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À dix ans de sa création, la collection Science and Technology for Cultural Heritage, conçue pour encourager les recherches interdisciplinaires susceptibles de mettre les technologies nouvelles au service de l’archéologie et du patrimoine peine manifestement à trouver son rythme. Le premier volume, publié en 2005, était consacré à Pitigliano et Sorano,1 tandis que celui-ci, le second seulement de la série, l’est à Sovana—c’est à dire que la zone géographique concernée est restée depuis pratiquement la même, et que les problématiques abordées par les auteurs (patrimoine, sauvegarde, conservation…) sont demeurées extrêmement voisines.
Entièrement rédigé par des auteurs italiens, mais publié en langue anglaise, ce léger (130 p.) ouvrage résume l’activité de cinq années de travail d’un groupe multidisciplinaire réunissant une archéologue (G. Barbieri, chap. 1, 4, 7-10), une chimiste et un géologue (Gianna Giacchi et Pasquino Pallecchi, chap. 2-4 et 6), ainsi que cinq membres du département de chimie de l’université de Pise (Francesca Modugno, Erika Ribechini, Ugo Bartolucci, Ilaria Degano et Maria Perla Colombini, chap. 5). Son sous-titre est un peu réducteur, dans la mesure où il ne s’agit pas ici seulement de “problems of colour preservation” (il est clair que la couleur de ces monuments est vouée à la destruction totale d’ici quelques décennies, dans la meilleure des hypothèses), mais surtout de documenter, d’analyser et—malheureusement trop peu ici—de restituer le décor peint externe des tombes de Sovana. Il s’agit d’une vingtaine de tombes rupestres (dont l’ordre de présentation n’est pas clair), pour la plupart, et pour les moins mal datées d’entre elles, datant du III e siècle av. J.-C., dont certaines ont déjà fait l’objet de nombreuses études à partir de celles, pionnières, de Ranuccio Bianchi Bandinelli (tombes Ildebranda,2 Pola, del Tifone et, depuis 2004, dei Demoni Alati ; une utile photo aérienne permettant de les localiser par rapport au site antique figure à la p. 24).
Le volume se compose de 10 chapitres, dont certains inutilement légers (chapitre 9, une page) ; la fusion des chapitres 7-9, dont les thèmes sont à peu près indissociables, et signés par le même auteur, aurait donné plus de consistance à son propos. Le quatrième, qui constitue le corpus des monuments sur lesquels repose l’étude—rédigé conjointement par ses trois éditeurs, et qui représente la moitié du livre (p. 23-83)— aurait dû plus normalement constituer une partie distincte, ou un appendice : plus ou moins développée en fonction des cas, de leur complexité et de leur degré de conservation, elle traite successivement du monument, de son histoire, de ses caractéristiques architecturales, de son décor (avec proposition de datation), de son revêtement et des techniques picturales adoptées, de son état actuel et de sa conservation—toujours de manière aussi exhaustive que possible, et en renvoyant à une riche bibliographie (plus de 120 titres, p. 127-130). Dans le reste du volume, G. Barbieri traite de la conservation de la polychromie au fil des siècles (chap. 1), des rapports entre couleur et architecture (chap. 7) et entre couleur et décor plastique (chap. 8), ainsi que de la signification de la couleur (chap. 9) ; P. Pallecchi, de la géologie de la zone (chap. 2—une chronologie des différentes éruptions documentées dans cette zone aurait été utile) et, avec G. Gianchi, des méthodes d’analyse (chap. 3) et des techniques picturales (chap. 6), en exploitant notamment une étude collective des liants organiques utilisés par les peintres—essentiellement de l’œuf—réalisée en recourant à la chromatographie en phase gazeuse et à la spectrométrie de masse (étude collective publiée au chap. 5).
S’agissant d’un ouvrage sur la polychromie, et compte tenu du prix du volume, l’éditeur aurait sans doute pu faire un effort supplémentaire sur l’utilisation de la couleur dans ses pages : hormis pour les photos de sections d’enduits (le plus souvent sans numéro de figure, ce qui ne facilite pas la consultation du volume), celle-ci est rarement utilisée, et pas toujours à bon escient (fig. 22, 35, 29, qui auraient supporté le noir et blanc), pour illustrer le propos des auteurs—comme c’est notamment le cas pour le chapitre 8, “Colour and plastic decoration,” qui n’en comporte aucune. On peut aussi s’étonner de ne trouver aucun plan ou relevé des façades figurant in situ les lambeaux d’enduit conservés sur ces tombes (comme il en existait dans le précédent volume de la série) et, subséquemment, aucune restitution hypothétique des décors peints, lorsque celle-ci était possible, au moins partiellement, à partir des vestiges conservés (tombes Ildebranda ou dei Demoni Alati, en particulier).
En dépit de ces réserves, l’ouvrage a le très grand mérite d’aborder de manière approfondie un aspect capital, mais généralement négligé, de l’architecture des tombes rupestres, et de le faire au moment précis où ces témoignages évanescents sont en train de disparaître à tout jamais, en alertant ainsi les archéologues sur l’importance des observations qui le concernent et sur la nécessité de tout mettre en œuvre, avec le renfort de spécialistes, pour les étudier et, si possible, pour les conserver. Les auteurs relèvent, dans les tombes les moins mal préservées, l’existence de trois couches distinctes : un enduit de préparation recouvrant le tuf, une fine couche de peinture blanche formant le fond du décor, et les couleurs ajoutées—en l’occurence une palette réduite composée pour l’essentiel de blanc, de jaune, de rouge, de noir et de bleu égyptien (qui représente le seul pigment d’importation), parfois utilisées pour tracer des inscriptions (fig. 49).3 Outre son caractère décoratif, ce revêtement aurait eu, selon eux, une fonction de protection des fragiles parois en tuf de la tombe.4 S’il est certain, comme ils le soulignent, que cet enduit a pu contribuer à une meilleure conservation de l’extérieur des tombes, on remarque cependant que nombre de tombes rupestres antérieures, qui ne furent jamais peintes, se sont bien conservées en dépit de leur exposition prolongée aux intempéries (grâce à la qualité du tuf dans lequel elles ont été taillées), que ce revêtement n’avait guère de raison d’être pratique dans les parties couvertes du monument, probablement dévolues aux banquets funéraires (la « sottofacciata » des tombes rupestres, dotée ou non de banquettes), et que les sculptures, bien qu’exposées elles aussi aux intempéries, n’étaient pas peintes (p. 94). Or, l’usage de peindre l’extérieur des tombes ne semble pas antérieur au dernier quart du IV e siècle av. J.-C., comme en témoignent les deux grandes tombes rupestres jumelles de Norchia (tombe Lattanzi) et de Grotte Scalina (entre Viterbe et Tuscania), qui présentent d’importantes traces de polychromie :5 il n’est pas indifférent, dans ce contexte, de noter que ces deux tombes témoignent de liens directs avec la Macédoine, où la peinture était utilisée très largement, à la même époque, en façade des tombes les plus monumentales.
Ce type de recherche mériterait donc d’être comparé, dans un cadre plus large, avec des travaux analogues menés dans d’autres aires géographiques,6 mais aussi avec différentes catégories d’objets peints produits en Étrurie, parfois étonnamment bien conservés, en particulier la grande peinture,7 mais aussi les urnes cinéraires dont certaines sont à peu près contemporaines des tombes de Sovana.8 Tel quel, en mettant en évidence le potentiel d’une collaboration effective entre scientifiques et archéologues, qui pourrait renouveler complètement, à terme, notre vision classique de ces monuments, cet ouvrage constitue cependant, bien au-delà de l’archéologie étrusque, une contribution importante à un secteur trop négligé de l’architecture antique.
Sommaire
Andrea Pessina, Maria Angela Turchetti, Foreword.
Gabriella Barbieri, Introduction.
1. Gabriella Barbieri, The Conservation of Polychromy in the Past and in the Present.
2. Pasquino Pallecchi, The Geomorphological Context of the Sovana Necropolis.
3. Gianna Giachi, Pasquino Pallecchi, Analytic Investigation to Define the Painting Technique of the Sovana Tombs.
4. Gabriella Barbieri, Gianna Giachi, Pasquino Pallecchi, The Painted Monuments. Catalogue.
5. Francesca Modugno, Erika Ribechini, Ugo Bartolucci, Ilaria Degano, Maria Perla Colombini, The Characterisation of Organic Binder.
6. Gianna Giachi, Pasquino Pallecchi, The Painting Technique.
7. Gabriella Barbieri, Colour and Architecture.
8. Gabriella Barbieri, Colour and Plastic Decoration.
9. Gabriella Barbieri, The Meaning of Colour.
10. Gabriella Barbieri, Gianna Giachi, Pasquino Pallecchi, Conclusions.
Notes
1. M. Preite (dir.), Il patrimonio archeologico di Pitigliano e Sorano. Censimento, monitoraggio, valorizzazione, Pise, 2005.
2. La restitution de cette tombe avec trois frontons, proposée par G. Colonna en 1986, reprise depuis notamment par A. Maggiani, et ici p. 25, me semble sujette à caution : hormis la singularité architecturale qu’elle représenterait, le site ne semble pas avoir livré de fragments susceptibles de corroborer l’hypothèse d’un deuxième, voire d’un troisième fronton surmontant les façades latérales de la tombe.
3. La question de la présence de peinture verte semble plus complexe : R. Bianchi Bandinelli affirme en avoir vu dans les fragments de la frise végétale de la tombe Ildebranda, observation reprise ici p. 103 (G. Barbieri), mais révoquée en doute p. 95 (G. Giachi et P. Pallecchi).
4. Cf. p. ex. p. 18 (P. Pallecchi) et 97 (G. Barbieri).
5. Pour la première, la description la plus détaillée des enduits, aujourd’hui presque totalement perdus, figure dans A. Gargana, « Note per lo studio architettonico della tomba Lattanzi di Norchia » Bollettino Municipale. Comune di Viterbo 8 (1935), 3-9 ; pour la seconde, voir en particulier V. Jolivet et E. Lovergne, « La tombe monumentale de Grotte Scalina », dans Chronique des activités archéologiques de l’École française de Rome, 2011-2014, ainsi que /860, /1042 et /1333.
6. Voir p. ex., pour le monde macédonien hellénistique, M. Lilibaki-Akamati, Κιβωτιόσχημος τάφος με ζωγραφική διακόσμηση από την Πέλλα, Thessalonique, 2007, avec une étude détaillée des pigments aux p. 133-175
7. En dernier lieu, A. Cecchini, Le tombe dipinte di Tarquinia. Vicenda conservativa, restauri, tecnica di esecuzione, Florence, 2012.
8. Pour la polychromie, voir en particulier les exemplaires extraordinairement bien conservés publiés dans L. Cenciaioli (dir.), I colori dell’addio. Il restauro delle urne di Strozzacaponi, Pérouse, 2010.