BMCR 2015.04.48

L’amministrazione municipale delle strade romane in Italia. Antiquitas. Reihe 1, Abhandlungen zur alten Geschichte, Bd 62

, L’amministrazione municipale delle strade romane in Italia. Antiquitas. Reihe 1, Abhandlungen zur alten Geschichte, Bd 62. Bonn: Dr. Rudolf Habelt GmbH, 2014. xii, 345. ISBN 9783774938588. €75.00.

Dans le panorama des études sur la construction et l’entretien des voies romaines, la place des cités de l’Italie constituait un sorte de point aveugle de la recherche récente. En effet, l’attention s’est généralement portée sur les grandes voies consulaires ou publiques (les Reichsstraßen de la bibliographie allemande) et sur le rôle de l’administration sénatoriale ou impériale, en particulier celui de l’empereur et des curatores uiarum. Version légèrement remaniée d’une thèse de doctorat soutenue en 2012 à l’université de Zurich, l’ouvrage de Camilla Campedelli est destiné à combler cette lacune. En recensant l’ensemble de la documentation disponible, elle offre un examen des cadres juridiques et des modalités pratiques relatifs à la construction ou à l’entretien des voies de circulation en Italie. Le livre se présente ainsi comme une contribution à l’histoire de l’administration civique au cours du dernier siècle de la République et du Haut Empire, et s’inscrit tout aussi bien dans les travaux sur le « quotidien municipal » des cités du monde romain.

L’enquête repose principalement sur l’exploitation de la documentation épigraphique regroupée dans un catalogue occupant les deux tiers de l’ouvrage (p. 103-285). Après une liste des inscriptions exclues, il comporte 165 entrées classées suivant les régions augustéennes et par ordre alphabétique de cités – choix qui, dans une perspective géographique n’est pas des plus adaptés. Le critère de sélection retenu est celui de la mention d’une intervention de magistrats et/ou de communautés dans la construction ou la manutention de rues, routes, ponts et places. C. Campedelli a également inclus, à juste titre, les contributions d’ordre privé relevant de l’évergétisme. Les textes sont tous connus et n’ont pas été révisés, mais l’auteur s’appuie la plupart du temps sur l’édition la plus autorisée.1 Chaque entrée comporte une rubrique sur le support, une datation, une bibliographie essentielle ainsi qu’un commentaire se limitant aux aspects topographiques et directement liés aux thèmes de l’ouvrage. La documentation est datée majoritairement entre la fin du II e s. av. J.-C et la fin du II e s. ap. J.-C., période qui correspond à la phase d’urbanisation et d’aménagement des infrastructures dans les cités italiennes. L’ouvrage comporte aussi un précieux index des sources, des lieux et des principales notions, mais, pour un pareil sujet, on aurait pu également souhaiter quelques cartes.

L’étude proprement dite est divisée en quatre parties. La première (p. 5-17) est un rappel des classifications romaines des types de voies qui revient sur les définitions données à la fois par les textes juridiques (surtout Ulpien) et les sources gromatiques (Siculus Flaccus). Relevant de logiques discursives différentes, ces écrits ne dessinent pas une catégorisation univoque : se dégagent ainsi les uiae publicae, qui incluent aussi bien les Reichsstraßen que les uiae municipales, puis, au niveau du territoire de la cité, les uiae uicinales, de statut local. Les sources opèrent également une distinction, plutôt topographique cette fois, entre uiae urbicae (dans le chef-lieu) et uiae rusticae (sur le territoire). Suivant ces paramètres, la responsabilité de la tutelle des routes et, par conséquent, l’implication des autorités municipales étaient variables. C. Campedelli relève par ailleurs que ces catégorisations n’apparaissent pratiquement jamais dans l’épigraphie, où les désignations sont plus matérielles et descriptives ( angiportus, cliuus, uicus, etc.). Cet écart s’explique assez bien par le type de discours, à la fois commémoratif et laudatif, qui est celui des inscriptions.

La deuxième partie de l’ouvrage s’attache aux dispositions légales et, principalement, aux règlements contenus dans plusieurs lois municipales ( lex Tarentina, lex Vrsonensis, lex Irnitana ou table d’Héraclée) ainsi qu’à un extrait de Papinien relatif aux ἀστυνομικοί ( Dig., 43, 10). C. Campedelli décèle une tendance à une précision plus grande du système normatif à la fin de la République et surtout, à la mise en place d’une réglementation globalement homogène pour l’ensemble des colonies et municipes italiens, s’étendant aussi aux provinces. Elle reconstitue en outre un modus operandi conditionnant les interventions sur les infrastructures de circulation : sollicitation, par des magistrats ou par des particuliers, du conseil des décurions ; obtention de l’autorisation et donc du financement ; mise aux enchères des travaux sous la supervision des magistrats ; quant à la surveillance régulière, elle revenait normalement, comme cela est bien établi, aux édiles. Elle souligne en outre le rôle des munera dans l’entretien des voies des cités. En revanche, est laissée de côté la manière dont ces textes contribuent à définir des espaces différenciés, en particulier au sein de la ville, suivant le type d’action attendue des magistrats ou des particuliers : le discours normatif confirme ainsi que le statut juridique de l’espace concerné n’était pas l’unique paramètre déterminant la nature de l’intervention. Dans cette perspective, on aurait pu attendre un renvoi aux travaux de Catherine Saliou, qui ne sont jamais mentionnés.2

Les troisième et quatrième parties, reposant sur l’analyse des inscriptions regroupées en séries sous forme de tableaux, sont plus descriptives. C. Campedelli s’intéresse d’abord de plus près aux compétences des autorités municipales. Elle passe en revue les occurrences de l’activité de l’ ordo decurionum selon que les travaux sont financés par argent public de source inconnue, par la summa honoraria, par des fonds privés ou de manière mixte. Suivent les « organes exécutifs » : duumvirs ou quattuorvirs, édiles – dont on notera, pour ces derniers, qu’ils apparaissent assez rarement –, puis, descendant la hiérarchie, les questeurs, magistri pagorum pour terminer par de brèves considérations sur des fonctions attestées localement ( IIuiri/aediles u. a. s. p. p. de Pompéi, Vuiri d’Assise). Deux conclusions sont tirées de cet examen : outre la distinction attendue entre le « pouvoir décisionnel » et le « pouvoir exécutif », l’absence de corrélation systématique entre le statut juridique ou la localisation d’une voie et la responsabilité des travaux au sein de la cité.

La dernière partie de l’ouvrage (p. 71-99) dresse une typologie des modes de financement. C. Campedelli s’appuie sur la dichotomie entre participation publique et apport privé. Dans la première catégorie sont comptées les actions accomplies aux frais de la cité ( pecunia publica), en vertu du paiement des summa honoraria par les magistrats ou par les augustales, ou encore grâce aux uectigalia. Elle y inclut également les munera, pesant à la fois sur les individus ( munera personalia) ou sur leurs biens ( munera possessionum). Dans ce cas, il s’agit certes d’une contribution déterminée par l’appartenance à la communauté et dont l’obligation, soulignée par divers textes juridiques, en découlait. Pourtant, l’implication individuelle dans la réalisation ou dans la prise en charge de ces prestations, en proportion des biens mais aux frais de ceux qui y étaient soumis, en font une catégorie un peu différente. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces munera sont absents du discours épigraphique ou s’ils n’y sont perceptibles que de manière biaisée. On comprend cependant ce qui a poussé C. Campedelli à opérer ce rapprochement : ce mode de financement se démarque de celui qu’elle appelle la participation privée, c’est-à-dire, en définitive, les libéralités des pratiques évergétiques. Celles-ci sont analysées suivant le rang social des donataires : sénateurs, – rares – chevaliers, membres de l’ ordo, femmes (2 cas), et dépendants – principalement des affranchis, qui sont des exceptions s’expliquant par le statut ou par la disponibilité financière de certains d’entre eux. Le chapitre se clôt sur les financements mixtes. De cet examen, l’auteur conclut que la place apparente des contributions privées, évoquées de manière privilégiée par les inscriptions, relève d’un effet de sources, et que les munera tinrent sans doute la part la plus importante.

L’ouvrage offre ainsi une étude claire, systématique et synthétique de la documentation épigraphique, qui s’appuie sur l’examen précis et souvent prudent des textes. La mise en série des informations selon différentes grilles de lecture est fructueuse, mais entraîne parfois des échos ou même des redites entre les différents chapitres ou entre la synthèse et le catalogue épigraphique. L’approche, en outre, est résolument descriptive et on peut regretter à l’occasion, sinon un manque d’ampleur, du moins que certaines observations n’aient pas été poussées plus avant. Aux p. 59-61 par exemple, C. Campedelli se penche sur le rôle des magistri pagorum, attesté principalement par le texte de Siculus Flaccus (p. 146 Lach. = p. 110 Th.). Elle le met justement en relation avec certaines dispositions de la lex riui Hiberiensis ( AE, 2006, 676), tout en concluant à une relative autonomie du pagus dans la pratique. C’est juste, mais pourquoi ne pas aller plus loin ? Les magistri pagorum semblent souvent avoir été des individus entretenant des liens de dépendance assez étroits avec les élites municipales, dont ils formaient en quelque sorte le relai sur le territoire : il en résulte que les réseaux sociaux structuraient aussi la pratique administrative. Par ailleurs, leur tache impliquait une connaissance suffisamment poussée des propriétaires et de leurs biens, en sorte qu’un lien étroit devait exister entre ces munera et l’évaluation des capacités contributives de chacun d’entre eux : ce constat ouvre sur d’autres horizons de la pratique administrative, concernant par exemple l’évaluation de ces capacités et donc les archives. Certes, cet aspect dépassait le cadre strict de l’étude, mais il méritait peut-être un peu plus qu’une brève allusion (p. 40), puisque précisément, l’auteur place les munera au centre du système.

L’étude postule par ailleurs que l’autonomie municipale fut préservée tout au long de la période. Ainsi, un bref appendice (p. 67-69) s’arrête sur les relations avec le pouvoir central, et C. Campedelli y conclut que l’intervention de l’empereur ou du sénat était normalement le résultat de requêtes des communautés locales. S’il n’y pas de raison de mettre ce principe en cause, les cas ponctuels d’implication des possessores pour les grandes uiae publicae ( SupplIt 2, 1983, p. 166-167 n. 8 à Chieti ou les textes de Iulia Concordia, n os 151-155) auraient pu amener à s’interroger sur les modalités de collaboration entre les deux niveaux d’administration, par exemple, une fois encore, pour les modalités concrètes de répartition des contributions demandées. Bien que le contexte soit en partie différent, des observations plus approfondies sur la comparaison avec les provinces auraient pu, dans ce cadre, être bienvenues, en partant de travaux plus anciens comme ceux de Th. Pekáry ou de l’article de Th. Kissel – ce dernier ignoré de la bibliographie.3

Les prolongements suggérés ici, sans vouloir être exhaustifs, mettent en évidence l’intérêt des documents regroupés ainsi que des thématiques abordées. Ils ne doivent pas pour autant occulter l’intérêt de l’ouvrage : celui-ci remplit son contrat en fournissant une synthèse commode et à jour sur la place des autorités et des élites municipales dans l’élaboration et l’entretien des infrastructures de circulation dans l’Italie romaine.

Notes

1. Signalons cependant les inscriptions n os 31-32, textes en osque de Pompéi, où l’auteur semble ignorer l’édition récente de M. Crawford (dir.), Imagines Italicae. A Corpus of Italic Inscriptions, London, 2012, II, Pompei, 13 et 12. La consultation de cet ouvrage lui aurait ainsi permis de rectifier son commentaire topographique sur le premier texte, qui donne du temple de Jupiter Melichios une identification qui n’est plus acceptée, et d’améliorer la lecture du second.

2. Par exemple : C. Saliou, « Le nettoyage des rues dans l’Antiquité : fragments de discours normatifs », dans P. Ballet, P. Cordier, N. Dieudonné-Glad (éd.), La ville et ses déchets dans le monde romain, Montagnac, 2003, p. 37-49.

3. Th. Kissel, « Road-building as a munus publicum », dans P. Erdkamp (éd.), The Roman Army and the Economy, Amsterdam, 2002, p. 127-160.