BMCR 2012.01.44

Atlas du monde hellénistique (336-31 av. J.-C.): pouvoirs et territoires après Alexandre le Grand. Atlas. Mémoires

, Atlas du monde hellénistique (336-31 av. J.-C.): pouvoirs et territoires après Alexandre le Grand. Atlas. Mémoires. Paris: Autrement, 2011. 80. ISBN 9782746714908. €17.00 (pb).

Cet atlas appartient à une série de petits ouvrages de qualité, destinés au grand public cultivé et aux étudiants. Les cartes, de format relativement petit, sont accompagnées de textes de présentation, de tableaux, de schémas et de brefs extraits de documents écrits. Il s’agit en fait d’une véritable introduction à l’histoire du monde hellénistique.

Après une brève présentation des sources disponibles et des débats historiographiques, puis un tableau du monde grec en 336, l’auteur aborde une série de chapitres d’abord chronologiques. Le règne d’Alexandre bénéficie d’une partie à part, les cartes retraçant les phases successives de son règne avant de s’achever sur les structures de l’Empire. Cette partie du livre est moins originale que les suivantes, dans la mesure où la conquête d’Alexandre a déjà été abondamment cartographiée. On notera cependant l’intérêt des cartes consacrées aux années 229-224, soutenues par la connaissance qu’a l’auteur des régions alors parcourues par l’armée d’Alexandre, et qui sont plus précises qu’à l’ordinaire. La partie suivante, « un monde en mouvement », obéit à un découpage chronologique. Les cartes, à petite échelle, sont nombreuses et offrent soit des vues d’ensemble à des dates-clef (301, 281, vers 246, etc.), soit des vues sur telle partie du monde hellénistique (p.ex. l’Orient en 130 et 67). Les quatre parties suivantes sont consacrées à une aire géographique (et politique): “Les Séleucides et leurs voisins”, “Les Lagides”, “Le monde égéen” et “Le monde occidental”. C’est la partie du livre la plus dense et la plus intéressante. L’ouvrage se termine par des tableaux généalogiques, une chronologie, un bref glossaire et une bibliographie succincte.

L’auteur a donc écrit un ouvrage qui s’apparente à un manuel d’enseignement supérieur, mais d’une grande qualité comme d’une originalité certaine. L’atout principal en est naturellement l’illustration. Si nombre de cartes s’appuient sur une cartographie scientifique relativement fournie et bien diffusée (ainsi pour le royaume séleucide), leur abondance et leur variété permettent un regard neuf, car la représentation cartographique est également porteuse d’une synthèse d’un genre un peu différent. Le livre permet ainsi de visualiser, certes de façon très simplifiée, des situations rarement montrées de la sorte, comme, pour ne donner que quelques exemples, la Grèce entre 301 et 287 (p. 23), le monde hellénistique vers 145 (p. 27), les phases de la désintégration du royaume séleucide (p. 42-43), la domination lagide en Égée (p. 48-49), les opérations de Philippe V de Macédoine (p. 59), le rayonnement des concours de Magnésie du Méandre (p. 65), ou l’Adriatique au III e et au II e siècle (p. 72- 73). Mais les compétences de l’auteur l’ont également conduite à insérer une série de cartes sur l’Asie centrale, en dépit des difficultés dues aux très sérieuses lacunes documentaires. D’où la relative imprécision de la carte de l’Asie centrale séleucide (p. 34), néanmoins utile. On saluera la présence de celles consacrées à “l’Extrême-Orient grec” (p. 44-45), rarement offertes dans des ouvrages généraux, qui bénéficient des acquis les plus récents de la recherche en ce domaine. Elles ont l’avantage de prolonger la représentation au-delà de la Bactriane, jusqu’au I er siècle de notre ère.

Tel quel, l’ouvrage s’inscrit dans un genre bien déterminé – le manuel ou le livre d’initiation – et dans une tradition cartographique particulière. On ne s’y reportera pas pour localiser un lieu, une cité, une région donnée : pour cela, on dispose d’instruments infiniment plus précis, comme le Barrington Atlas, voire le vieux mais non remplacé Westermann Atlas zur Weltgeschichte, dont la partie antique garde encore de la valeur.1 Les cartes de cet atlas, réalisées par M. Benoit-Guyot, ont pour but de donner à voir et à comprendre des phénomènes, des évolutions, des dynamiques, selon une approche que l’on pourrait rapidement qualifier de française. Les brefs textes qui les accompagnent ne sont jamais redondants. S’ils sont par la force des choses très synthétiques et procèdent à bien des simplifications, ils ne sont pas simplistes. En définitive, cet atlas procure, par les cartes et le texte, malgré sa brièveté apparente, une remarquable densité d’informations. Si l’on considère la vaste et complexe matière sur laquelle cette synthèse est édifiée, il y a là un tour de force qu’il faut saluer.

L’atlas s’éloigne souvent de l’histoire événementielle pour permettre de visualiser des structures, comme l’intéressante carte sur “Les formes d’organisation politique dans le royaume séleucide” (p. 39), où on a tenté de distinguer à la fois les zones où le modèle de la cité domine de celles où l’organisation du peuplement est villageoise, tout en faisant voir les zones où le contrôle séleucide paraît plus faible. On trouvera également une carte de l’organisation de l’Égypte lagide, moins originale, comme une tentative de cartographie des “ressources et revenus du royaume lagide”, donc des échanges (p. 50 et 52). Certes, toutes les cartes ne sont pas convaincantes2 et l’on peut trouver, dans le détail, matière à bien des discussions.3 Mais c’est le corollaire de toute entreprise de synthèse. Même limitée à un aspect que traduit le sous-titre du livre (“pouvoirs et territoires”), elle demeure vaste.4

Les ambitions cartographiques sont donc assez grandes. C’est à la fois la force et la faiblesse de l’ouvrage. Nos connaissances sont parfois si faibles que l’on doute de la pertinence de certaines cartes: ainsi p. 12 celle des tentatives de reconquête perse en Asie Mineure, qui se limite à un vague et contestable liseré orangé pour matérialiser la zone côtière censée avoir été reconquise, et à quatre grosses flèches indiquant de vagues directions des offensives terrestres. La carte – on devrait plutôt parler de croquis – ne donne en fait rien à voir et n’apporte guère à la compréhension de la période: était-elle utile? Les mêmes remarques peuvent s’appliquer à celle p. 18, où la “contre attaque macédonienne” face à la révolte d’Agis III est signalée par une flèche reliant en ligne directe Pella à la Grèce centrale, en s’affranchissant de toute contrainte de relief comme des trajets possibles. L’approche cartographique trouve ici ses limites. On peut également s’interroger sur la réussite de certaines tentatives de cartographie, comme celle qui porte sur la typologie de sources disponibles (p. 4-5), où l’on a distingué des zones en fonction de la quantité de documents disponible (forte, moyenne, faible, absence de document). L’intention est louable, qui devait être de donner à voir l’hétérogénéité de nos connaissances en fonction des régions, comme celle de la répartition des types de documents. Mais la typologie est trop simpliste pour ne pas paraître arbitraire. Il en va de même pour la carte de la p. 38, qui entend distinguer les densités humaines dans le royaume séleucide, entre trois zones. L’image d’ensemble n’est peut-être pas fausse, mais, en toute rigueur, l’établissement d’une telle carte est-elle réellement possible, lorsqu’une simple estimation démographique est impossible même dans les zones qui pouvaient avoir été les plus densément peuplées? Sur ce point, la carte donne l’illusion de la certitude, alors qu’elle n’est qu’une grossière approximation. On ne peut certes faire autrement, mais, sans avertissement sur son caractère hautement conjectural, cette carte est trompeuse.5 Très séduisant de prime abord, l’ouvrage cède ainsi parfois à l’illusion cartographique. Dans l’état de nos connaissances, il n’est peut-être pas possible de tout cartographier. Bien plus, la carte conduit à figer des réalités complexes et mouvantes. S’agissant de territoires, elle utilise des aplats et donne l’illusion de l’uniformité comme de l’existence de frontières. Les auteurs ont sans doute été conscients de cet obstacle en ne dessinant précisément pas de frontière. Mais la représentation des territoires des grands royaumes (voire du royaume attalide) n’est-elle pas malgré tout trompeuse ? Pour le royaume séleucide, on serait presque porté à se représenter la domination royale comme une sorte de peau de léopard dont on ne saurait trop comment en dresser une carte.

Cela dit, il n’entrait peut-être pas dans la nature de l’ouvrage de poser ces problèmes méthodologiques. Il aurait néanmoins été souhaitable de signaler aux lecteurs les incertitudes qui pèsent sur la plupart de ces cartes.6 Ces réserves paraissent malgré tout minimes en regard du profit qu’auront les lecteurs de cet atlas dont le grand intérêt dépasse ce que le titre laisserait entendre. Il s’agit d’une excellente et originale introduction à l’histoire du monde hellénistique.

Notes

1. R.J.A. Talbert (dir.), Barrington Atlas of the Greek and Roman World, Princeton 2000. E. Kirsten et H. E. Stier, Westermann großer Altlas zur Weltgeschichte, Braunschweig, 1965.

2. Celles de l’Égypte lagide ne sont pas particulièrement claires. La multiplication des cercles de couleurs sur les villes les rend malaisément lisibles (ainsi p. 50-51). Celle de la p. 52, consacrée aux échanges, combinant peut-être trop d’informations, ne semble pas non plus très lisible. Le croquis de la bataille de Gaugamèles (p. 14) n’est pas non plus des plus lumineux. On pourra également regretter le parti-pris consistant à avoir reproduit le tracé moderne des côtés (ainsi en Asie Mineure).

3. Par exemple, les limites septentrionales de la domination des successeurs d’Alexandre et surtout des Séleucides paraissent régulièrement surestimées. Il en va de même pour les limites de la zone placée sous l’emprise rhodienne (p. 40 et 64). Sur cette dernière page, on s’interroge sur la notion de “cité cliente de Rhodes” appliquée aux cités de Carie libres en 188, dans lesquelles on a inclus Milet. P. 41, on pourrait aussi regretter que l’on ne tienne pas compte du fait que Pergame était une cité avec un véritable centre urbain (même modeste) avant les Attalides.

4. On a donc des scrupules à exprimer quelques regrets : pourquoi offrir une carte des aspects économiques limitée aux Lagides ? Pourquoi ne pas avoir donné une carte actualisée des fondations de cités ? Si les aspects culturels du monde hellénistique sont exclus, ils ne le sont pas complètement, comme en témoigne la carte du rayonnement des concours de Magnésie du Méandre. On aurait pu effectuer une comparaison avec, par exemple, ceux de Cos. Mais on regrette que n’ait pas été tentée la cartographie, là encore actualisée, de la diffusion du gymnase (comme institution et comme monument), celle du théâtre, voire de la langue grecque.

5. La carte de la p. suivante, sur les structures du royaume, déjà évoquée, pourrait encourir le même reproche.

6. De même, si l’on voit bien l’intérêt de ces brefs extraits de documents insérés à chaque double page, on se demande comment le public visé pourra en tirer profit: en dehors des auteurs anciens, les références aux sources, tablettes, inscriptions et papyrus, ne sont données que par le biais d’abréviations compréhensibles du seul public savant. Une liste des abréviations et une indication sur la nature de la source manquent.