BMCR 2014.03.11

Nîmes et ses Antiquités: un passé présent XVIe-XIXe siècle. Scripta antiqua, 53

, , Nîmes et ses Antiquités: un passé présent XVIe-XIXe siècle. Scripta antiqua, 53. Bordeaux: Ausonius Éditions, 2013. 335. ISBN 9782356130822. €30.00.

[Authors and titles are listed at the end of the review.]

L’ouvrage édité par V. Krings et F. Pugnière est un livre rassemblant treize études sur la réception de l’Antiquité à Nîmes entre la Renaissance et le XIXe siècle. Les approches, volontairement pluridisciplinaires, visent à éclairer le lien entre l’histoire de la ville et son passé. Il s’inscrit dans une série d’études sur la réception de l’Antiquité développées autour de l’équipe PLH-ERASME de Toulouse, féconde en productions ces dernières années.1 Pourquoi Nîmes ? Les éditeurs s’en défendent d’emblée : il s’agit de l’une des villes de France où les monuments romains sont les mieux conservés, et qui a donné le plus d’antiquaires, au sens large d’amateurs éclairés amoureux de l’Antiquité.

L’excellente carte préliminaire donne le ton : le lecteur est introduit à Nîmes par un plan retraçant l’évolution des limites de la cité et l’histoire de la redécouverte des principaux monuments romains. Le voyage commence.

Après de rapides « Propos liminaires » de F. Pugnière, V. Krings livre un « Prologue » original. Pour présenter les contributions, elle établit un glossaire, de « Antiquaires » à « Voyages et voyageurs ». Chaque rubrique retrace l’histoire lointaine et récente du concept, en l’éclairant par de nombreuses références bibliographiques n’oubliant jamais les derniers débats historiographiques, et ouvre de façon suggestive sur les études présentées dans le livre. Ainsi, l’entrée « Colonia Augusta Nemausus » retrace en une page l’histoire de la cité et de son urbanisation de la conquête romaine à l’Antiquité tardive, tandis que « Mémoire » parvient à résumer l’opinion de cinq penseurs en une demi-page (C. Péguy, N. Offenstadt, P. Ricoeur, M. Halbwachs et P. Nora). Cette présentation induit quelques redites, mais on les pardonne devant l’utilité et la qualité de ce glossaire.

Les contributions sont ensuite rassemblées par époque : d’abord celles qui prennent en compte toute la période, puis la Renaissance et l’âge classique, le Siècle des lumières, et enfin le XIXème siècle. La périodisation aurait pu être plus justifiée, bien qu’elle soit discutée par les auteurs au début de l’ouvrage ; en effet, les contributions s’arrêtent souvent comme en plein élan, et on ne peut s’empêcher d’attendre la suite dont on est frustré. Les césures historiques traditionnelles rendent-elles vraiment compte du rythme propre à Nîmes ? D’autre part, le choix d’articles couvrant toute la période en début de volume induit quelques redites. Des répétitions ponctuent évidemment toujours ce type d’ouvrage, et les articles ne profitent pas nécessairement l’un de l’autre. Ainsi, la conclusion de F. Lemerle répète en quelques lignes l’argumentaire détaillé de G. Caillat. Les mêmes personnages apparaissent évidemment à de plusieurs reprises, et les présenter n’est pas utile à celui qui lit l’ouvrage dans son intégralité, mais l’est pour le lecteur intéressé par un seul article.

Les études étant variées, elles adoptent des approches différentes : certaines livrent un matériau très riche (O. Cavalier), tandis que d’autres misent plus sur les idées (M. Christol). Les articles sont tantôt bien illustrés, tantôt peu, et il manque parfois des renvois dans le texte à ces utiles figures. L’ampleur du propos est également différente en fonction des auteurs et des approches. Enfin, certains articles sont très brillants, tandis que d’autres sont d’un apport plus limité, ce qui est toujours le cas dans ce type de recueil.

Les études portant de façon générale sur les monuments et les antiquaires nîmois sont de grande qualité.

G. Caillat démontre brillamment la façon dont les autorités consulaires et le pouvoir royal cherchèrent chacun à s’approprier les monuments antiques pour renforcer leur propre emprise sur la ville. La lecture en est claire et agréable, mais s’arrête presque brusquement à la fin de la période choisie ; il aurait peut-être fallu justifier les bornes chronologiques, certes imposées par l’ouvrage.

O. Parsis-Barubé étudie tout aussi minutieusement, grâce à de nombreux textes, la « mutation du statut des antiquités », pour montrer comment se fait le passage des Antiquités à l’archéologie, et comment les monuments trouvent petit à petit leur place dans l’écriture de l’Histoire.

F. Lemerle évoque la réception des antiquités nîmoises à l’époque moderne. Le plan est un peu déroutant (étude du paysage des érudits et collectionneurs, puis de la réception de chaque monument), mais sa clarté permet de se faire une bonne idée de la vision des hommes des XVIe-XVIIe siècles sur leur propre passé. La conclusion paraît quelque peu détachée de l’article ; elle le problématise toutefois.

F. Pugnière ouvre le chapitre consacré aux Lumières. Son travail à la fois large et précis est très agréable à lire. On aurait peut-être aimé plus de citations et de planches pour illustrer le propos très bien problématisé. S’attachant aux différents antiquaires, il étudie l’évolution des méthodes conduisant des sciences antiquaires à l’archéologie. Son sujet recoupe celui de O. Parsis-Barubé, mais il l’aborde de Nîmes, sur une plus courte période, et ne le répète donc pas, si ce n’est qu’il confirme sa conclusion à l’échelle locale.

F. Bercé montre de façon convaincante comment la politique de conservation à Nîmes a débouché sur des restaurations complètes, alors que le propos initial était de garder les monuments en l’état. L’exemple de l’amphithéâtre est particulièrement bien étudié, et permet de comprendre ce basculement. Certaines illustrations, dont les photos de Baldus réalisées au milieu du XIXe siècle, sont très intéressantes, alors que d’autres présentent un intérêt anecdotique au vu de la richesse du volume en planches anciennes.

Les études de détail sont inégales mais apportent souvent une foule d’informations et surtout la couleur locale rendant le volume bien vivant.

V. Lassalle, en excellent connaisseur de Nîmes, revient complètement sur l’idée d’un oubli des modèles antiques. Il montre avec force détails et illustrations prises dans tout le paysage de la ville que les architectes de l’époque moderne se sont largement inspirés des modèles antiques locaux voire régionaux ; il s’attache pour cela à de nombreux éléments architecturaux et décoratifs, comme les rinceaux d’acanthe, les gargouilles zoomorphes, etc. Il apporte ainsi une contribution majeure à la problématique du legs de l’Antiquité.

F. César et M. Freyssinet partent de l’idée d’un antagonisme entre Nîmes et Montpellier, montrant que les antiquaires issus des deux villes choisissent des directions différentes en raison des particularités de leurs métiers et de la présence ou non de monuments sous leurs yeux. Il se dégage surtout une figure commune, celle de l’Antiquaire, définie et étudiée de façon claire et perspicace par les auteurs. L’attachement constant à l’évolution chronologique est profitable au lecteur.

M. Christol avance l’idée que le faux de l’abbé Folard dénote sa possible implication dans les débats contemporains concernant la gestion de l’eau ; il s’agit d’une hypothèse de travail, car les preuves sont lacunaires, mais elle est stimulante.

O. Cavalier décortique avec moult détails la constitution de la collection du chanoine Pichony et tout le réseau des antiquaires qui l’entoure ; on s’y perd un peu et on aurait aimé plus de problématisation, mais la précision est inestimable ; on s’y croirait presque.

P. Pinon étudie un personnage, C.-L. Clérisseau, et sa grande œuvre, les Antiquités de la France. L’article manque quelque peu de problématisation et noie le lecteur sous les citations, parfois incomplètement analysées, sans lui proposer de mise en perspective. Ainsi, les réflexions de Clérisseau sur la datation des monuments et la détermination de leurs types, citées dès le début de la première partie, auraient pu illustrer la recherche par l’auteur d’une méthode scientifique d’étude des objets fondée sur les motifs décoratifs et la mise en série.

P. Trarieux s’attache aux « portraitistes de la Maison Carrée », sujet très précis et précieux, permettant de montrer l’évolution des méthodes de représentation et des exigences de précision scientifique. La conclusion très rapide aurait pu mieux problématiser l’article, et le lecteur aurait aimé qu’on lui explique pourquoi il fallait s’arrêter à Hubert Robert sans aller plus loin.

P. Tardat présente la figure controversée de J.F.A. Perrot. Son portrait finement problématisé permet de saisir une figure originale mais aussi un précurseur, à la charnière entre le temps des collections privées et celui des musées, terni aux yeux de ses contemporains par son activité marchande.

Enfin, H. Bocard retrace l’émergence de la photographie des Antiquités à Nîmes, Elle distingue deux périodes, celle des « photographes voyageurs » (1840-1860), puis celle des premiers ateliers professionnels locaux, apparaissant très peu après (à partir de 1845, et surtout des années 1860). Cette étude précise et bien illustrée (ce qui était attendu pour un tel sujet, mais pour quoi elle a utilisé de nombreux fonds) permet de voir l’évolution des sensibilités et de la mise en exergue des monuments, de photographies sur lesquelles on ajoute des personnages et de petites scènes pour faire plus pittoresque à d’autres où le monument est désormais seul, magnifié, considéré comme intérêt unique.

G. Sauron clôt l’ouvrage par un « Epilogue » dressant brièvement l’histoire de la réception de l’Antiquité et du devenir des monuments nîmois. On y est un peu dérouté au cinquième paragraphe, lorsque l’auteur reprend à la Renaissance pour évoquer l’imitation des monuments antiques puis les « figures originales » nîmoises, alors qu’il vient de terminer cette histoire. Sa conclusion est une thèse qu’il est possible de mettre en doute : celle de la conservation des vestiges en raison de leur « présence nécessaire ». L’hymne final à la beauté de l’art romain exprimée par Nîmes est quelque peu nîmo-centré, même pour les amoureux de la ville dont je fais partie : malgré la conservation exceptionnelle des monuments, et notamment de la Maison Carrée, il me semble que d’autres localités peuvent se glorifier de leurs vestiges romains, à commencer par la presque voisine Orange.

On trouve en fin de volume une bibliographie, un très utile index des personnes et un résumé des contributions.

Nîmes et ses Antiquités est ainsi un ouvrage de choix, fourmillant de références, qui aurait certes pu bénéficier d’une meilleure problématisation d’ensemble et peut-être d’une réflexion sur les césures temporelles. Le chercheur y trouvera de quoi réfléchir et se nourrir, la précision factuelle étant très satisfaisante et les réflexions stimulantes. Aux nécessaires vues d’ensemble s’ajoutent de vivants portraits et des études précises. Des comparaisons avec d’autres villes auraient été intéressantes et auraient permis de mieux se rendre compte des particularités de Nîmes.

Summaire

G. Caillat, La place des monuments antiques dans l’espace public à l’époque moderne : l’exemple de Nîmes
O. Parsis-Barubé, Mutations du statut des “antiquités“ dans la culture historienne en France, des Lumières au romantisme
F. Lemerle, La réception des antiquités nîmoises (1500-1650)
V. Lassalle, L’héritage de l’Antiquité dans l’architecture nîmoise de la Renaissance et de l’époque classique
F. César et M. Freyssinet, Curiosité antiquaire (1600-1750) : un antagonisme présupposé entre Nîmes et Montpellier ?
F. Pugnière, Antiquaires et Antiquité à Nîmes au Siècle des lumières
M. Christol, Un faux épigraphique de l’abbé Folard : une perversion du goût ?
O. Cavalier, “Né pour former un cabinet comme La Fontaine pour écrire des fables“. Les pagodes et marmousets du chanoine Pichony (1711-1785)
P. Pinon, Les Antiquités de la France de Charles-Louis Clérisseau
P. Trarieux, Les portraitistes de la Maison Carrée
F. Bercé, Restaurer au XIXe siècle ?
P. Tardat, Un antiquaire dans la “cité des Antonins“ : Jean-François-Aimé Perrot (1790-1867)
H. Bocard, L’Antiquité photographiée : l’exemple de Nîmes (1840-1870)
G. Sauron, Epilogue
Bibliographie générale
Index des noms de personnes
Résumés

Notes

1. C. Bonnet, V. Krings et C. Valenti, Connaître l’Antiquité: individus, réseaux, stratégies du XVIIIe au XXIe siècle. Histoire. BMCR 2011.07.53; V. Krings et C. Valenti, Les antiquaires du Midi: savoirs et mémoires, XVIe-XIXe siècle. BMCR 2012.03.15.