BMCR 2012.10.50

Selinus II: die punische Stadt auf der Akropolis. Sonderschriften / Deutsches Archäologisches Institut Rom, Bd 15

, Selinus II: die punische Stadt auf der Akropolis. Sonderschriften / Deutsches Archäologisches Institut Rom, Bd 15. Wiesbaden: Reichert Verlag, 2012. 370. ISBN 9783895007088. €98.00.

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Issu d’une thèse (1999) sur les maisons puniques de Sélinonte, ce livre a bénéficié des dernières fouilles et de la réalisation dans les années 1996-2004 d’un nouveau plan du site qui fut l’occasion de découvrir la présence de maisons inconnues auparavant dans le secteur de l’acropole.

Le premier chapitre est consacré à un certain nombre de généralités, dont certaines relèvent de l’évidence, sur l’intérêt des fouilles d’habitat, sur les différences globales entre la conception grecque et la conception punique de la ville ; enfin sur la légitimité de l’expression « culture punique ».

Le II e chapitre traite de la chronologie. Les vestiges de l’occupation punique se sont superposés aux restes de la ville grecque mais ont été à leur tour oblitérés par les réoccupations médiévales. Malgré la découverte de monnaies puniques du IIIe s. dès le début des fouilles (1874), il fallut attendre les années 1960 pour que certains restes de maisons soient explicitement rapportés à une phase punique (V. Tusa). Sur la base des observations archéologiques, R. Martin et J. de La Genière ont fait commencer cette phase punique à des dates différentes mais proches de la fin du IIIe s. Plus récemment, les fouilles de D. Mertens ont montré que si, après la destruction carthaginoise de 409, la ville reste occupée, c’est encore par des Grecs. Les traces identifiables d’une occupation carthaginoise apparaissent à la fin du IV e s. et s’arrêtent au milieu du III e s. avec l’abandon complet du site, où l’on ne trouvera même pas de monnaies romaines. Les sources historiques sont en accord avec ces observations, la ville n’ayant pas cessé de passer de mains en mains après la destruction de 409. L’époque de Timoléon correspond à un retour généralisé de la prospérité dont Sélinonte profite, avec un renfort de population venu de Carthage. L’expulsion des Carthaginois de Sicile par les Romains explique l’abandon définitif d’une ville que les nouveaux maîtres de la Sicile n’avaient pas eu besoin de conquérir et qu’ils n’occupèrent jamais.

Le III e chapitre contient l’analyse de l’habitat domestique. En bonne méthode, l’auteur analyse successivement les matériaux et les techniques de construction, les plans, enfin l’équipement domestique. Il s’agit d’une architecture de remploi : les Puniques ont utilisé les matériaux disponibles (grès local) dans les ruines de l’habitat grec. Les blocs ne sont pratiquement jamais retaillés et sont assemblés avec un mortier de boue, technique évidemment absente dans l’habitat grec. Les techniques de construction sont rudimentaires : angles de murs sans pénétration, joints d’une irrégularité absolue, imposée par l’irrégularité des dimensions des blocs remployés. Les seuls raffinements, si l’on peut dire, tiennent dans le choix d’employer des blocs plus petits pour les murs mineurs (cloisons, refends) et dans la construction de certains murs avec un parement extérieur en plus gros blocs, un parement intérieur en plus petits éléments. Il est probable que la partie supérieure des murs était réalisée en brique crue, car cette technique appelle à son tour une couche protectrice d’enduit, or l’auteur note la présence, sur les parties conservées en pierre, de traces de badigeon blanc, ce qui s’expliquerait au mieux dans des murs mixtes terminés vers le haut par de la brique crue. Globalement, on observe donc l’utilisation des techniques de construction attestées à Carthage (même l’épaisseur des murs est comparable).

L’auteur répartit les murs en trois types : murs à empilement, une variante simplifiée de l’opus africanum (pierres dressées), et un mélange des deux techniques précédentes. Il est remarquable que l’opus africanum, la technique la plus soignée, se rencontre exclusivement dans la zone des temples où les maisons puniques n’ont pas été précédées par des maisons grecques, alors qu’ailleurs, l’utilisation systématique des remplois a fourni des constructions beaucoup plus hétéroclites. Sur ces critères, l’auteur propose d’exclure que les autres constructions domestiques du site de Sélinonte puissent être puniques (sauf peut-être un quelques maisons dans le secteur de l’agora).

Quelques autres détails techniques caractéristiques peuvent être mentionnés : les fondations (sans tranchée mais avec un système de compartiments remplis de remblai) ; les seuils en pierre (les Puniques ignorent les crapaudines, sauf cas de remplois) ; enfin les escaliers, relativement nombreux : les marches inférieures sont en pierre, les escaliers tournaient à 90° ou à 180°. L’auteur se refuse à parler « d’escaliers puniques » mais note que des constructions de même type sont aussi attestées dans d’autres sites puniques (Kerkouane).

Typologie des maisons : l’auteur a défini quatre types. La caractéristique commune d’un bon nombre de ces maisons est d’être centripètes et d’ouvrir très peu sur l’extérieur. Elles se groupent autour d’un espace ouvert (cour) accessible soit directement soit (le plus souvent) au moyen d’un couloir lui aussi à ciel ouvert. Il n’y a jamais de pastas. Rares sont les pièces disposées en enfilades (quand c’est le cas, la deuxième pièce apparaît plutôt comme une arrière-salle ou un local de rangement). On a généralement, dans les espaces à ciel ouvert, des pavages de tuiles ou de pierre (remplois), avec des joints très larges. Les sols des pièces sont en béton, mais l’auteur préfère employer le vocable cocciopesto plutôt qu’ opus signinum pour distinguer le béton sélinontin qui est blanchâtre et non rougeâtre. On trouve une gamme de types, selon le volume et la densité des inclusions (décors de tesselles), et on les trouve dans les pièces de n’importe quelle fonction (pour autant qu’on puisse déterminer celle-ci : religieuse, bain, salle à vivre).

Comme nous l’avons vu, des enduits muraux blancs sont attestés. Il y a aussi des murs stuqués (bichromes rouge et blanc), avec des décors en relief (comme à Carthage). Une maison (cat. 2/54) offre des décors architectoniques stuqués mais elle date de la fin du IVe s. En revanche, la maison 2/27 qui a aussi des décors stuqués, date de la période punique. Il s’agit de décors typiquement grecs.

Les maisons sont fréquemment équipées de citernes (plus que dans le monde grec d’après l’auteur) qui recueillaient les eaux de pluie. Typologiquement proches des citernes grecques, elle s’en distinguent par la morphologie des canaux d’adduction des eaux de pluie qui semblent avoir été constitués de canalisations ouvertes descendant le long des murs et prolongées par des caniveaux. Les rues étaient équipées de canaux d’évacuation dont la couverture en dalles de pierre fait en général saillie par rapport au niveau de circulation de la rue.

Les maisons étaient souvent équipées de baignoires (analogues à celles des Grecs), mais aussi d’auges dotées d’un anneau, destiné de toute évidence à attacher un animal (probablement âne), on a aussi trouvé des vases de stockage (mais pas plantés dans le sol) et deux pressoirs à huile ainsi que des meules en lave. Enfin, un trait original consiste en « quarts de cercles » maçonnés, d’un diamètre de 0,80 à 1,20 m pour la série petite, mais une autre série est plus spacieuse et moins élevée et est couverte de tuiles. S’agit-il d’un emplacement pour poser des vases de stockage ? d’un plan de travail ? d’un lieu de cuisson (avec des réchauds portatifs) ?

En raison du manque de caractéristiques précises, à l’exception évidente des salles de bain, la fonction des pièces est le plus souvent difficile à préciser. Il n’y a jamais d’ andrôn à la grecque, mais une douzaine de cas ont été isolés dans lesquels une pièce présente une architecture plus soignée que les autres : sol en dur, murs enduits, seuil de pierre et porte de largeur particulière. Elles sont interprétées comme des salles de réception. Il n’y a pas non plus d’appartement réservé. L’existence de magasins de commerce est supposée : il s’agit de pièces ouvrant directement sur la rue et souvent munie d’une pièce secondaire à l’arrière. Certaines ont des sols en dur et des murs enduits. C’est ce qui fait identifier le portique nord à un portique commercial (l’auteur pense d’ailleurs en identifier un second de même fonction). Divers éléments (pressoirs, « étables ») amènent à supposer que les habitants avaient des activités agricoles.

La distinction entre les niveaux de vie est assez évidente si l’on considère les dimensions des maisons (5 ont une superficie supérieure à 200 m 2, une dépasse 300 m 2) et la qualité du bâti : la plus grande a aussi un escalier en pierre, on trouve des colonnades et des portes avec montants décorés.

Cette étude d’habitat domestique, complétée par un catalogue des trouvailles et un catalogue des maisons avec des plans individualisés dessine un tableau très parlant des maisons de Sélinonte qui permet de les distinguer à la fois typologiquement et fonctionnellement des maisons grecques, malgré les quelques points de ressemblances incontestables qu’elles présentent à première vue.

Le chapitre IV est dévolu à l’étude de l’environnement urbain des maisons d’habitation. L’agora à la grecque cède la place à un espace vide et amorphe où peuvent se dérouler des activités artisanales ou commerciales. Les espaces religieux datant de la période grecque (temples A et C) n’ont pas disparu mais ont rétréci. Des boutiques ont fleuri le long des rues principales et l’aire proche du temple C a révélé de nombreuses traces d’activité commerciale (« stoa commerciale »). On y a trouvé plus de 150 amphores (rhodiennes en majorité) avec des inscriptions puniques, alors que le secteur du temple A a rendu des amphores avec inscriptions grecques ou latines. Malheureusement, les amphores du site n’ont pas encore fait l’objet d’une étude systématique. Les trouvailles numismatiques complètent ce tableau : l’écrasante majorité est formée de monnaies de bronze puniques.

L’étude des édifices religieux s’avère particulièrement passionnante. L’auteur montre en effet que si les temples grecs ont été largement grignotés par des occupations domestiques, ils n’en ont pas moins gardé leurs fonctions religieuses au prix de remaniements qui en font pour ainsi dire des chapelles de type phénico-punique. Le temple A hébergeait sans doute les cultes de Tanit et de Baal, le temple C, qui a rendu un millier de bullae, était dédié à Melkart et comportait un dépôt d’archive. Un raisonnement très astucieux et solide aboutit à l’hypothèse que la ville de Sélinonte avait pris le nom de « Cap Melkart » et fut le lieu d’émission des monnaies puniques de Sicile. S’y on ajoute d’autres sanctuaires hypèthres dont l’auteur détecte l’existence, on constate que les lieux de cultes sélinontins s’inscrivent parfaitement dans l’aire punique d’Afrique du nord, de Sicile et de Sardaigne.

Le chapitre V tire avec beaucoup de fermeté les conclusions synthétiques de ces observations : ni la ville punique, ni ses maisons prises une par une ne présentent le caractère planifié et fonctionnel de la ville et de la maison grecque. L’installation d’une ville punique sur les vestiges de la Sélinonte grecque s’est traduite par une subversion profonde des espaces publics et privés : Sélinonte s’inscrit totalement dans le contexte de la civilisation phénico-punique. Enfin le chapitre VI pose en conclusion la question de la profondeur et des manifestations de l’hellénisation de l’habitat punique. La réflexion est menée avec beaucoup de rigueur et débouche sur un constat précis : en réalité, l’influence grecque sur les modes de vie puniques ne se manifeste que dans le domaine de la décoration (moulures et décors, mais réalisés exclusivement en stuc et non en pierre), comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres domaines (iconographie monétaire).

Appuyé sur une illustration de très bonne qualité et des plans exceptionnellement beaux, ainsi que sur des annexes importantes et plusieurs catalogues, cet ouvrage, qui surprend au début le lecteur par des généralités méthologiques qui pourront paraître superflues, fournit à la fois un matériel original, riche et bien présenté, et une réflexion pertinente, appuyée sur un sens critique acéré qui ne tombe jamais dans la surinterprétation. C’est une contribution majeure à notre connaissance de la civilisation punique, fondée sur l’étude d’une ville qui avait été grecque mais ne l’était plus du tout à la période considérée.