BMCR 2014.11.24

Designing for Luxury on the Bay of Naples Villas and Landscapes (c. 100 BCE – 79 CE). Oxford Studies in Ancient Culture and Representation (OSACR)

, Designing for Luxury on the Bay of Naples Villas and Landscapes (c. 100 BCE - 79 CE). Oxford Studies in Ancient Culture and Representation (OSACR). Oxford; New York: Oxford University Press, 2014. xx, 315. ISBN 9780199678389. $160.00.

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Encore dominée par les figures tutélaires, et passablement écrasantes, de Julius Beloch et de John D’Arms, dont les monographies publiées en 1890 et 1970 demeurent aujourd’hui à la base de toute nouvelle recherche, la bibliographie portant sur les villas romaines de la zone vésuvienne s’enrichit aujourd’hui d’un nouveau titre issu d’une thèse de PhD soutenue en 2007 au St John’s College d’Oxford. L’auteur expose clairement, dans sa préface, l’objectif bien spécifique de son ouvrage : en combinant l’analyse planimétrique de ce qu’elle définit comme la “Roman luxury villa architecture” et l’analyse de la conception du luxe à Rome, montrer que ces plans reflètent un processus dynamique lié à des facteurs culturels, sociaux et environnementaux, qui participe à la création d’un “novel architectural language” instaurant un rapport inédit entre le bâti et son environnement naturel, destiné par la suite à être redécouvert à la Renaissance. Compte tenu de l’abondance de la documentation susceptible d’être utilisée à cette fin, l’auteur a choisi de porter plus particulièrement l’attention sur un corpus de cinq villas de la baie de Naples, évidemment parmi les mieux conservées, datables entre le début du I er siècle av. J.-C. et leur destruction lors de l’éruption du Vésuve :1 Villa des Papyri près d’Herculanum, Villa d’Oplontis A près de Pompéi, Villas Arianna A et B, et Villa San Marco près de Stabies.2

L’ouvrage se compose de sept chapitres : 3 le premier (p. 1-24) est une introduction à l’étude des grandes villas romaines, et présente la méthodologie mise en œuvre ; le deuxième (p. 25-74) analyse les cinq “case studies” retenus; les quatre suivants s’attachent à des éléments architecturaux considérés ici comme particulièrement significatifs de l’architecture du luxe: portiques et cryptoportiques (p. 75-102), jardins à portiques (p. 103-140), aménagements hydrauliques (p. 141-178), salles à manger (p. 179-212) ; le dernier chapitre, après avoir repris analytiquement l’ensemble du dossier, propose une série de conclusions. Un appendice (p. 245-263), complémentaire du quatrième chapitre, présente plus en détail les jardins à portiques des cinq villas, tandis qu’une bibliographie riche de quelque 700 titres (p. 265-302) clôt le volume, avec un index des lieux et un index général (p. 305-315). Les 263 pages de texte sont abondamment illustrées par des plans ou des photos en noir et blanc (ce qui est évidemment dommage, en particulier dans le cas des fresques, pour un volume sur l’archéologie du luxe).

Dans le chapitre 1, l’auteur note l’apparition tardive (postérieure au II e siècle av. J.-C.), dans le monde romain, du phénomène des résidences de luxe – dans le cadre de la domus, ce phénomène est évidemment bien antérieur –, qu’elle cherche à cerner en se fondant sur des textes de Caton, Varron et Columelle (Vitruve, en revanche, n’apparaît pas avant la p. 60) ; relevant l’absence de contradiction entre otium et activités productives, elle commente les réflexions des moralistes qui considèrent ces villae expolitae (terme employé dès 152 av. J.-C. par Caton) comme la marque du règne de la corruption. L’auteur affirme la spécificité de ce type de construction – mais la limite entre “luxury buildings” et “non luxury buildings” (p. 11) n’est certainement pas facile à tracer –, et se propose de combler une lacune des études antérieures, qui n’auraient pas suffisamment considéré la villa de luxe comme un “culturally informed process, which forms living spaces” (p. 13) ; rapportés à un mode de vie spécifique, architecture et mobilier ont contribué à forger un nouveau discours architectural qui s’approprie des éléments préexistants dans l’architecture hellénistique (les modèles de l’architecture publique) et romaine (l’ opus caementicium), pour en faire un véritable agent de l’identité romaine, l’un des “flagships” (p. 22) du régime qui les a produits.

Précédé par une courte étude relative aux premières villas de Campanie, et à la diffusion du luxe à Pompéi – bien antérieure, en l’occurence, à la fondation de la colonie syllanienne –, le chapitre 2 offre une étude détaillée (histoire de la fouille, planimétrie, description) des cinq villas retenues, qui repose sur une riche documentation graphique et photographique et, pour la Villa des Papyri, sur une remarquable restitution 3D des vestiges procédant de son propre travail.4 La question très complexe de la chronologie de la construction et des différentes modifications apportées à ces villas retient évidemment largement son attention, en liaison avec celle, non moins épineuse, des attributions proposées pour identifier leurs propriétaires.

Le premier élément de cette architecture de luxe est traité au chapitre 3 : portique et cryptoportique, considérés comme l’un de ses éléments les plus caractéristiques, en liaison étroite avec l’architecture publique grecque, et qui apparaissent parfois d’abord, comme à Oplontis A, sur les fresques de la villa, avant même d’y avoir été construits. L’enquête, partie des exemples romains de Metellus et de Pompée (on rétablira, aux p. 81 et 111, ex manubiis), s’attache ensuite aux villas vésuviennes, en montrant que ces deux types d’aménagement correspondent, au sein d’espaces probablement immédiatement identifiables comme publics grâce au “zebra pattern” (p. 50-52 et 94), à des nécessités de circulation ou de déambulation spécifiques, en fonction du climat, de l’heure, et de la condition sociale de ceux qui les fréquentaient.

Le chapitre 4 est consacré à un élément d’architecture assurément moins dynamique, et plus refermé sur lui-même, le jardin à portiques,5 lointain descendant de l’ hortus des maisons républicaines, et directement issu sous cette nouvelle forme de l’architecture palatialede la Méditerranée orientale et de celle des gymnases.6 C’est le lieu de la réflexion philosophique, dans un cadre où se fondent architecture, sculptures et végétation exotique (en particulier les platanes, introduits par Pompée). Si l’auteur constate que le dispositif clos des premiers portiques coexiste plus tard avec des portiques ouverts, elle soutient pourtant (p. 120) que “one form was not the evolution of the other”. Il aurait sans doute été utile, à cet égard, de s’interroger sur l’influence possible des premiers horti du suburbium de Rome, où pouvait se déployer pleinement le luxe de l’aristocratie romaine et qui ont pu jouer, dans la première moitié du I er siècle av. J.-C., un rôle d’expérimentation de réalisations mises en œuvre plus tard dans la baie de Naples.

Les aménagements hydrauliques – euripes, natationes et nymphées, font l’objet du chapitre 5 , qui met en évidence le lien entre progrès technologiques (construction des aqueducs) et diffusion de ce type de structures, qui témoignent clairement du pouvoir économique de leurs propriétaires. D’abord réservés aux constructions publiques, et comme les portiques, auxquels ils sont souvent associées, porteurs d’une dimension mythologique et symbolique, ils confèrent aussi à la villa une aura sacrée, tout en présentant un intérêt pratique indéniable, que ce soit pour la natation ou la création de viviers.

Quatrième et dernier élément fondamental, selon l’auteur, de la villa de luxe, le triclinium, traité au chapitre 6, prend une place croissante dans la maison, en accord avec celle du banquet lui-même, en donnant à voir la hiérarchie qui préside au sein du microcosme qu’est la villa. Tout en soulignant la difficulté d’identifier les salles à manger, ces pages relaient l’idée pernicieuse – d’autant qu’elle recontre aujourd’hui un grand succès – selon laquelle la maison romaine, rara avis dans l’histoire de l’architecture domestique, serait un collage de salles polyfonctionnelles dont l’utilisation aurait été décidée au jour le jour. Ni les sources littéraires antiques, qui signalent précisément les exceptions frappantes à l’utilisation normale des pièces, ni le dossier pompéien, qui se réfère à des maisons en travaux, ou dont la destination avait changé après le tremblement de terre de 62, ne permettent d’étayer cette thèse. Les critères avancés ici pour reconnaître certaines salles à manger – toitures plus élevées, propylées, sols en signinum peuvent parfaitement s’appliquer à des tablina ou à des oeci : faute d’arguments archéologiques précis, les exemples de salles qui pourraient avoir été adaptées à cet usage (p. 192) risquent donc d’alimenter un raisonnement circulaire, tendant à montrer que les triclinia, grand ou petits, s’ouvrent progressivement sur le paysage, et qu’ils se répartissent dans toute la villa, en réaction à la forme d’austérité que représenterait le péristyle (p. 196).

Le septième et dernier chapitre se propose de tirer la somme de cette nouvelle approche de la villa romaine, sur laquelle aucune véritable étude, sur le plan architectural, n’aurait été jusqu’à présent menée (p. 213). Ses conclusions soulèvent cependant quelques perplexités : si l’on peut à la rigueur admettre que les villas de son corpus n’ont pas de “distinct core”, c’est loin d’être le cas pour d’autres édifices qui ne sont pas considérés ici – la Villa des Mystères à Pompéi, celle du château aragonais de Baïes, ou la Villa Jovis à Capri , par exemple ; je ne suis pas sûr non plus qu’on puisse réellement affirmer (p. 221) que “the atrium, or entrance room” perde toute signification sociale dans les villas, dont les fonctions ne se résumaient pas à l’ otium des sources littéraires. Le reste du chapitre évoque l’importance de la circulation de l’air et de la lumière, et du rôle de l’eau (intéressante application de la notion de “white noise”, p. 231), au sein d’une architecture qui abolit les différences marquées entre extérieur et intérieur, souvent à partir de parallèles, parfois pertinents, parfois un peu forcés, avec l’architecture de la Renaissance et contemporaine. Cette “architecture of senses”, présentée comme une chaîne de salles construites en séquence, en fonction de leur relation avec le paysage environnant, invite à une expérience physique qui risque toutefois d’être difficilement perceptible au lecteur. La villa est présentée en définitive, et de manière assez classique, comme le “product of a dynamical architectural design process that responded to elite Roman social and political needs, and was shaped by their cultural choices” (p. 241).

En conclusion, cet ouvrage stimulant présente à mon sens pour principale faiblesse, outre l’absence d’un chapitre consacré aux balnea, le choix même du corpus de villas étudié qui a amené l’auteur, faute de classement typologique préalable de l’ensemble des édifices et de leurs différentes composantes, à des conclusions qui devraient théoriquement pouvoir s’appliquer à toutes les villas de luxe vésuviennes (et d’ailleurs), mais qui auraient été bien différentes si elle avait inclus des constructions appartenant manifestement à une autre tradition architecturale, qui ont en commun de présenter un plan centré clairement structuré, et qui témoignent ainsi de la complexité d’un phénomène dont ce livre n’envisage probablement pas tous les facettes.

Notes

1. Les raisons de ce choix ne sont pas clairement explicitées, et l’on peut s’interroger sur l’opportunité d’inclure dans ce corpus la Villa Arianna B, partiellement dégagée, et qui pourrait n’être qu’une partie de l’immense Villa Arianna A (cf. fig. 2.24).

2. À la p. 140, utile tableau des surfaces concernées.

3. On peut s’étonner de l’absence de tout chapitre consacré aux balnea privés, qui forment pourtant un élément essentiel de l’architecture du luxe dans ces villas (voir, en dernier lieu, N. De Haan, Römische Privatbäder. Entwicklung, Verbreitung, Struktur und sozialer Status, Pieterlen, 2010) : comme le souligne justement l’auteur (p. 15), “elite dining practices complemented elite bathing habits”. Sur la question du luxe privé, qui est au centre de sa réflexion, l’auteur aurait pu citer E. Dubois-Pélerin, Le luxe privé à Rome et en Italie au I er siècle après J.-C., Naples, 2008.

4. Fig. 2.4 et 12, 4.18-19, 6.24-25 et 7.20-21, qui permettent de bien appréhender l’architecture de la villa. Ces documents figuraient déjà dans une monographie dirigée par l’auteur, parue en 2010 (voir BMCR 2011.10.58).

5. Faute de fouilles complètes sur la plupart de ces sites, on peut s’interroger sur l’interprétation de certaines de ces structures : dans la Villa Oplontis A (fig. App.2), est-on sûr que certains des trois “porticus-garden” ne se refermaient pas en “peristylium-gardens” ; et, à l’inverse, dans la même villa (fig. App. 3), a-t-on la preuve que le “peristylium-garden” C.1 n’était pas en fait un “porticus-garden” ?

6. La question des gymnases a récemment été reprise par B. Emme, dans Peristyl und Polis. Entwicklung und Funktionen őffentlicher griechischer Hofanlagen, Berlin-Boston, 2013, aux p. 123-158, qui traite aussi de l’association entre péristyle et salles de banquet (p. 58-85) ; l’auteur consacre également quelques pages très denses aux palais et aux maisons, et à la réception du modèle dans l’architecture italique (p. 233-241).