur la partie centrale de ces compositions, entre « invocation » et « prayer » ; une partie centrale dite « narrative » qui, selon l’utile distinction proposée par Richard Janko, peut être non seulement narrative (et donc « mythical »), mais aussi « attributive » (et par conséquent descriptive : cf. p.189 n. 12). Reste le malentendu entretenu par l’usage du concept de « mythe », utilisé sans la moindre définition. Quoi qu’il en soit l’enquête se déroule en comparaison avec une tradition réduite aux Hymnes homériques (avec quelques allusions aux Hymnes de Callimaque). La réorientation philosophique de la forme hymnique se réalise dans l’usage des images (de Dieu, de l’homme) qui renforcent la relation entre la partie centrale, descriptivo- narrative, du poème hymnique et la prière qui le conclut. Malheureusement rien n’est dit ni de l’instance d’énonciation (le « narrateur ») qui porte le poème hymnique, ni de la forme de performance d’hymnes qui seraient les véhicules d’une théologie très complexe et les porteurs d’un « hidden meaning ».

Les hymnes orphiques sont l’objet de deux études complémentaires. Dans un premier temps, Anne-François Morand s’intéresse aux « techniques narratives » de ces compositions transmises avec le corpus des Hymnes homériques, les Hymnes de Callimaque et les Hymnes de Proclus. En fait de narration, la partie centrale des Hymnes orphiques consisterait en des « amplifications, composed of a long string of epithets ». A vrai dire, ces épithètes non seulement correspondent parfois à des épiclèses, mais surtout à des qualifications rendant compte des fonctions et des modes d’action de la divinité invoquée de manière performative. Appuyée sur des allitérations, la procédure discursive suit le principe de la théologie orphique qui tend à assimiler les unes aux autres les entités divines que le système polythéiste hellène distingue. La question (d’appréciation délicate, mais essentielle) de la relation entre l’auteur explicitement attribué à ces chants hymniques (Orphée, avec son destinataire Musée) et le ou les « performers » qui assument dans le rituel la voix énonciative en je n’est pas franchement affrontée.

En relation avec les pratiques rituelles qui sont explicitement mentionnés par le texte transmis, cette question de l’autorité vocale et poétique des hymnes orphiques est opportunément au centre de l’excellente analyse proposée par Miguel Herrero de Jáuregi. Celui- ci abandonne avec raison le concept de « narrator » pour celui plus général et plus pertinent d’un « speaker » (un locuteur) qui est situé, par différentes procédures linguistiques d’ordre énonciatif, en face d’un « addressee » (en français un locuteur en face d’un « allocuté » ou d’un interlocuteur). Dans un jeu subtil d’alternance entre les formes singulières du je et celles plurielles du nous, la figure du locuteur peut correspondre autant à celui qui chante le poème qu’aux initiés qui, dans le texte lui-même, sont mentionnés au datif, voire à l’ensemble de l’humanité. Quant aux destinataires explicites des hymnes attribués à Orphée, ce sont évidemment les dieux, invoqués selon le canon de la théologie syncrétique des initiateurs orphiques. Fonction de ces hymnes rituels : à l’écart de toute action narrative à proprement parler, plaire aux dieux, individuellement et collectivement, dans l’importance donnée à l’énonciation vocale des noms et des appellatifs.

Mais — et ce n’est pas tout à fait un hasard — il faut attendre la dernière contribution au collectif, consacrée aux textes hymniques transmis par les documents rituels que sont les « papyrus magiques », pour que soient enfin posées la plupart des bonnes questions que devrait nous suggérer une approche narratologique des formes hymniques grecques : fonction d’hymnes se définissant comme clétiques (Ménandre le Rhéteur) ; désir de provoque par le chant l’épiphanie du dieu invoqué ; rôle des formes du « futur performatif » dans l’accomplissement de l’invocation et de la prière hymniques comme un acte de chant ; présentation du chant hymnique comme un agalma à la divinité dont on attend l’intervention ; rôle invocatoire et évocatoire des dénominations, épiclèses et qualifications du dieu (en asyndète et avec de fréquents jeux d’assonances) ; relation avec les gestes rituels qui accompagnent la performance du chant hymnique, avec sa structure métrique. Ce sont en effet les questions que soulève l’étude fort dense proposée par Ivana Petrovic. Sans oublier l’essentiel pour des études centrées sur l’éventuel récit hymnique : l’ epica laus qui assume en général (mais pas forcément) un caractère narratif est encadrée par le deux parties énonciatives de l’invocation/évocation tendant à appeler la présence du dieu et d’une prière souvent sous forme contractuelle ; l’hymne est présenté à la divinité comme une offrande (musicale) à la en échange du bienfait attendu. Dès lors, quand elle correspond à un récit, la partie centrale de la composition hymnique devient un argument narratif mis au profit de l’acte de chant et donc de l’acte rituel qu’est la performance de l’hymne.

De fait, les formes poétiques et discursives grecques (en particulier les formes hymniques) offrent d’innombrables possibilités de recoupement entre la voix de qui énonce (la persona loquens ou cantans) et celles des protagonistes de l’énoncé narratif (intervenant souvent en discours direct). En dialogue polyphonique avec les protagonistes du récit, le locuteur (et narrateur), par des gestes de deixis énonciative, temporelle et spatiale et par des actes de parole auto-référentiels, renvoie plus ou moins directement à la situation d’énonciation religieuse où le chant de l’hymne prend sens, dans une conjoncture historique et culturelle particulière.8

Si j’étais plus jeune, partial et mauvais je dirais que ce qui fait la valeur des études sur les formes hymniques grecques publiées par Faulkner et Hodkinson, c’est de ne pas avoir suivi l’approche qui traverse les trois lourds volumes des Studies in Ancient Greek Narrative et que les éditeurs résument en introduction à leur collection. A vrai dire, le souci d’objectivité exige de reconnaître que, même s’ils séparent d’un point de vue narratologique artificiel les trois composants (énonciatif, temporel et spatial) de ce que Benveniste a dénommé « l’appareil formel de l’énonciation » et même s’ils ne se soucient pas d’une pragmatique qui est essentielle à la compréhension interprétative de toutes les formes poétiques et discursives hellènes, ces trois gros recueils offrent des études remarquables. Il en va de même de la collection désormais consacrée aux hymnes grecs. Il reste néanmoins significatif que dans le glossaire (fort utile) des concepts opératoires auxquels ont eu recours dans leurs différentes contributions les auteurs de Hymnic Narrative and the Narratology of Greek Hymns, des rubriques telles que « deixis », « discours », « énonciation », « performance » et « pragmatique » manquent. Ces graves lacunes invitent implicitement et insidieusement à lire les formes hymniques grecques comme de simples textes…

Quant à l’usage pédagogique des études opportunément réunies et publiées par Faulkner et Hodkinson, on sera contraint à être sélectif dans le conseil aux étudiantes et aux étudiants.

Notes

1. E. Norden, Agnostos theos. Untersuchungen zur Formgeschichte religiöser Rede, (Leipzig; Berlin: Teubner) 1913 : 143-166, puis 168-176.

2. Voir en particulier les deux chapitres successivement intitulés « Mode » et « Voix » dans le « Discours du récit. Essai de méthode » publié dans Figures III (Paris: Seuil) 1972 : 183-224 et 225-267.

3. Quant aux malentendus entretenus par la notion de « focalisation » qui devait se substituer à celle de « point de vue », on verra l’utile mise au point de B. Niederhoff, “Focalization”, in P. Hühn, J. Ch. Meister, J. Pier, W. Schmid, (eds). Handbook of Narratology (Berlin; New York: De Gruyter) 2014: 197-205. Dans le domaine des récits grecs anciens, l’instrument analytique a reçu une forme technique dans les travaux d’Irene de Jong (cf. infra note 6) se fondant sur la systématisation mécaniste, d’inspiration structuraliste, (re)proposée par Mieke Bal, Narratology: Introduction to the Theory of Narrative. (Toronto: University of Toronto Press) 1997 (1 ère éd. : 1985) : 143-149.

4. Genette, op. cit. n. 2 : 256-259.

5. Voir par exemple R. Baroni, La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise. (Paris: Seuil) 2007: 167-224.

6. Voir successivement les études réunies dans les trois volumes collectifs par de I. J. F. de Jong, R. Nünlist, A. Bowie (edd.), Narrators, Narratees, and Narratives in Ancient Greek Literature, en particulier les conclusions tirées à p. 545-553 sur narrators, narratees et narratives; I. J. F. de Jong & R. Nünlist (edd.), Time in Ancient Greek Literature, sur le temps du récit ; et I. J. F. de Jong (ed.), Space in Ancient Greek Literature, sur l’espace de la narration. On lira avec profit à propos de ce dernier volume collectif la recension critique de J. Grethlein, Bryn Mawr Classical Review 2012.09.18.

7. Il faudra attendre l’introduction du concept de la « métalepse », également emprunté à Genette, pour voir enfin l’analyse des récits héroïques grecs qu’on dénomme mythes échapper de fait au principe structuraliste de l’immanence : voir en particulier I. J. F. de Jong, « Metalepsis and Embedded Speech in Pindaric and Bacchylidean Myth », in U.E. Eisen & P. von Möllendorf (edd.), Über die Grenze. Metalepsis in Text- und Bildmedien des Altertums, (Berlin; New York: De Gruyter) 2013 : 97-118.

8. Je me permets de renvoyer à ce propos à mon étude « Pour une anthropologie historique des récits héroïques grecs : analyse structurale et pragmatique poétique des “mythes“ », Europe 91, 2013 : 147-169, avec les références à plusieurs études précédentes de la narration de « mythes » portée par les formes de la poésie chantée et ritualisée qu’est le mélos. Sur la « built-in indexicality » dans de nombreuses formes poétiques grecques en relation avec leur performance, voir les études réunies dans Arethusa 37, 2004, ainsi que, par exemple, l’étude de E. J. Bakker, « Homer, Odysseus, and the Narratology of Performance », in J. Grethlein & A. Rengakos (edd.), Narratology and Interpretation. The Content of Narrative Form in Ancient Literature, (Berlin; New York: de Gruyter) 2009 : 117-136. ​