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Voici un quart de siècle (1987), le quinzième colloque de l’ Istituto nazionale di Studi etruschi ed italici, intitulé La civiltà dei Falisci, offrait aux chercheurs l’opportunité de faire le point sur ce peuple étrange, ni tout à fait latin, ni tout à fait étrusque. Dirigé par Gabriele Cifani, ce nouveau volume, sobrement illustré, se compose de 11 articles dus à 13 auteurs, presque tous italiens. Son titre, Tra Roma e l’Etruria, met singulièrement en avant un acteur pourtant très peu présent dans le volume : Rome, qui ne s’y inscrit qu’en creux, dans la mesure où le grand tournant de l’histoire des Falisques fut sans doute la chute de Véies1 en 396, qui allait permettre un développement autonome de leur région.
Au choix opéré par l’éditeur et qui suit, dans ses très grandes lignes, un ordre chronologique (du VIII e au III e siècle av. J.-C.), on peut préférer une organisation plus thématique : contributions générales (Cifani, Maras, Benelli) ; études des productions artisanales (Biella, Napolitano-Poccetti, Carlucci), fouilles d’habitat (Ceccarelli-Stoddart), fouilles de tombes (Bellomi, De Lucia, Michetti), sources littéraires (Di Fazio).
Trois contributions permettent de mieux cerner l’identité falisque. Celle de Gabriele Cifani (p. 1-53) pose les problèmes de l’ ethnos falisque et des sources susceptibles de le définir au travers de quatre phases : du Bronze final à l’époque archaïque (X e -VI e siècles), l’émergence de Véies et la création de centres satellites assurent le contrôle du Tibre ; au V e siècle, le déclin de Véies favorise le développement politique et identitaire de ces centres ; après 396, la rupture du lien territorial avec Véies se traduit par une expansion brillante des sites falisques (bénéficiant d’un apport démographique des transfuges de la ville détruite ?) ; après la destruction de Faléries, en 241, la confiscation de la moitié du territoire falisque permet la mise en place par Rome d’un vaste système de restructuration du territoire. Complémentaire de la précédente, l’étude de Daniele Federico Maras (p. 265-285) aborde, essentiellement du point de vue de l’épigraphie, la question de la présence étrusque dans l’ ager Faliscus. Elle souligne la complexité du problème, certaines cités falisques n’ayant livré que des inscriptions étrusques (Narce, dont l’importance est soulignée), tandis qu’inscriptions falisques et étrusques se côtoient ailleurs (Faléries, Corchiano, Vignanello). La diffusion des mêmes gentilices de Véies jusqu’à Chiusi témoigne par ailleurs de la mobilité humaine dans la vallée du Tibre. Cette porosité entre l’ ager Faliscus et les régions environnantes se retrouve dans la contribution d’Enrico Benelli (p. 313-323) qui examine le contexte archéologique de la Sabine tibérine, une aire tournée vers Véies et le Latium aux époques orientalisante et archaïque, et dans laquelle l’influence falisque s’affirme au IV e siècle. Mais ces deux entités ethniques sont bien distinctes, comme le montre la comparaison de leurs cultures épigraphiques.
Les progrès réalisés ces dernières années dans notre connaissance des productions falisques en terre cuite sont reflétés par trois contributions. Maria Cristina Biella présente (p. 107-133) un cadre détaillé de la culture céramique falisque, fondé sur l’examen de plus de 650 vases de l’Orientalisant moyen et récent, qui met en évidence la spécificité de l’impasto falisque, mais aussi la diversité des productions à l’intérieur de cette aire. Elle souligne le rôle de la classe artisanale dans la diffusion de l’écriture falisque, et l’importance de ses rapports avec le monde étrusque. Même si elle accorde une place importante à des considérations épigraphiques complexes, qui s’adressent davantage à un public de spécialistes,2 la contribution de Francesco Napolitano et Paolo Poccetti (p. 287-312) mérite d’être rapprochée de la précédente, parce qu’elle présente l’intérêt d’insérer l’étude d’une inscription dans son contexte, en tenant compte de la fonction de son support, un vase d’impasto de la seconde moitié du VII e siècle—une tafhna, terme étrusque utilisé pour désigner le calice, portant l’inscription Titi, probablement le nom du défunt, propriétaire de l’objet. Les auteurs analysent la signification de cette toute première attestation d’un génitif en – i, et soulignent la position anormale de l’inscription sous le pied du vase (aux différentes hypothèses examinées p. 297, on peut préférer celle d’une lecture facile lorsque le vase était déposé renversé, selon un usage courant, sur le kylikeion). Claudia Carlucci propose (p. 135-172) un réexamen de la coroplastique falisque entre la fin du VI e et le début du IV e siècle. Le début de cette phase voit émerger de nouvelles valeurs politiques et religieuses : si la documentation est restreinte dans le cas de Narce, avec deux temples de la première moitié du V e siècle témoignant l’un de rapports directs avec Véies (une “perfetta identità”, p. 137), l’autre de liens avec Faléries et Satricum, Faléries offre alors l’exemple d’une extraordinaire floraison, appelée à se poursuivre jusqu’au début du IV e siècle, avec cinq temples dont le décor composite témoigne de liens étroits aussi bien avec Véies qu’avec Rome et le Latium. Ce n’est toutefois que dans le premier quart du IV e siècle, après la chute de Véies, que la coroplastique falisque prend un réel essor, en liaison avec les écoles coroplastiques de Volsinies, de Tarquinia et de Caere—la cité apparaît ainsi un peu comme une “nouvelle Véies”.
Si rares sont les fouilles d’habitat en Italie centrale que celle que présentent Letizia Ceccarelli et Simon Stoddart (p. 217-230), à Nepi, offre un intérêt particulier. La petite cité occupe une position stratégique exploitée par les Romains en 383 avec la fondation d’une colonie latine. La fouille présentée ici a permis de remettre au jour des vestiges datés entre le dernier quart et le milieu du VI e siècle, puis du dernier quart du IV e au III e siècle. Compte tenu de la faible extension de la fouille, on hésite à suivre les auteurs lorsqu’ils l’interprètent comme une maison à deux pièces ; on peut aussi douter de l’“evidence for the transition of the embedded ritual from aristocratic ideology to the formal ritual of a sacred context” (p. 217), dans la mesure où près de deux siècles se sont écoulés entre les deux phases attestées, et où le passage du site sous contrôle romain a certainement entraîné des mutations importantes dans son mode d’occupation. L’existence d’un temple à proximité, du reste, ne peut être étayée par les pesons et la céramique étrusque figurée :3 en milieu urbain, en l’absence d’un contexte explicite, il est impossible de décider s’il s’agit de présents votifs plutôt que d’objets de la vie quotidienne.
La publication de tombes peut également apporter des éléments importants au débat. C’est l’aristocratie falisque qu’évoquent les chars de l’Orientalisant ancien et moyen trouvés en milieu funéraire, témoignant de la présence sur place d’un artisanat étroitement spécialisé, qui font l’objet de l’étude de Marta Bellomi (p. 85-105) : currus rapide ou carpentum de transport, attestés en nombre égal par une vingtaine d’exemplaires,4 et également répartis en fonction du genre. Maria Anna De Lucia Brolli présente (p. 55-83) le matériel de la tombe 5 de Valsiarosa (Faléries), utilisée au cours de l’Orientalisant moyen et au début de l’époque hellénistique. Sa première occupation se signale par la richesse extrême du mobilier qui comporte, outre des armes et des éléments de harnachement, des bijoux en or ou en argent ; la seconde est beaucoup plus modeste. L’étude de la nécropole lui permet notamment de souligner son caractère organisé (p. 57) et de retracer une forme de transition de la tombe à fosse à la tombe à chambre.5 C’est également un hypogée à la longue durée d’occupation, la tombe 4 du sepolcreto III de Corchiano, dont traite Laura Maria Michetti (p. 173-216), qui souligne elle aussi la planification de la nécropole, dotée d’un petit édicule funéraire, qui témoignerait, avec la construction de l’enceinte, de la présence d’un pouvoir politique fort, “probabilemente sotto l’egida della capitale falisca” : pourtant, ce site de frontière (p. 176) pourrait tout aussi bien être interprété comme une forteresse étrusque.6 Cette tombe ne paraît avoir contenu que 4 dépositions, bien séparables en deux groupes, l’un compris entre 430 et le début du IV e siècle, l’autre entre 325 et 250 : toutes féminines,7 étaient-elles liées entre elles par une fonction religieuse commune ? En liaison avec l’édicule de carrefour, situé tout près ?
La dernière grande source exploitée dans ce volume est la tradition littéraire reflétant les spécificités de l’ ager Faliscus, avec la contribution de Massimiliano Di Fazio (p. 231-264) consacrée à un groupe familial singulier vivant au pied du mont Soracte, les Hirpi, connus pour marcher sur le feu au cours de cérémonies rituelles. L’auteur en examine attentivement les attestations chez Pline, Solin, Strabon et Virgile, et surtout chez Servius, et démêle avec brio les fils d’un rapprochement abusif de ce dernier entre les Hirpi et les Hirpiniens, qui visait sans doute à mieux expliquer un passage de l’ Énéide.
Ce volume rend donc bien compte de la complexité du monde falisque aux différents stades de son développement—et au tout premier chef de son rapport étroit avec Véies. La difficulté qui subsiste à cerner une identité et une culture falisques y est évidente. Et s’il fallait les ancrer véritablement dans un territoire, les difficultés ne seraient pas moindres, notamment vers le nord : celui-ci confinait-il avec celui de Volsinies, selon l’hypothèse traditionnelle ? Ou avec celui de Tarquinia ? Les dynamiques territoriales propres à cette zone, du fait de la proximité de la puissante cité de Faléries et du rôle de grande voie de communication joué par la vallée du Tibre, contribuent à brouiller les cartes, et les données fournies par l’archéologie ou l’épigraphie. Gageons que les Falisques n’ont pas fini de susciter la curiosité et de stimuler l’ingéniosité des chercheurs.
Sommmaire
Gabriele Cifani, Per una definizione storica dei falisci, tra identità, cultura e territorio (p. 1-53)
Maria Anna De Lucia Brolli, La tomba 5 della necropoli di Valsiarosa nel quadro dell’Orientalizzante di Falerii (p. 55-83)
Marta Bellomi, Osservazioni preliminari sui carri del territorio falisco (p. 85-105)
Maria Cristina Biella, La polifonia dell’artigianato ceramico (p. 107-133)
Claudia Carlucci, Linee di sviluppo della coroplastica falisca tra le età tardo arcaica e classica (p. 135-172)
Laura Maria Michetti, Appunti sull’agro falisco tra V e III sec a. C. alla luce di un corredo di Corchiano (p. 173-216)
Letizia Ceccarelli et Simon Stoddart, Nepi: nuovi dati dallo scavo in area urbana, p. 217-230)
Massimiliano Di Fazio, Gli Hirpi del Soratte (p. 231-264)
Daniele Federico Maras, Questioni di identità: etruschi e falisci nell’agro falisco (p. 265-285)
Francesco Napolitano, Paolo Poccetti, La Tafhna di Titos: alcune notazioni a margine (p. 287-312)
Enrico Benelli, Agro falisco e Sabina: qualche osservazione (p. 313-322)
Notes
1. Voir, en dernier lieu, R. Cascina, H. di Giuseppe et H. L. Patterson (dir.), Veii. The Historical Topography of the Ancient City. A Restudy of John Ward-Perkins’s Survey, Rome, 2012.
2. Mise au point récente sur le falisque : J. Hadas-Lebel, La variante falisque, dans G. van Heems (dir.), La variation linguistique dans les langues de l’Italie préromaine, Lyon, 2011, p. 155-168.
3. Compte tenu de sa morphologie et de son décor, l’œnochoé illustrée pl. 7, 1, semble appartenir au groupe de Sokra, plutôt qu’à celui du Fantôme. Sa chronologie devrait donc être relevée d’un quart de siècle environ.
4. Un fait en soi remarquable, puisqu’en milieu italique on compte 1 currus pour 7 carpenta (p. 92).
5. À rapprocher, pour Véies, de L. Drago, Aspetti dell’Orientalizzante antico a Veio. Dalla tomba a fossa alla tomba a camera, dans A. Capoferro, L. D’Amelio, S. Renzetti (dir.), Dall’Italia. Omaggio a Barbro Santillo Frizell, Florence, 2013, p. 19-44.
6. Dont on pourrait proposer l’identification avec un des oppida tarquiniens de Cortuosa ou Contenebra, conquis par les Romains en 384-383 (cf. V. Jolivet, Nouvelles frontières, nouveaux horizons : les contours changeants du territoire de Tarquinia, dans Mélanges offerts à Dominique Briquel, sous presse).
7. Il ne s’agit pas d’un unicum : on retrouve une situation similaire, par exemple, dans la tombe Bruschi de Tarquinia.