Comme l’explique l’auteur p. vii, le projet d’écrire cet ouvrage est né d’un cours qu’il a donné durant des années dans le Département de Classics de l’Université du Maryland. Ce cours sur Roman material culture on site in Italy a amené Steven Rutledge à s’interroger sur la perception que les Romains avaient de leur ville d’un point de vue visuel et culturel, et sur les implications sociales et culturelles de cette expérience. L’ouvrage va bien au-delà de ces interrogations initiales et porte sur l’identité romaine à travers la culture. En 395 pages, il réunit 9 chapitres, une abondante bibliographie, un index locorum et un index général, 6 cartes et près de 80 illustrations en noir et blanc.
Avant d’aborder chaque chapitre, on peut louer les qualités d’ensemble du livre : les analyses s’appuient sur quantité de références à des textes antiques (peu d’entre eux sont cités) et de monuments et œuvres d’art ; il comporte de nombreuses notes très bien informées, notamment sur la bibliographie récente, et prend en compte une grande amplitude chronologique.
Le chapitre 1, Introduction: Museums and Muses, part de l’exemple, particulièrement parlant pour les lecteurs américains, des musées et monuments de Washington, pour montrer que ces éléments reflètent l’identité et l’idéologie d’un peuple. De la même manière, dans l’Antiquité, Rome, en tant que capitale d’un empire, est devenue le réceptacle et la vitrine de l’histoire et des hauts faits de son peuple. Les monuments et œuvres d’art invitent à lire Rome comme un texte, et c’est la création et la réception de ce texte que S. Rutledge se propose d’étudier. Ce premier chapitre présente le contenu des huit suivants, il expose les sources principales utilisées et les problèmes qu’elles posent (par exemple elles reflètent l’idéologie de l’élite ; leur témoignage n’est pas forcément fiable), et situe de façon très pertinente son propos dans le cadre des études récentes sur la construction de l’identité culturelle romaine, et sur les liens entre biens culturels, identité et pouvoir.
Le chapitre 2, Collecting and Acquisition, porte sur les Romains comme collectionneurs. Il montre que la possession d’œuvres d’art est devenue à Rome une marque de pouvoir et de prestige, et une part essentielle de l’identité et des valeurs de l’élite romaine. Ces œuvres étaient acquises par la conquête, l’appropriation ou l’achat, et cela à date ancienne, avant que le phénomène ne prenne toute son ampleur lors de l’expansion de Rome dans le monde grec. Ce chapitre traite aussi de la restauration des œuvres, des collections privées et de leur signification (celle de Cicéron, de Tibère…), et de la législation les concernant.
Le chapitre 3, Viewing, Appreciating, Understanding, s’interroge sur les attentes et les réactions des Romains en tant que spectateurs des œuvres d’art et monuments. Ces œuvres sont en effet des formes de communication : elles entrent donc dans la vie collective de la société, mais les différentes classes sociales les reçoivent de façon spécifique. S. Rutledge définit, à travers des textes, la culture historique et artistique que l’élite romaine pouvait avoir ; il souligne notamment le goût des Romains pour le réalisme (l’auteur aurait pu développer davantage ici la notion de mimesis, qui a fait l’objet d’une réflexion considérable dans l’Antiquité et qui bénéficie d’une abondante bibliographie).
S. Rutledge montre que cette identité culturelle, sociale et morale s’appuie aussi sur des réalités proprement romaines, comme l’importance des imagines, la cérémonie du triomphe, et les inscriptions commémoratives des exploits des généraux. Ainsi, la cité est elle-même porteuse d’une connaissance collective sur l’histoire, l’idéologie, les croyances et la politique.
Le chapitre 4, Displaying Domination: Spoils, War Commemoratives, and Competition, montre comment l’apparence de Rome est directement tributaire de la domination exercée par l’élite sur les territoires conquis et dominés : ainsi les biens culturels exhibés dans la ville contribuent à justifier le pouvoir et le prestige de la classe dirigeante, au point qu’ils font parfois l’objet d’une compétition au sein de cette élite. La localisation elle-même des objets est significative : le temple de Mars Ultor, accueillant le butin, donne à la conquête valeur de bellum iustum. Les œuvres commémoratives renforcent l’idéologie de triomphe.
Le chapitre 5, Constructing Social Identity: Pietas, Women, and the Roman House, explique que cette identité culturelle ne tient pas seulement à des éléments liés à la conquête, mais est renforcée par des formes plus privées et domestiques, comme l’idéalisation de figures féminines emblématiques des valeurs morales romaines, la célébration de la pietas des premiers Romains, la vénération de demeures privées (la cabane de Romulus par exemple).
Le chapitre 6, The Monster and the Map, étudie l’exhibition, à Rome, d’éléments du monde naturel comme symbole de la domination romaine sur la nature. Ce phénomène participe de l’intérêt des Romains pour l’étrange et l’extraordinaire, surtout pour ce qui provient de pays lointains (par exemple des animaux inconnus jusqu’alors à Rome, et exhibés lors des triomphes). La conquête est également visible à travers des cartes et allégories des territoires conquis, sous forme de tableaux, pavements, mosaïques, statues…
Le chapitre 7, Imperial Collections and the Narrative of the Princeps, analyse quelques collections constituées par des empereurs, qui ont amplifié une pratique déjà importante dans les classes dirigeantes sous la République. S. Rutledge propose ainsi des interprétations détaillées des collections de César, d’Auguste, de Tibère, de Vespasien et, en guise d’épilogue, d’Aurélien.
Le chapitre 8, Access and Upkeep, s’attache à des questions concrètes souvent négligées, relatives à la préservation des biens culturels : sont ainsi examinés, dans le domaine public et privé, l’entretien, la restauration, l’accès aux œuvres, leur sécurité, le personnel officiel réservé à ces tâches (les aeditui)… Tous ces éléments attestent de l’importance des biens culturels pour les Romains, de la constitution d’une bureaucratie spécialisée dans ce domaine, et, en conséquence, de la valeur politique et symbolique du patrimoine culturel. Il apparaît bien que l’élite romaine a voulu préserver l’identité qu’elle a construite à travers les biens culturels.
Le chapitre 9 est un rapide épilogue qui prolonge le sujet au-delà des limites chronologiques de l’Antiquité romaine.
Pour conclure, cet ouvrage très dense et clair étudie les monuments et œuvres d’art comme signes de pouvoir et de prestige. L’auteur soutient par des analyses détaillées une réflexion convaincante sur l’identité culturelle romaine.