BMCR 2013.09.55

Blood, Sweat, and Tears: The Changing Concepts of Physiology from Antiquity into Early Modern Europe. Intersections, 25

, , , Blood, Sweat, and Tears: The Changing Concepts of Physiology from Antiquity into Early Modern Europe. Intersections, 25. Leiden; Boston: Brill, 2012. xxvi, 772. ISBN 9789004229181. $297.00.

Preview

Ce collectif résulte d’une sélection de communications présentées lors du colloque international tenu en avril 2009 au Netherlands Institute for Advanced Study in the Humanities and Social Sciences (NIAS) à Wassenaar. L’importance et la richesse de ce volume sont une indication de la richesse elle-même de cette rencontre internationale. Le cadre culturel et chronologique proposé est d’une grande amplitude et parvenir à un ouvrage cohérent présentant une certaine unité était un défi que les éditeurs ont su relever à travers notamment le plan retenu pour la succession des différents articles.

Il n’était pas simple non plus de circonscrire le sujet retenu dont la plupart des articles, ainsi que la très bonne introduction par Helen King, montrent la polysémie et la labilité. Il existe en effet une parenté très forte entre la physiologie et la philosophie, la première ayant été souvent liée par la tradition à la philosophie naturelle. Le premier article de Vivian Nutton fait comprendre à quel point le terme même de « physiologie » a pu être un concept aux frontières changeantes, allant de la simple anatomie raisonnée à un système plus élaboré du vivant. De même l’étude de Julius Rocca consacrée à l’interprétation du concept galénique de pneuma confirme l’impossibilité d’envisager les concepts de la physiologie indépendamment des systèmes philosophiques qui ont pu leur donner naissance. Les différentes contributions renvoient largement aux travaux d’A. Cunningham, qui donnent à ce jour parmi les synthèses les plus pertinentes et les plus complètes sur l’organisation conceptuelle de la pensée médicale en Occident ( The Anatomical Renaissance. The Revival of the Anatomy Projects of the Ancients, Aldershot, 1997 ; « The Pen and The Sword : Recovering the Disciplinary Identity of Physiology and Anatomy before 1800 I : Old Physiology – The Pen », Studies in History and Physiology of Science. Part C. Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, 33, 2002).

Après une première partie contextuelle, les éditeurs ont fait le choix de structurer le propos autour des humeurs ou des éléments liés au corps : sang (partie où il est également question du sperme et du lait) ; sueur et peau ; larmes et vue ; corps et âme. Cette dernière partie pourrait donner l’impression de s’intégrer plus difficilement dans le programme précédent mais il faut garder à l’esprit que l’âme est, dans la tradition héritée de l’Antiquité, un souffle, c’est-à-dire un fluide élémentaire, parcourant et animant le corps. Son introduction dans l’ensemble confirme en revanche sans ambiguïté la dimension proprement philosophique de la pensée physiologique, puisque cet enjeu de la relation entre l’âme et le corps constitue l’une des pierres de touche de la réflexion philosophique.

Compte-tenu de la grande étendue du corpus et de l’extrême variété des sources réunies dans ce volume, il n’est pas possible d’entrer ici dans le détail des articles ni de proposer un bilan critique global. Je me limiterai à quelques remarques ponctuelles.

C’est un lieu commun de la rhétorique, au moment d’introduire son sujet, que de déclarer qu’il a été peu traité jusqu’alors. Helen King ne fait pas défaut à cet usage dans son introduction, en déclarant que peu d’études ont été écrites sur la physiologie ancienne. Il faut modérer cette pétition de principe, qui n’est pas vérifiée par les faits. Nous manquons sans doute de grandes synthèses conceptuelles sur la pensée physiologique des Anciens, même si certains travaux, qui ne sont pas toujours cités par les contributeurs, remplissent ce programme. À seul titre d’exemple, l’importante monographie d’A. Debru publiée en 1996 posait déjà des jalons solides pour définir ce que pouvait être une physiologie dans le contexte de la médecine antique.1 Par ailleurs, s’agissant des humeurs et éléments organisant le plan de cet ouvrage, les études ne manquent pas, qui pour une bonne part contribuent à donner une image assez précise de la physiologie ancienne.2 Je ne multiplierai pas les exemples mais il est assez évident que le sujet n’est ni nouveau ni à découvrir. Cette première remarque n’enlève rien à la très grande originalité de nombre des articles contenus dans ces actes, qui font notamment découvrir des textes et des sources assez peu connues.

De ce point de vue, une présentation différente des données bibliographiques accompagnant chaque article aurait sans doute rendu un meilleur compte de cette richesse. Sources textuelles primaires et sources secondaires sont en effet listées et mêlées sans distinction. Outre le caractère académiquement contestable de cette absence de hiérarchie, le corpus des sources anciennes, médiévales et modernes passées en revue dans l’ensemble n’apparaît pas de manière immédiate lors de la consultation. L’ Index locorum placé en fin de volume est lui-même partiel puisqu’il ne reprend que les sources bibliques et gréco-romaines antiques, avec quelques mentions ponctuelles relevant du corpus médiéval. Beaucoup de textes et de passages cités tout au long de l’ouvrage sont ainsi passés sous silence. L’index général, plus complet, pallie toutefois ce manque en listant tous les auteurs modernes cités.

Je m’autoriserai une observation portant sur l’une des contributions recueillies, observation qui ne vaut qu’en tant qu’elle ne met nullement en cause la rigueur et l’intérêt du contenu et de l’argumentation. L’article de L. Taub met en évidence l’importance de la pensée analogique dans le raisonnement scientifique des Anciens à travers le recours aux modèles physiologiques dans l’étiologie météorologique. J’avais moi-même publié un article similaire en 2005,3 traitant du même sujet en partant des mêmes sources textuelles et s’appuyant sur une bibliographie secondaire assez proche de celle de L. Taub, développant une argumentation comparable sur le fond. Cette première contribution fut suivie d’autres articles ou chapitres, publiés en anglais ou en français dans des collectifs ou des actes de colloque, complétant la réflexion initiale. Je porte donc à la connaissance de l’auteur ces travaux où elle trouvera les linéaments de sa réflexion déjà posés et développés. Je lui accorde en retour crédit d’avoir porté à ma connaissance des travaux qui avaient jusqu’à présent échappé à ma connaissance. Une conclusion toute personnelle s’impose : passée la surprise initiale, une telle rencontre doit ramener le chercheur à une humilité salutaire qui lui fait comprendre qu’une pensée n’est jamais si originale ni si définitive au point d’interdire toute redite. L’abondance et la multiplication des publications rendent en outre ces coïncidences plus que probables et l’on ne dira jamais assez à quel point l’attention et la veille bibliographiques, qui sont le lot de tout chercheur, restent un exercice aussi nécessaire qu’impossible. Il est surtout heureux que l’argumentation de L. Taub ne contredise pas tout à fait la mienne.

Au final, compte tenu de l’ampleur des thématiques et des objets que ce recueil de contributions embrasse, on trouvera immanquablement des oublis ou des manques bibliographiques. Il n’en reste pas moins que cet ouvrage offre un état des lieux très complet assorti de réelles découvertes, y compris pour le spécialiste des sciences et de la médecine classiques.

Notes

1. Le Corps respirant. La pensée physiologique chez Galien, Studies in Ancient Medicine, 13, Brill.

2. Je renvoie à l’étude de P. Manuli et M. Vegetti, Cuore, sangue e cervello : biologia e antropologia nel pensiero antico, Monografie, 7, Episteme, Milano, 1977.

3. « Microcosm and macrocosm : the dual direction of analogy in Hippocratic thought and the meteorological tradition », in Ph. Van der Eijk (ed.) Hippocrates in Context, Studies in Ancient Medicine, 31.