BMCR 2012.10.43

Free at Last!: the Impact of Freed Slaves on the Roman Empire

, , Free at Last!: the Impact of Freed Slaves on the Roman Empire. London: Bristol Classical Press, 2012. 212. ISBN 9781853997518. $80.00.

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L’introduction débute par une évocation des ancêtres de Michelle Obama, lesquels, au sortir de l’esclavage, surent se construire dès la génération suivante une position sociale avantageuse. Malgré la blessure de la servitude, l’affranchi ne manque pas de dynamisme. Ce que l’on constate dans le Nouveau Monde doit être vrai également pour l’Antiquité. La plupart des études sur les affranchis des dernières années se sont cantonnées dans les domaines traditionnels tels que les procédures d’affranchissement, au pire, comme Syme dans sa Roman Révolution, adoptent les préjugés de l’élite romaine et caricaturent les affranchis. Tous n’étaient pourtant pas des rapaces s’enrichissant du sang des Romains ni forcément les satellites de leur ancien maître. Le préjugé né de l’infériorité légale masque les mérites que les affranchis pouvaient avoir : rachat et affranchissement de leur famille, création de commerce, réussite dans des domaines très variés. L’ambition du volume est de corriger la version faussée de l’élite, voire de reconstituer et d’adopter le point de vue des affranchis. La seconde partie de l’introduction présente la suite des articles.

B. E. Borg, « The Face of the Social Climber: Roman Freedmen and Elite Ideology », s’interroge sur les monuments funéraires des affranchis, leur portrait et leurs inscriptions: les portraits ne sont pas de simples photographies, mais manifestent l’ascension sociale dont les affranchis tirent orgueil, en insistant sur leurs relations familiales que leur statut antérieur d’esclaves ne reconnaissait pas, en montrant par exemple les signes d’ingénuité de leur fils, bulle et toge prétexte. Les traits et les expressions des portraits les font ressembler aux personnalités importantes de la période républicaine avec leur auctoritas, leur grauitas, leur temperantia. Les affranchis, du moins les affranchis riches et qui ont réussi, car le terme englobe des situations très différentes, on fait leur l’idéal éthique de la noblesse.

Pauline Ripat, « Locating the Grapevine in the Late Republic: Freedmen and Communication », constate que, pour Rome, l’on connaît surtout la communication de haut en bas, mais que les membres de la classe dirigeante devaient forcément s’informer des sentiments de leurs électeurs et donc étaient dans l’obligation de rechercher des informations dans les couches inférieures. On peut suspecter que les affranchis en fournissaient une grande part.

Teresa Ramsby, « ‘Reading’ the Freed Slave in the Cena Trimalchionis », étudie, dans l’épisode romanesque, les moyens textuels ou artistiques par lesquels les affranchis entendent révéler leur réalisation. La Cena n’est pas seulement une caricature des affranchis, mais traduit aussi l’anxiété de l’élite devant des normes nouvelles. Les inscriptions parsemées dans la maison de Trimalcion énoncent ce que celui-ci veut que l’on pense de lui : par exemple, alors que, dans sa maison, il est très familier avec ses esclaves, au dehors l’inscription promettant cent coups de fouet à l’esclave sorti sans ordre du maître impose l’image d’un pater familias traditionnel. La présence du marbrier Habinnas rappelle l’importance de sa profession pour les affranchis qui commandent plus de monuments que les ingénus tandis que l’inscription funéraire de Trimalcion, où celui-ci mentionne toutes ses qualités et ses succès, est capable de provoquer les larmes de toute l’assistance. Pétrone laisse l’impression qu’avec leur luxe criard et leurs ambitions, les affranchis représentent une nouvelle Rome.

Koenraad Verboven, « The Freedman Economy of Roman Italy », recherche les données qui permettraient d’évaluer l’importance des affranchis dans l’économie. Il faut partir des cadres légaux, les esclaves représentant une catégorie juridique, non une classe sociale ou économique, l’esclavage paraissant une condition transitoire et les esclaves devenant citoyens de plein droit. Du point de vue démographique les fortes proportions d’inscriptions funéraires concernant les affranchis à Rome ou en Campanie ne sont pas représentatives de toute l’Italie. Verboven, considérant que plus de 80 % des seuiri augustales sont des affranchis et à partir des données de Spolète, forme l’hypothèse selon laquelle les affranchis représenteraient 10% de la population italienne. Le métier, la valeur professionnelle sont pour l’affranchi, comme pour l’esclave, constitutifs de son identité, tandis que, par l’importance donnée à l’éducation de la main-d’œuvre, l’esclavage avait favorisé le développement économique. Verboven examine les facteurs de dépendance ou d’indépendance de l’affranchi vis-à-vis de son patron : mais les possibles ruptures légales n’impliquent pas la fin des relations humaines. Verboven conclut en affirmant l’importance quantitative et qualitative des affranchis dans l’économie de l’Italie romaine, inévitable résultat de l’emploi des esclaves dans des tâches intensives et des services.

Marc Kleijwegt, « Deciphering Freedwomen in the Roman Empire », part du cas d’Acilia Plecusa, épousée par son patron, un chevalier, donatrice d’un monument en l’honneur d’un procurator August, mentionné dans une série d’inscriptions de Bétique. Kleijwegt cherche à éclairer par les données du Nouveau Monde le cas des esclaves dont le maître ne respecte pas sa promesse d’affranchir à une date déterminée et les difficultés pour l’affranchie de faire reconnaître sa liberté. Kleijwegt examine ensuite les effets du mariage de l’affranchie et s’interroge sur le cas d’affranchies de propriétaires d’entreprises. Carlos Galvao-Sobrinho, « Feasting the Dead Together: Household Burials and the Social Strategy of Slaves and Freed Persons in the Early Principate », étudie les sépultures collectives d’esclaves ou d’anciens esclaves et pose trois questions: pourquoi ces sépultures esclaves appartenant à des familles nobles? Ces associations dans la mort reflètent-t-elles des liens dans la vie? Quelles lumières apportent-t-elles sur le phénomène associatif? Les sépultures sont classées en quatre groupes selon qu’elles sont propres ou non à une maisonnée ou prévues originellement pour un individu puis élargies à sa famille, ses affranchis, ses esclaves ou enfin monuments collégiaux ne correspondant à aucune maisonnée en particulier. Ces types se développent à des époques différentes, le columbarium étant une nouveauté de l’âge augustéen. Les pauvres ont perdu les comices qui leur permettaient d’espérer des mesures favorables, l’affranchissement ne mène plus au pouvoir politique, les esclaves dépendent davantage des caprices de leurs maîtres et la maisonnée acquiert une nouvelle centralité. Les columbaria disparaissent quand les groupes serviles, après avoir cherché à se donner une identité en rapport avec leur familia essaient de se construire un monde en dehors.

Michele Valerie Ronnick, « ‘Saintly souls’: White Teachers’ Instruction of Greek and Latin to African American Freedmen », rappelle que les maîtres romains pouvaient procurer une formation élevée à certains esclaves pour, ensuite, l’avantage commun des affranchis et de leur patron. Elle voit une analogie en Amérique avec l’effort de blancs au dix-neuvième siècle pour donner à des élèves noirs une instruction comprenant le grec et le latin afin que cette formation ne diffère en rien de celle des blancs. Les motivations de ces enseignants étaient liées à leurs convictions abolitionnistes. M. V. Ronnick dit ensuite les difficultés, voire les persécutions auxquelles se heurtèrent certains de ces professeurs puis présente quelques établissements d’enseignement pour les noirs, fondés après l’abolition de l’esclavage.

Dans un chapitre de conclusion, « Response Essay: What has Pliny to Say? », Eleanor Winsor Leach oppose Pline le Jeune se scandalisant d’une part des ornamenta praetoria décernés à l’affranchi Pallas, se conduisant d’autre part avec humanité vis-à-vis des affranchis. Cette contradiction illustrerait les diverses voies par lesquelles les affranchis se sont intégrés, suffisamment pour gagner indulgence et accommodation pourvu qu’ils respectent le cadre hiérarchique. Le volume collectif saisit cette intégration de deux façons : soit de l’extérieur comme Ripat et Verboven, soit en repérant les messages de solidarité et de conscience de classe donnés par les affranchis eux- mêmes.

La volonté de changer de point de vue et d’adopter celui des affranchis pour décrire leur situation fait, outre la solidité de certaines contributions comme celles de Galvao-Sobrinho ou de Verboren, l’intérêt et la relative nouveauté de cet ouvrage collectif. Restent plusieurs difficultés dont les auteurs sont conscients et qu’ils signalent eux-mêmes, mais ne surmontent pas. La qualité d’affranchi est une donnée juridique qui recouvre un très large éventail de situations dont peut-être les plus courantes sont celles qui n’ont pas laissé de traces et dont nous ne savons rien. Les auteurs raisonnent souvent par analogie entre l’esclavage romain et celui du Nouveau Monde : ils notent toutefois qu’à Rome, le stigmate de la servitude n’est pas la couleur de peau. Il s’agit en fait de deux systèmes extrêmement différents, même si pour se justifier, l’esclavage américain s’est parfois déguisé sous les traits de celui de Rome.

Quelques remarques de détail :

Verboven, p. 92, note que les évaluations du pourcentage d’esclaves fournies pas Scheidel ou par moi sont « hautement hypothétiques ». J’en suis bien d’accord et, en ce qui me concerne, une de mes données de base en 1987, le nombre d’esclaves ruraux supérieur à celui des esclaves urbains, m’est apparue depuis indéfendable, mais les calculs esquissés par Verboven à partir du nombre des seuiri augustales me semble peut-être encore plus acrobatiques. En fait, la quantification précise des réalités antiques demeure impossible, mais, comme le voulait Brunt, peut-être vaut-il mieux un chiffre faux qui donne un ordre de grandeur que pas de chiffre du tout.

Page 117, Kleijwegt décrit la situation juridique de l’affranchie épousée par son patron sans donner de référence aux textes. Il écrit que l’affranchie peut divorcer même sans le consentement de son patron alors qu’Ulpien, Digeste, 24, 2, 11, dit précisément le contraire. Kleijwegt affirme que l’affranchie ne peut se remarier, ce qui n’est vrai qu’aussi longtemps que son patron refuse le divorce, la veut comme uxor, mais dès que lui-même se remarie ou, simplement prend une concubine, ipso facto, l’affranchie redevient libre et disponible pour un nouveau conubium.

Page 143, Galavao-Sobrinho estime que le régime républicain offrait aux « destitute freed persons » une espérance de promotion en les faisant participer à la souveraineté populaire, ce qu’Auguste et le principat auraient détruit. C’est oublier que seuls votaient en fait, dans les comices centuriates, les membres des deux premières classes censitaires, dans les comices tributes, où les tribus rurales avaient une écrasante majorité, seuls les ruraux assez riches pour se déplacer. Affranchi ou ingénu, le petit peuple n’avait qu’un semblant de droit de vote et n’en attendait rien : Tacite, Annales, 1, 15, note que le peuple n’avait pas réagi à la suppression des comices. Pareillement, Pauline Ripat, p. 59-60, semble avoir méconnu cet aspect de la réalité politique à la fin de la République.