BMCR 2015.12.11

The Theban Epics. Hellenic Studies, 69

, The Theban Epics. Hellenic Studies, 69. Washington, DC: Center for Hellenic Studies, Trustees for Harvard University, 2014. viii, 154. ISBN 9780674417243. $22.50 (pb).

Electronic publication

The Theban Epics est le premier volume d’une série de commentaires des fragments des épopées archaïques grecques dont Malcolm Davies annonce la publication dans les prochaines années. La préface signale qu’une première rédaction date de la fin des années quatre-vingts du siècle dernier et que le volume consacré à la Titanomachie contiendra l’introduction générale.

Ce qui subsiste des épopées de la Grèce archaïque a été l’objet d’un intérêt renouvelé ces dernières années.1 Le livre de Malcolm Davies, à qui l’on doit déjà une édition des fragments2 et une courte introduction aux poèmes du Cycle, 3 s’inscrit dans ce contexte. Il comble un vide en proposant un commentaire des bribes des épopées archaïques du cycle thébain et offre un guide précis pour se repérer dans l’histoire des controverses dont ces restes ont fait l’objet depuis le XIX ème siècle, au risque, assumé par l’auteur, d’en rendre moins aisée la lecture.

L’ouvrage comprend cinq chapitres traitant chacun de l’une des épopées dont le titre est attesté : Œdipodie, Thébaïde, Ἀμφιάρεω ἐξελασία, Epigones, Alcméonide. S’y ajoutent deux appendices (le premier abordant un problème de méthode, le second contenant le texte et la traduction des témoignages et fragments4), une liste des travaux les plus cités,5 et trois indices (général, mots grecs, passages d’Apollodore).

Dans l’explication des fragments, la typographie distingue en petits caractères le commentaire de la lettre des vers cités dans les sources. L’exposé y gagne en clarté. La présentation des problèmes et des positions interprétatives est minutieuse et informée, la discussion serrée (le scepticisme de Davies fait merveille dans le démontage des arguments), la critique, souvent sévère, parfois brutale, manie volontiers l’ironie — notamment à l’égard des théories d’Erich Bethe.

Le premier chapitre traite de l’ Œdipodie, dont rien ou presque ne subsiste : deux hexamètres (F1), une notice lacunaire des Tables iliaques (T), une note discutée de Pausanias (F2). Peut-on conjecturer ce qui, de la légende connue par les œuvres postérieures, figurait dans l’épopée archaïque ? Davies part du scholion de Pisandre où Bethe lisait un résumé du poème,6 et passe en revue les motifs qui ont donné matière à discussion : viol de Chrysippe, oracle de Laios, exposition d’Œdipe, parricide, énigme de la sphinge7, nature de l’exploit d’Œdipe, dénouement (avec discussion d’ Od. XI, 271–280 ). L’étude des fragments confirme avec quelques répétitions que s’il est difficile de démontrer l’appartenance d’un motif au poème disparu, les tentatives de reconstruction, à partir de l’ Odyssée et de Pausanias, d’une version épique de la légende radicalement différente de celle que nous connaissons, sont infondées.

La longueur du chapitre dédié à la Thébaïde (72 pages sur 156) ne surprend pas, vu la notoriété de l’œuvre et le nombre des témoignages retenus. Dans T1 (Paus. IX, 9, 5) Davies suit Hiller (1887) et Schwartz (1940) pour expliquer l’attribution du poème à Homère sans signaler que cette attribution n’avait pas le même sens pour Kallinos et Pausanias. Dans l’étude des références de l’ Iliade à la légende thébaine, qui fait bien le point de la discussion, ses conclusions, prudemment conservatrices, convainquent, mais ses hypothèses concernant la chronologie relative des poèmes et les conditions de leur production demanderaient d’être davantage explicitées. La place accordée à la comparaison entre la technique poétique d’ « Homère » et la Thébaïde s’explique par cette problématique. F1 : que le premier mot de la Thébaïde soit Ἄργος n’est pas étrange (« odd », p. 43) : le sujet du poème est l’expédition désastreuse des princes partis d’Argos ; la formule πολυδίψιον Ἄργος (cf. Il. IV, 171), qu’elle ait ou non pour origine la légende évoquée dans Hésiode, 128MW, peut être resémantisée, dans la Thébaïde, par référence à l’épisode néméen. F2 et F3 : les pages consacrées aux récits des deux malédictions d’Œdipe (46-60) sont excellentes ; le commentaire littéral y est riche d’informations sur les parallèles homériques, le sens et l’emploi des mots, le texte, la prosodie, les enjambements ; on contestera néanmoins que Κάδμοιο θεόφρονος F2,3 constitue « a clear departure from the thrift of the oral epic » (le principe d’économie vaut pour les formules, non les épithètes ; le thème diffère de celui des formules homériques où entre δαΐφρονος 8) ; p. 50, κακὸν ἔμπεσε θυμῷ, appelle interprétation, non censure (« muddle-headedly ») ; F2,9 : l’argument de Robert contre la correction de Ribbeck est-il valide si la Thébaïde n’est pas homérique ; F3,2 : doit-on renoncer à la forme ὀνειδείοντες pour fermer la période? refuser l’asyndète, au début du vers 3? La suite du chapitre examine les épisodes ou motifs qui pourraient avoir figuré dans l’épopée cyclique — au fil d’un récit implicite dont la trame n’est pas justifiée : statut d’Œdipe à Thèbes ; traditions concernant la querelle des deux frères ; arrivée de Polynice et Tydée chez Adraste ; signes marquant l’hostilité des dieux à l’expédition ; épisode néméen ; question du nombre des portes de Thèbes et des capitaines argiens (avec référence à la théorie de E. Howald). La reconstitution probable de la liste épique des Sept, par comparaison avec celle d’Eschyle, introduit les fiches rassemblant les traits de Tydée, Capanée, Parthénopée et Hippomédon que les Tragiques semblent hériter de l’épopée. Dans la « lecture » des représentations censées figurer des scènes de la Thébaïde Davies, comme nombre de spécialistes aujourd’hui, témoigne d’une prudence méthodique justifiée Ses raisons de préférer, dans le récit de la défaite argienne, la version de Pausanias (IX, 9, 1–3) et Apollodore (III, 6, 7) à celle, jugée plus simple, des Tragiques, sont plausibles, sans plus. Le récit de la mort de Tydée conservé dans deux scholies à Thébaïde, V, 126 (F5) représente sans doute la version de la Thébaïde; Davies, suivant une observation de J. Griffin, souligne ce qui distingue ici la manière du Cycle de celle d’Homère (immortalisation, sauvagerie de la scène). Le commentaire de F6 défend de manière convaincante la valeur des trois témoins contre Van der Valk et offre une synthèse utile des travaux sur Arion et sur Adraste. Mise au point utile aussi sur Amphiaraos, l’origine épique probable du récit de sa mort dans Pindare, Ném. IX, 24–27 et le rôle de Périclymène. Le commentaire du F7 classe les tentatives de restitution de l’hexamètre de la Thébaïde cité, selon la scholie, dans Ol. VI, 15–17, sans choisir (ajouter à la liste des « numerous scholars » adeptes de la solution de Leutsch, p. 94, les derniers éditeurs, Bernabé et West) ; la discussion des tentatives de reconstruction de la scène épique source de Pindare laisse une impression confuse.

Le chapitre 3 reprend le dossier de l’ Ἀμφιάρεω ἐξελασία citée dans la Vie d’Homère (et la Suda), et tient pour probable que ce « titre » ne désigne pas un poème mais un épisode de la Thébaïde. Le scepticisme de Davies quant à l’origine épique des hexamètres cités par Cléarque ( Thébaïde F8* West) paraît fondé, et la prudence de son commentaire des représentations figurées (104–106) est bienvenue.

Dans l’introduction du chapitre 4 Davies défend la dissociation des Epigones de la Thébaïde dont ils formaient une « suite », tout en rejetant les arguments des Analystes contre la référence à la deuxième expédition dans Il. 4, 403–410. Son édition retient trois fragments et deux hexamètres d’attribution douteuse qu’il ne commente pas. Dans les EGF Antimaque de Teos (p. 79) est séparé des Epigones; le vers qui lui est attribué par Clément ( Strom. 6, 12, 7), inclus dans les Epigones par Bernabé et West, n’est donc pas commenté par Davies ; cette exclusion n’est pas justifiée, car dans le commentaire de F1, p. 110, Davies ne prouve pas que le Téien n’est pas le poète des Epigones, sauf à prendre pour argument, par une inconséquence étonnante, que la Thébaïde ne lui est jamais attribuée. Les parallèles invoqués dans les notes sur νῦν, αὖτε et ὁπλοτέρων, p. 111, n’effacent pas le sentiment que F1 introduit les Epigones comme la suite d’un autre poème.

L’ Alcméonide ne faisait pas techniquement partie des épopées cycliques, mais Davies inclut dans ce volume le commentaire des sept témoignages qui la citent. Le chapitre 5 réserve pour l’appendice 1 la question débattue de sa relation avec les Epigones. Davies offre pour chaque fragment, traité comme un document individuel, le relevé des problèmes qu’il pose et les références bibliographiques essentielles. Le jugement emprunté à Huxley (p. 115) tient plus à la nature de notre documentation, qui justifie la composition du chapitre, qu’à la réalité d’une épopée dont le contenu échappe.

Sous le titre « Eriphyle in the Theban Epics » l’appendice 1 critique méthodiquement le principe heuristique de la « Doppelüberlieferung » utilisé par E. Bethe pour étayer ses constructions, et passe en revue, en s’appuyant notamment sur le travail de F. Prinz, une série d’épisodes de la légende dont les versions incompatibles ou réputées telles ont été rattachées à des sources épiques différentes.

L’ouvrage, je l’ai dit plus haut, comble un trou. L’érudition et l’acribie de son auteur en rendent la consultation indispensable à tous les chercheurs touchant à la « matière » de Thèbes. A l’utilisateur instruit et attentif il offre tous les éléments de réflexion nécessaires pour travailler sur l’objet presque insaisissable que sont pour nous les épopées du cycle thébain.

Sur la présentation : la lecture et la consultation des chapitres dont la disposition interne, faiblement marquée malgré l’insertion d’intertitres, n’est pas annoncée dans le sommaire, sont malaisées. Une éventuelle réédition devrait comprendre une table des matières plus nourrie et trois index supplémentaires (passages cités des auteurs anciens, représentations figurées et auteurs modernes). Les références bibliographiques disséminées dans le livre sont d’un usage peu commode. Une bibliographie unique en fin de volume serait d’un maniement plus aisé. La relecture a été hâtive : quelques coquilles et répétitions inutiles ; citation du même texte p. 15 et 22 ; προαναγόν]τος pour προαναγνόν]τες p. 133 ; Callimachus, p. 111, au lieu d’Aristarchus ; p. 125, Od. xi, 326 ne fait pas d’Adraste le corrupteur d’Eriphyle (voir Heubeck, ad. loc.) ; p. 136 ͵θφ´ traduit par « 7000 » dans T3 et traduction de T4 différente de l’interprétation correcte du passage, p. 30.

Peut-on ajouter trois critiques mineures au compte rendu d’un volume dont les qualités sont remarquables? 1) les recherches récentes sur le fonctionnement de la tradition épique n’ont qu’une faible place dans la discussion. L’introduction générale apportera-t-elle des éclaircissements sur ce point ?
2) la reconstruction hypothétique des épopées perdues se fait par référence à un récit virtuel (la légende thébaine) dont les garants ne sont pas explicités.
3) le biais volontiers sceptique de l’argumentation laisse souvent informulée la conclusion à laquelle se range Davies.

A quel public l’ouvrage s’adresse-t-il en l’état ? Je répondrai : des chercheurs avertis qui le consulteront avec profit dans une bibliothèque bien fournie.

Notes

1. Voir notamment Greek Epic Fragments, ed. and transl. by M. L. West, Cambridge, MA, London : Harvard UP, 2003 (Loeb Classical Library), et M. L. West, The Epic Cycle. A Commentary on the Lost Trojan Epics, Oxford : Oxford UP, 2013.

2. Epicorum Graecorum Fragmenta, edidit Malcolm Davies, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1988.

3. M. Davies, The Greek Epic Cycle, Bristol : Bristol Classical Paperbacks, 1989.

4. Le texte reproduit celui des Epicorum Graecorum Fragmenta.

5. Dans un livre où les références bibliographiques abondent, le lecteur s’étonnera que l’édition de A. Bernabé ( Poetae Epici Graeci, Testimonia et Fragmenta, Pars I, ed. A. Bernabé, Stuttgart et Leipzig, Teubner, 1987) ne soit jamais citée.

6. FGrHist 16 F 10, dans Schol. Eur. Ph. 1760. Davies ne reproduit pas le texte entier bien que sa conclusion ne soit pas aussi négative que celle de C. Robert.

7. A la différence de West ( GEF, p. 40) Davies n’inclut pas les cinq hexamètres cités par les Anciens dans les fragments de l’ Œdipodie.

8. G. Nagy, Greek Mythology and Poetics, Ithaca and London, Cornell UP, 1990, 21ss.