Ce volume de la Collection des Universités de France devait être initialement une collaboration entre Carmen Codoñer (Université de Salamanque) pour l’édition critique et Louis Callebat (Université de Caen) pour la traduction française. Ce sont finalement deux ouvrages distincts qui paraîtront : l’édition des Belles Lettres, avec un texte, une traduction et un commentaire de Louis Callebat, auxquels s’ajoute une étude métrique de Jean Soubiran ; et l’édition d’Alma Mater, la collection du CSIC, réalisée par Carmen Codoñer et traduite en espagnol par le poète Juan Antonio González Iglesias (Université de Salamanque).
Le volume des Belles Lettres propose une longue introduction (p. IX-LXXXVII) qui traite des aspects littéraires, métriques et ecdotiques des Priapées; le texte et sa traduction occupent 40 pages en pagination double ; suivent une bibliographie classée (p. 41-57), le commentaire du texte (p. 59-307) et un index des mots ou noms latins cités dans le poème (p. 309-313). Il est dommage qu’il n’y ait pas un index des premiers vers, qui permettent souvent de s’y retrouver plus vite qu’avec les numéros des Priapées. Trois illustrations agrémentent les débuts de ces grandes divisions, toutes des lampes à huile conservées à Naples, et datant du 1 er s. ap. J.-C. Au corpus des Priapea sont ajoutés, à titre de comparaison, six poèmes supplémentaires cités d’après l’édition Bücheler (voir l’introduction p. IX, XI, XX-XXI, LXIV1) Ces six poèmes reçoivent une traduction nouvelle, et sont commentés lors de l’introduction pour leurs différences, notamment métriques, avec le corpus retenu pour les 80 Priapées. Ils ne sont pas dotés, cependant, d’un apparat critique propre, ni d’un commentaire, ce qui est dommage, dans la mesure où certains d’entre eux ne pouvaient être rattachés qu’aux Priapées dans le cadre d’une édition critique. On regrette aussi que leurs références précises ne soient pas données (ex., le renvoi, pour 81, au CIL V, 2803).
L’introduction commence par présenter le dieu Priape dans le contexte gréco-latin (p. X-XV), et la difficulté d’en faire un portrait non brouillé par les sources littéraires. On signalera, à ce propos, que s’il est vrai qu’il est rapproché du dieu Mutinus Titinus chez les Latins (p. X), le rapprochement se fait plutôt en sens inverse : saint Augustin remplace le nom de l’inconnu Mutinus par celui, plus sulfureux, de Priape, dans un rite nuptial condamnable aux yeux des chrétiens, mais les deux cultes ne se superposent pas. Cette identification n’est pas une approximation : elle est délibérée de la part d’Augustin. La partie suivante s’intéresse au Priape littéraire (p. XV-XXI), et propose une distinction utile entre vraies Priapées (celles de l’ Anthologie grecque, qui inspirent largement nos Priapées) et anecdotes « intégrées » mettant en scène Priape, ou satires priapiques (chez Ovide ou Horace par exemple). Cela permet d’introduire la présentation des Carmina Priapea proprement dits (p. XXI-LXIV), et l’originalité de ce recueil de quatre-vingts épigrammes entièrement consacré au dieu Priape. L’étude de la cohérence de la structure, des thèmes, et aussi l’étude métrique de J. Soubiran viennent appuyer l’hypothèse actuellement dominante d’un auteur unique, contemporain de Martial (travaux de M. Citroni). C’est aussi la partie la plus novatrice de l’introduction, portant sur le genre et surtout le langage et la poétique des Priapées, qui seront plus précisément développés dans le commentaire.
L’édition critique des Priapées est une entreprise rendue très difficile par la date tardive des manuscrits qui transmettent l’œuvre. Le plus ancien manuscrit conservé est un autographe de Boccace, daté d’après 1340 ; les suivants ne seront pas réalisés avant 1420. La première édition imprimée est de 1469. En comptant les manuscrits réalisés après l’édition imprimée, qui représentent le plus grand nombre, cela donne un total d’environ 80 témoins, de la deuxième moitié du 15 ème s. pour l’essentiel. L. Callebat ne s’interdit pas d’exploiter à la fois cette édition princeps et quelques témoins qui lui sont postérieurs, même s’il avoue son impuissance, comme ses prédécesseurs, à reconstituer exactement l’histoire des Priapées au 15 ème siècle, histoire qui reste encore à écrire. Il propose une nouvelle édition à partir de 14 manuscrits (les précédentes éditions reposaient généralement sur les 5 principaux manuscrits ; exception faite de celle de Clairmont, en 1983, qui reposait sur 40 manuscrits mais était difficilement exploitable). L’étude codicologique et philologique de ces témoins ne permet pas de dégager de nets rapports de filiations, et ne conduit qu’à la reconnaissance de quelques grands binômes ( AN, FH, TXO, Wv) élargis pour quelques leçons communes à des témoins collatéraux ( ANG, ANGV/L, FHP, FHz, FHV/L), et, plus généralement, de deux grands groupes ANGVL et PFHzTXOWv. Il n’y a pas de description des manuscrits, ni d’étude particulière sur les liens de v et de z (qui semblent dériver d’incunables) avec les premières éditions de 1469 et 1471. Dès lors qu’il n’y a pas d’établissement de stemma et de rapports de filiation, l’édition repose sur l’examen un à un des passages variants importants (on a relevé plus d’une soixantaine de variantes par rapport à l’édition Teubner de Vollmer, 1913), ce qui occupe une part non négligeable du commentaire. Le retour au consensus codicum est assez souvent privilégié, et l’apparat est ainsi allégé de conjectures d’éditeurs devenues inutiles.
Les conjectures proposées par L. Callebat sont les suivantes. La collaboration avec le métricien J. Soubiran est lisible dans deux d’entre elles. On rappellera ci-dessous les leçons correspondantes de l’édition Vollmer de 1913 : 16,7 talia quaeque / qualiacumque (Vollmer)
32,7 usque pura pumex / usque putris +pumex (Vollmer)
37,12 partem (avec Soubiran) / compar (Vollmer)
63, 1 quod hic [simul] pedem fixi / quod hic fixi +sedem (Vollmer)
63, 18 nouisque iunctis pruriosa discedit / non +inuentis pruriosa discedat (Vollmer)
72, 1-2 Diligens Priape facito tutelam pomarii / [et] rubricato minare furibus mutunio (avec Soubiran)
tutelam pomari, diligens Priape, facito:/ rubricato furibus minare mutinio (Vollmer)
Le texte a fait l’objet de nombreuses traductions à l’époque moderne. Pour proposer une comparaison en français, cette nouvelle traduction est à la fois précise et élégante, plus précise que celle de F. Dupont et T. Éloi (1994), qui reste cependant la plus inventive et la plus déchaînée (ex. l’« attesticuler » du c. 15, qui joue sur le double sens de magnis testibus en latin), même si elle s’éloigne souvent de la lettre du texte.
Le commentaire occupe la plus grande partie de l’ouvrage. Il existait déjà un commentaire complet des Priapées, par C. Goldberg ( Carmina Priapea, Heidelberg, 1992), et il était inévitable que ces deux commentaires se recoupent très largement. Le commentaire de C. Goldberg est publié dans une collection qui lui permet d’être plus long (citations et rapprochements sont plus nombreux), mais celui de L. Callebat est très bien fourni et facile à suivre. Il prend en compte la bibliographie parue sur le sujet depuis l’ouvrage de Goldberg (en particulier tout le volume « Les vers du plus nul des poètes … » Nouvelles recherches sur les Priapées de F. Biville, É. Plantade et D. Vallat, Lyon, 2008), et ajoute des informations tirées de la bibliographie française sur la période précédente. Le premier commentaire de chaque poème permet de le présenter en contexte (notamment lorsqu’il appartient à des « cycles ») et d’en expliquer la structure. Plus systématiquement que chez Goldberg, chaque difficulté de l’édition critique est discutée et tranchée dans ce commentaire. Confirmation de l’introduction, le commentaire accentue, plus que chez Goldberg, le jeu sur les différents niveaux de langage des Priapées.
En conclusion, on se réjouira que la Collection des Universités de France ait accueilli parmi ses volumes cette collection de textes obscènes, et qu’elle ait permis à l’auteur d’étendre autant son commentaire. Cet ouvrage constitue ainsi une somme complète en français sur les Priapées, avec une introduction synthétique, une édition révisée et améliorée par le nombre de manuscrits pris en compte, une traduction non édulcorée, et un commentaire d’une précision et d’une richesse remarquables.
Notes
1. À la suite, sans doute, d’une ultime repagination, les renvois à l’introduction sont systématiquement décalés de deux pages (il faut ajouter deux unités à la page indiquée).