BMCR 2014.01.51

The Ayl to Ras an-Naqab Archaeological Survey, Southern Jordan 2005-2007 (2 vols.). American Schools of Oriental Research archeological reports, 16

, , , , , The Ayl to Ras an-Naqab Archaeological Survey, Southern Jordan 2005-2007 (2 vols.). American Schools of Oriental Research archeological reports, 16. Boston: American Schools of Oriental Research, 2012. xvi, 534; 1 CD. ISBN 9780897570855. $149.95.

La publication présentée ici réunit en deux volumes les résultats d’une prospection menée entre 2005 et 2007 en Jordanie par une équipe américano-canadienne placée sous la direction de Burton MacDonald (St. Francis Xavier University, Antigonish, Nouvelle-Écosse). Ce projet s’inscrit dans la lignée d’autres prospections menées par la même équipe en territoire édomite et au sud-est de la mer Morte, « The Wadi al-Hasa Archaeological Survey » (1979-1983), « The Southern Ghors and North-east ‘Araba Archaeological Survey » (1985-1986) et « The Tafila-Busayra Archaeological Survey » (1999-2001). Fruit de la collaboration d’une demi-douzaine de chercheurs très aguerris, les recherches couvrent une région de 860 km ² située dans le secteur méridional du plateau transjordanien, au nord de la césure géologique marquée par la dépression du Ras an-Naqab, au-delà de laquelle l’environnement change radicalement pour s’apparenter à celui du Hedjaz. La région prospectée avait jusque là fait l’objet de recherches éparses (N. Glueck, S. Hart, D. Graf), inégalement relayées dans les projets JADIS et MEGA-Jordan. Le livre recensé présente une première approche systématique et diachronique du territoire exploré. La prospection couvre trois espaces géophysiques parallèles, les escarpements situés à l’ouest du plateau (zone 1, alt. 1100-1500 m), ses sommets occidentaux qui bénéficient de la meilleure pluviosité régionale (zone 2, alt. 1700-1500 m) et les extensions steppiques orientales (zone 3, alt. 1500-1200 m) limitées par l’oasis de Ma‘ân. Un catalogue de 389 sites est ainsi présenté, parmi lesquels figurent près de 350 inédits ; il est suivi d’un second catalogue de 140 secteurs de 500 m x 500 m distribués de manière aléatoires sur le territoire (« random squares »), prospectés durant les deux dernières saisons suivant une méthodologie éprouvée par ailleurs (« transect survey »); l’ouvrage est complété par plusieurs contributions ponctuelles éclairant respectivement le paléolithique sud-jordanien (G.A. Clark), les inscriptions et graffites rencontrés (M.C.A. Macdonald) et deux synthèses de B. MacDonald, l’une portant sur la distribution chronologique et spatiale des sites, l’autre élargissant l’analyse à l’ensemble du territoire compris entre le Wadi el-Hasa et le Ras an-Naqab. En dépit de ce dernier effort de synthèse, l’ouvrage, qui contribue sans doute possible au progrès de nos connaissances de la région, n’a pas vocation à apporter de réponses neuves à des questions qui dépassent largement ses objectifs initiaux : enregistrer avant leur destruction autant de sites que possible sur le territoire étudié.

Outre une introduction méthodologique de B. MacDonald, (chap. 1, p. 1-10) suivie d’une liste des sites identifiés (p. 11-21), d’une seconde liste de 62 sites qui mériteraient une recherche approfondie (p. 21-26) et d’un index typologique (p. 25-26), le premier volume est essentiellement consacré au catalogue des 389 sites visités (chap. 2, p. 27-319). Chaque fiche contient une description sommaire, la bibliographie antérieure éventuelle et, dans la majorité des cas, une présentation du matériel archéologique de surface (dessin de la céramique et des objets lithiques). La fiche descriptive n’est malheureusement accompagnée d’aucun relevé des vestiges ou plan topographique. Cette absence, qui résulte d’un choix visant à l’efficacité et au moindre coût, est évidemment regrettable. Les informations publiées dans le catalogue sont reprises dans un CD joint en fin du volume 2, où elles sont complétées par des photographies de terrain.

Le second volume s’ouvre par le catalogue des 140 « secteurs aléatoires », comprenant une présentation succincte des zones prospectées et le matériel céramique et lithique recueilli (chap. 3, p. 321-390). L’inaccessibilité de certaines zones test explique que le ramassage n’a pas été effectué partout. Par ailleurs, la céramique reportée dans ces zones provient parfois quasi exclusivement des sites compris dans lesdits espaces et signalés dans le premier volume (par. ex. RS 54 dont le matériel vient du site 064) ; la confrontation des deux données permet parfois de caractériser l’environnement immédiat des sites.

G.A. Clark signe seul la synthèse relative à l’occupation de la région au paléolithique (chap. 4, p. 391-407). Quatorze sites majeurs et douze « random squares », originellement situés en bordure de lacs fossilisés, anciennement ou nouvellement identifiés, et plus rarement à proximité de sources, reçoivent une description spécifique. L’auteur souligne la médiocrité de la conservation des environnements originels paléolithiques dans la région étudiée et leur concentration dans les zones les moins élevées (1 et 3). La contribution se clôture par une utile synthèse générale, élargie à l’ensemble de la Transjordanie.

B. MacDonald présente ensuite une analyse de l’occupation du territoire sur base de la répartition de la céramique identifiée tant sur les sites que dans les « random squares » (chap. 5, p. 417-432). Elle met tout d’abord en évidence ce que l’auteur qualifiera dans sa conclusion de pics d’occupation « filling-up » (essentiellement Fer II, Nabatéo/romain, Byzantin et ottoman récent), et de creux « emptying out » (néolithique, Bronze ancien et moyen, Perse et hellénistique), similaires à ceux observés sur le plateau plus au nord, du Wadi el-Hasa aux régions de Tafila et de Busayra. On rappellera que P. Bienkowski a cependant déjà eu l’occasion d’attirer l’attention des auteurs sur les dangers qu’il y a à suggérer des mouvements de récession sur la seule base de la céramique de surface, par ex. pour les époques perse et hellénistiques, dès lors que la tradition céramique considérée comme relevant du Fer II pourrait en réalité descendre jusqu’à ces périodes.1 La distribution spatiale de la céramique permet ensuite à B. MacDonald d’identifier les zones les plus densément occupées du plateau, en l’occurrence et en particulier la zone centrale durant le Fer II, les époques romaine et byzantine. L’auteur explique cette apparente concentration de sites par le potentiel agricole prêté à cette portion la plus élevée de la montagne (1500-1700 m) bénéficiant en effet de la meilleure pluviométrie régionale. L’image générale livrée par ces distributions céramiques gagnerait cependant à être nuancée – mais tout est bien entendu question de valeurs et d’échelle –, car ces variations de potentiels impliquent par définition des modes de mise en valeur qui le sont tout autant : ainsi des exploitations du domaine steppique qui tirent parti de sources pérennes indisponibles sur les hauteurs et font par conséquent appel à de techniques d’irrigation impossible à mettre en œuvre dans le segment central (par exemple par qanats) ; elles induisent, outre l’implication probable d’autorités extérieures dans la gestion des ressources et des technologies, des variations régionales de taille d’exploitation et, partant, de densités de sites observables. 2

M.C.A. Macdonald, l’éminent spécialiste oxonien de l’épigraphie des confins désertiques proche-orientaux, signe un chapitre consacré aux inscriptions rencontrées par les prospecteurs (chap. 6, p. 433-465). Les textes déchiffrés ont été lus sur base de photographies, ce qui entraîne un certain nombre d’incertitudes. Ils sont accompagnés d’une photographie, d’un dessin au trait réalisé à partir de celle-ci (et non d’un fac-similé au sens strict), d’une translittération, d’une traduction et d’un apparat critique. Le chapitre enrichit donc le corpus d’une septantaine de signatures, de trois textes en écritures nord arabiques anciennes (« Hismaic d » et « Thamoudic b », suivant la nomenclature explicitée ailleurs par M.C.A. Macdonald), d’une quinzaine de signes tribaux (« wusûm ») et de divers dessins. Les textes ne sont suivis d’aucun commentaire général. On peine du reste à saisir sur quoi repose l’assertion de B. MacDonald à la fin du chapitre précédent p. 430, reprise p. 468, selon laquelle « the sites at which the Hismaic inscriptions are found may probably be dated to the time when the Nabataeans were in the area. The basis for this assertion is that those responsible for these inscriptions were contemporaries of the Nabataeans, since they have names formed with those of Nabataean kings and queens (M.C.A. Macdonald, pers. comm.) ». Sauf erreur, aucune inscription du corpus présenté ne paraît confirmer cette proposition.

Le second volume se referme sur un chapitre plutôt disparate de B. MacDonald, principal maître d’œuvre de l’entreprise (chap. 7 ; p. 467-478). Après un paragraphe de toute évidence destiné aux organismes financeurs et indiquant sans rougir que les objectifs de la prospection ont été rencontrés (« ARNAS objectives achieved »), B. MacDonald évoque sans transition le Khatt Shahîb, long mur de direction nord-sud, observé sur la frange occidentale du plateau sur près de 175 kilomètres, du wadi el-Hasa au Ras en Naqab. L’interprétation avancée dès 1948 par A. Kirbride selon laquelle la structure signale une frontière entre domaines nomade et sédentaire est reprise sans réelle discussion ; de même, en l’absence de nouveau matériel archéologique (site 050), les propositions chronologiques anciennes, qui vont du pré-nabatéen à l’époque médiévale, sont relayées sans discussion (p. 468-469). Dans le paragraphe suivant qui tient en une demi colonne (« The ARNAS territory, its agricultural ressources, and Petra »), l’auteur souligne que l’espace prospecté a dû constituer la principale réserve alimentaire de Pétra, aux époques romaines et byzantine. C’est expédier un peu vite une question essentielle et mésestimer peut-être l’importance de centres secondaires, tels Udruh à l’est ou Humayma au sud, qui se sont développés aux mêmes époques et ont pu ainsi constituer autant de foyers justifiant l’exploitation des territoires adjacents. 3 Le paragraphe suivant traite du réseau de routes, exploré dans les années 1980/90 par D. Graf, complété par quelques découvertes ponctuelles, segments pavés et fragments de milliaires anépigraphes (donc originellement peints ?) et parfois déplacées (carte fig. 7.1 p. 470), l’auteur concluant à une surimposition – en réalité toute relative – de la via nova sur la King’s Highway biblique.

B. MacDonald clôture le chapitre par une synthèse, élargie au territoire sur lequel portaient les quatre prospections qu’il a dirigées entre 1979 et 2007. Elle rejoint l’image généralement acquise de l’occupation du plateau édomite, celle d’une présence centrée sur des villages au Néolithique et sur ce qui est interprété ici comme des « camps saisonniers » au Chalcolithique ; celle aussi d’un contraste déjà noté entre la présence de sites au Bronze Ancien et leur quasi absence aux Bronze moyen et récent. Si l’auteur associe l’occupation du secteur au Fer I à l’exploitation minière, les développements du Fer II (8 e -6 e s.) résulteraient d’un apport de peuplement extérieur (p. 474) et d’un accroissement de la population, centrée sur les villages agricoles, fermes et hameaux identifiés en prospection, mais partageant ses activités entre agriculture et pastoralisme. B. MacDonald intègre ces développements dans un schéma macro-historique, associant l’intérêt stratégique de pouvoirs forts (édomites, assyriens) pour le minerai, à la création de « services » appuyés par une population agricole bénéficiant de cette stabilité et d’avancées technologiques. Revenant sur les débats relatifs à la diffusion de la céramique édomite peinte / ou céramique de Buseirah, il souligne son absence apparente dans les espaces ruraux. Hypothèse intéressante, il suggère l’établissement d’un lien entre l’apparente diminution de l’occupation du plateau aux époques perse et édomite et la libération de terres en Cisjordanie consécutive à la destruction de Jérusalem et à la déportation de populations juives en Babylonie. Le schéma mis en œuvre pour expliquer les développements de l’âge du Fer II est à nouveau reproduit, associé ici à une amélioration générale des conditions climatiques, pour expliquer l’accroissement de l’occupation du plateau à l’époque romaine (63 av. – 324 ap. J.-C.). On ne pourra que regretter ici l’indistinction établie entre la période nabatéenne au sens strict et celle qui suit la création de la Provincia Arabia en 106, clef de lecture totalement occultée dans cette synthèse ; de même, la vision traditionnelle selon laquelle la diminution de l’activité caravanière nabatéenne a justifié une politique volontariste de la part d’Arétas IV et de Rabbel II en faveur de l’agriculture (p. 475) est relayée sans discussion. L’analyse des périodes suivantes reste superficielle et se limite à des constats bien établis : florès à l’époque byzantine, importance des axes reliant La Mecque aux capitales omeyyade puis ottomane, contraste entre la richesse de la dépression de la mer Morte liée à l’exploitation de la canne à sucre et la pauvreté du plateau aux époques ayyubide et mamelouke. Cette synthèse, articulée sur des données statistiques trop générales et qui gomment par définition les indispensables nuances introduites par la fouille, a certes le mérite de livrer une tentative d’analyse macro-régionale mais n’évite pas l’écueil d’une perception historique modélisée à l’extrême, au risque de paraître théorique, réducteur voire simpliste. Ceci étant, le travail de B. MacDonald reste particulièrement méritoire car il n’est pas de matériel plus ingrat que celui recueilli en prospection archéologique. À bien des égards, B. MacDonald se pose ici en défricheur, et livre un ouvrage important pour les informations brutes qu’il met à la disposition de la communauté scientifique, même si ses parties proprement analytiques restent en deçà des espoirs légitimes du lecteur.

Sept annexes, qui sont en réalité des listings, parfois incomplets – ainsi de l’annexe 1 qui présente les coordonnées, noms et fonctions principales des seuls sites prospectés en 2005 – (p. 479-515), une bibliographie (p. 517-531), une biographie des principaux contributeurs (p. 532) et un bref mais utile index (p. 533-534) clôturent ce second volume.

Notes

1. P. Bienkowski, Compte-rendu de Burton MacDonald, Larry G. Herr, Michael P. Neeley, Traianos Gagos, Khaled Moumani, Marcy Rockman, The Tafila-Busayra Archaeological Survey 1999-2001, West-Central Jordan, dans BASOR 341, 2006, 65-67; P. Bienkowski, « The Iron Age in Petra and the issue of continuity with Nabataean occupation », in M. Mouton, St. Schmid (eds), Men on the Rocks, The Formation of Nabataean Petra, Berlin, 2013, 23-34.

2. Par exemple P. Kouki, « Archaeological evidence of Land tenure in the Petra region, Nabataean-Early Roman to Late Byzantine », Journal of Mediterranean Archaeology 22.1, 2009, 29-56 ; F. Abudanh and S. Twaissy, « Innovation of Technology Immigration ? The Qanat Systems in the Regions of Udruh and Ma’an in Southern Jordan », BASOR 360, 2010, 67-87.

3. L. Tholbecq, « The Hinterland of Petra (Jordan) and the Jabal Shara during the Nabataean, Roman and Byzantine periods », in M. Mouton, St. Schmid (eds), Men on the Rocks, The Formation of Nabataean Petra, Berlin, 2013, 295-312.